BRNO interventions
par la Cie Les Joueurs
Date : Vendredi 13 décembre 2013
Horaires : 19h - 20h40
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h40
Discipline : Théâtre / Danse
© Marianne Waquier
Mise en scène, écritures chorégraphique et dramaturgique : Emma Gioia
Interprétation : Michele De Luca, Emma Gioia, Anaelle Houdart, Pablo Pillaud-Vivien, Janoé Vulbeau, Axelle Zibi
Lumières : Samuel Mazurier
Son : Arthur Vayssié et Camille Gazeau
Vidéo : Manon Blanc et Matthieu Corno
Régie générale : Mathieu Corno et Camille Gazeau
Production et diffusion : Ella Hamonic et Juliette Malot
Bureau : Hugo Partouche, Président - Léa Zaslavsky, Trésorière - Elsa Colonna d'Istria, Secrétaire
La vie dans le sac à dos, six voyageurs-rêveurs, fatigués et comblés tout à la fois, foulent la scène. Un panneau routier indique des directions opposées. PAST, FUTURE, FREEDOM, HAPPINESS.
Le départ est repoussé, les objectifs suspendus : c'est le PRESENT qui l'emporte. Au travers de ces jeux fantastiques, les corps bourgeonnent, les rythmes naissent. Bientôt des personnages apparaissent et interviennent - une cantatrice capricieuse, le présentateur de télévision de l'émission des candidats révoltés, une amoureuse trahie, les belles femmes d'une publicité, un travesti de cabaret- puis s'effacent et se fondent à nouveau, emportés par la danse. Brno, capitale de la Moravie du Sud, n'est jamais très loin. Juste à quelques instants de là.
« BRNO interventions est un hommage rendu à la jeunesse de ce début de XXIème siècle crépitant, à la fois décadent et terriblement stimulant. BRNO interventions, c'est alors à la fois un appel lancé à l'action en même temps qu'une réflexion mesurée sur les limites de l'intervention. Les six voyageurs -joueurs, danseurs, acteurs- de la pièce sont autant d'existences en devenir, à la recherche de leurs désirs, en quête de sens et de justice.
Le voyage et le rêve détrônent les certitudes et sacralisent le doute. Ces motifs déjà expérimentés dans Trans-it -précédent spectacle créé en 2009 par la Compagnie Les Joueurs- partagent avec la danse l'altération sensible de l'espace et du temps. Alors que Brno -qui symbolise l'horizon trouble, indistinct, irréel de toute vie- apparaît comme à la fois proche et lointaine, merveilleuse et effrayante, le présent de la décision et de la création explose dans toute sa redoutable épaisseur. Il n'y a pas d'autre possible que d'ancrer le sens dans le mouvant, de s'en emparer pour mieux le déformer et le reconstruire.
C'est le jeu alors - activité improductive, libre et réglée à la fois- qui nous permet de construire et déconstruire. C'est le jeu qui provoque les mouvements, les contacts, les rires, les disputes, les coups de foudre et les coups de génie ; et c'est le jeu encore qui situe l'ensemble des interventions de la pièce aux confins du rêve et de la réalité, au seuil du théâtre et de la vie.
Le choix des lieux de représentation de BRNO interventions est donc fondamental: intervenir dans l'espace c'est aussi se l'approprier. En créant BRNO interventions in situ, à La Station (Paris XVIIème), ou dans d'autres lieux à venir, nous décidons de l'orientation et des dimensions de notre terrain de jeu.
Jouons, rêvons, intervenons... et veillons à laisser toujours la réalité nous dépasser de quelques pas... »
Entretien avec Pablo Pillaud-Vivien et Anaëlle Houdart
Propos recueillis par Sophie Baucheron
Bonsoir Anaëlle et Pablo, et merci d’avoir accepté cet entretien, en plein rush pour les répétitions du Festival Nanterre sur Scène ! Je commencerai par une question toute simple, un peu bête peut-être, mais je me suis interrogée sur la prononciation du titre de la pièce, vous pouvez m’aider ?
Anaëlle Houdart : Ce mot, qui pourrait ressembler à un acronyme, se prononce « brno » (roulez le « r »). Et justement, le titre exact, qui est « BRNO interventions », est déjà un objet de questionnement pour le public. C’est l’effet attendu.
Comment en êtes-vous venus à appeler la pièce « BRNO interventions » ?
A : En réalité, on s’interrogeait sur le voyage, les destinations étrangères et puis on est tombé un peu par hasard sur cette ville. Cela s’est fait quand nous nous sommes retrouvés tous ensemble.
Pablo Pillaud-Vivien : C'est-à-dire qu’Emma (Emma Gioia, auteure-metteure en scène de la pièce, ndlr) nous avait demandé d’apporter avec nous des choses, des objets qui nous faisaient penser au voyage, comme un sac, des livres et puis chez elle, on s’est intéressé à un guide de voyage. Quand on l’a ouvert, on est tombé sur ce nom. C’est parti de là, de la réflexion autour de cette ville étrangère, au nom si particulier.
La mise en scène est assez dépouillée, expliquez-nous ce que signifient ces panneaux qui portent les indications « freedom », « past », « future » et « happiness » ?
A : En effet, la scénographie est même très dépouillée, et nous allons faire en sorte que cela le soit encore plus. Nous souhaitons enlever du plateau tout ce qui peut rappeler la scène, les rideaux, pour faire de ce lieu un endroit brut. Concernant ces panneaux, ils sont encore une référence au voyage. C’est aussi un prétexte à se questionner sur des thèmes annexes au voyage. Par exemple, nous réfléchissons aux langues étrangères. On se demande ce que cela implique de parler une langue étrangère, d’abandonner nos repères pour aller vers quelque chose d’inconnu. Comment est-ce que cela agit sur notre façon de penser ?
P : C’est à partir de là que l’on se rapproche de la danse et que le mouvement prend tout son sens. On se pose la question, qu’est-ce que cela fait de penser avec un corps ? C’est une forme de langage, différente de la parole. Emma voulait vraiment nous pousser dans cette direction, en nous empêchant de penser et de nous exprimer dans notre langue maternelle, qui est le français, mais plutôt en laissant libre cours aux formes libres, aux jeux de mots. Cela nous amène à nous exprimer en anglais aussi.
En anglais ? Il faut être bilingue alors pour assister à la représentation !
A : (rires) Non, non aucun risque ! La plupart du temps le texte est en français !
P : De toute façon, il n’y a jamais vraiment d’obligation de comprendre exactement ce que veulent dire les mots, ce ne sont jamais que des sons…
Que veux-tu dire par là ? Qu’il faut se laisser porter par ce qui est dit et ce qui se produit sur scène ?
A : Moi, je ne suis pas vraiment d’accord avec ça. Je pense que dans un spectacle, on ne se laisse jamais vraiment porter par ce que l’on voit, mais qu’au contraire, cela doit aussi mener à la réflexion.
Quelle place laissez-vous à l’improvisation dans le processus de création ?
A : Même si l’improvisation est importante à nos yeux, ça n’est pas toujours le point de départ, ce ne sont que des moments. Il y a des passages qui sont écrits, dans le texte et au niveau chorégraphique, puis il y a les moments plus libres, mais toujours à l’intérieur d’une structure fixe. Ces moments de liberté existent parce que la structure change et devient plus large, cela nous laisse une marge de manœuvre plus grande.
P : Sauf que même dans ces moments où ce que nous faisons est cadré, nous demeurons très libres ! On fait ce qu’on veut, si quelqu’un a envie de monter sur scène, c’est possible !
La synchronisation est pourtant présente quand vous dansez tous ensemble…
A : Nous sommes un groupe mais chacun a son corps et son individualité. Même si nous dansons ensemble, chacun a appris sa chorégraphie et l’interprète à sa manière. Nous n’avons pas travaillé dans le but de créer un ensemble absolument parfait. D’ailleurs, l’approche de chacun est totalement différente car aucun de nous n’a de parcours de danse similaire.
P : Nous avons tous une formation en danse, mais dans des univers et des endroits complètements différents. Moi par exemple, j’aborde tout ça avec les codes de la danse classique, tandis qu’un autre comme Janoé a un parcours de breakdancer.
Qui sont ceux que vous interprétez sur scène ?
A : Ce que l’on peut dire, c’est que nous construisons ces personnages à partir de nous-mêmes. C’est-à-dire que nous sommes nous-mêmes sur scène. C’est tout l’objet de notre travail scénique et du jeu de rôle.
P : Nous endossons vraiment les rôles, parce que les accessoires et les costumes permettent d’y croire davantage, mais ils sont le plus éphémères possible, pour que dès que la veste tombe, chaque individualité reprenne le dessus. Par exemple, il y a un moment dans la pièce où nous cherchons quelque chose à faire. Pour rompre ces interrogations, nous décidons de jouer à un jeu télévisé. Nous sommes pris par cette envie de jouer et nous distribuons les rôles. Tout se met en place mais dès que le jeu cesse, nous quittons brutalement ces personnages. C’est ce qui nous permet de créer des aller-retour constants entre nous et ceux que nous interprétons.
Finalement, vous êtes vous-mêmes Les Joueurs ?
A : (rires)… Oui, enfin il n’y pas toujours un lien à faire avec ce que nous faisons sur scène, mais là cette fois, c’est vrai que cela s’y rapporte plutôt bien.
En vous positionnant comme de jeunes adultes qui se questionnent sur l’orientation qu’ils donnent à leur vie, vous abordez aussi la question du temps présent qui passe et du futur : comment cela se traduit-il dans BRNO interventions ?
P : Nous nous plaçons comme un groupe de jeunes, qui se questionnent sur leur devenir. Nous nous demandons ce que nous pourrions faire dans le futur, et de fait, la question de la temporalité est très présente. Mais c’est vrai que l’instant présent est aussi important, car nous aimerions agir mais nous ne savons pas vers quoi nous diriger. Nous avons tous des rêves, que l’on ne sait pas comment concrétiser.
A : Sur ce point, tout est dans le titre. Quelque chose nous pousse à intervenir, à agir, car nous sommes à ce moment de notre vie où nous sommes jeunes, nous vivons en France, à Paris, un peu dans un microcosme. L’intervention possède beaucoup d’autres sens, mais nous privilégions le rapport à l’action.
P : On extrapole la réflexion autour de l’action et on se demande ce que cela signifie aujourd’hui d’avoir 20 ans, par exemple, ou d’être étudiant, d’être riche, ou encore de faire du théâtre : c’est une tentative d’être représentatifs par rapport à cette jeunesse. Et en même temps, monter sur scène et faire du théâtre, ça n’est pas véritablement agir, puisque ça n’est que de la fiction.
Pouvez-vous nous raconter comment s’est créée la pièce ?
P : On a commencé à y travailler en septembre 2011. Emma avait déjà écrit quelques idées. En réalité, elle a créé cette pièce autour de nous, en partant de nos personnes. Nous avons pratiqué la danse contemporaine ensemble, autour d’exercices techniques. Nous y avons travaillé jusqu’en juin 2012. Le but de cette pratique était que chacun aborde la danse contemporaine avec une démarche commune. En janvier dernier, nous avons « testé » des passages de la pièce à l’occasion d’une intervention de la compagnie. Cela nous a permis de voir ce qu’il était vraiment intéressant de garder et ce qu’il faudrait pousser plus loin, là où nous avions encore une grande marge de progression.
A : Mais être à l’unisson, c’est très compliqué, surtout dans l’improvisation. Quand tu tentes quelque chose avec ton corps, c’est difficile de se rejoindre, à cause des intentions que chacun met dans ses mouvements.
P : Quand nous sommes sur scène, nous sommes toujours en recherche de quelque chose de différent dans le mouvement, dans l’ensemble que nous formons. Nous n’avons pas ce but d’être efficaces avec ce que nous faisons. Le travail que nous produisons en répétition consiste aussi à améliorer le lâcher-prise, la liberté de mouvement dans les interactions que nous créons.
A : La danse que nous pratiquons a pour point de départ des éléments techniques. On ne peut pas aborder la mouvance des corps sans passer par-là. Mais ce que nous nous efforçons de faire, c’est de déconstruire ces codes, en sachant tout de même qu’ils existent inconsciemment.
Comment appréhendez-vous l’espace dans lequel vous vous produisez ?
A : Ce que nous cherchons, c’est de pouvoir prendre possession du lieu, s’y adapter et l’utiliser pour le relier à notre spectacle. Au cours de BRNO interventions, comme on l’évoquait précédemment, il y a ce moment du jeu télévisé, entrecoupé de petits films sur le modèle de la publicité. Nous avons réalisé des vidéos courtes, en amont du festival, que nous projetons pendant le spectacle. L’idée est de détourner les publicités esthétiquement très réussies que nous connaissons tous, de parodier ces visuels surfaits. Nous reprenons les codes de danse connus par le public, entre autres, pour les parodier.
Le festival est aussi un concours, comment abordez-vous la compétition ?
A : On ne connaît pas les autres compagnies, mais ce qu’on peut dire c’est que l’on va gagner ! (rires). Nous avons déjà, par le passé, remporté un prix lors d’un concours de théâtre. Nous abordons ce festival avec le même but en tête. Nous ne sommes pas certains d’y arriver, mais on en a très envie !