Chaise
par la Cie Les Voyageurs Sans Bagages
Date : Mercredi 11 décembre 2013
Horaires : 18h - 19h20
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h20
Discipline : Théâtre
© Cie Les voyageurs sans bagages
Mise en scène : Clémentine Vignais
Assistance à la mise en scène et écriture dramaturgique : Clara Normand
Interprétation : Raphaël Bocobza, Romane Finot, Valentine Bellone, Alexis Mavropoulo
Scénographie et costumes : Elsa Muelas
Décors : Gérard Troadec
Lumières : Paolo Sclar
Son : Raphaël Setty
Musique : Victor Tyar
Vidéo : Sofia Leal
Régie Plateau : Judith Marx
Production et diffusion : Lucie Loubaton, Mathilde Vassor, Mathilde Bonamy
Graphisme et aide à la création : Théo Dumouchel
2077... Il y a 26 ans, Alice a recueilli Billy, un nourrisson abandonné devant sa porte. Depuis, il vit reclus dans son studio, n'ayant jamais vu le monde extérieur qu'à travers l'entrebâillement d'un rideau. Car les lois sont sans merci dans cette société carcérale, et Alice sait à quoi tous deux s'exposent si leur secret est découvert. Pourtant, un jour elle aperçoit à la fenêtre une prisonnière se faire maltraiter par un soldat : toute prudence l'abandonne, elle décide de lui apporter une chaise.
Dès lors, leur vie va basculer.
« Monter Chaise d'Edward Bond était pour nous l'occasion de nous confronter à la singularité d'une écriture contemporaine, aux enjeux politiques qui l'animent, et à une parole poétique qui leur donnent sens. L'enjeu de ce travail a été de dépasser un catastrophisme de premier abord pour montrer en quoi l'imagination, la créativité et le dévouement sont des leviers de résistance.
Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur cet auteur ?
J'ai découvert Edward Bond avec Lear. Tout de suite, cela a été une évidence. Cette manière dont il parvient à conjuguer la brutalité et la musicalité des mots me bouleversait. J'avais envie de les dire à voix haute, de les entendre prononcer. Puis en lisant ses pièces courtes j'ai découvert peu à peu cette sorte d'urgence qui anime toute l'écriture de Bond. Ce traitement si particulier de la langue n'est en fait qu'un moyen pour nous faire parvenir de manière sensible des questionnements existentiels. Il ne s'agit pas en effet d'une poésie gratuite, ou encore d'un théâtre militant. Quand je lis des pièces de Bond, ce que je vois avant tout ce sont des situations limites, des hommes qui s'accrochent désespérément à la vie. Et c'est dans cette intensité dramatique qu'il nous amène à exercer notre sens critique.
Dans cette démarche, j'ai reconnu ma propre conception du théâtre : un espace accordé à la parole sensible et à la communauté.
Comment avez-vous abordé le travail ?
Chaise est pièce qui pose d'emblée des défis de mise en scène. Cependant avant d'envisager une quelconque transposition scénique, j'ai préféré me consacrer d'abord à la compréhension de cet univers textuel. Il m'a semblé primordial d'approfondir ce que cherchait à défendre l'auteur, quitte à s'en émanciper par la suite. Avec ma collaboratrice et dramaturge Clara Normand, nous avons donc mené une lecture analytique de La trame cachée (essai théorique publié aux éditions de l'Arche) et les discussions qui en sont nées ont énormément nourri et précisé les intuitions que j'avais pu avoir. Nous nous sommes particulièrement intéressées à deux problématiques récurrentes dans l'oeuvre de Bond - et particulièrement présentes dans Chaise : l'imagination et la justice. Ces deux thèmes tiennent une place fondamentale dans les choix dramaturgiques que nous avons faits par la suite.
Après ce premier travail en amont, le travail à la table nous a permis de réfléchir collectivement aux enjeux dramaturgiques de chaque séquence. Ensemble, nous avons discuté de ce qui nous paraissait obscur ou au contraire significatif. Puis, après cette longue étape de recherche et d'apprivoisement, une fois imprégnés du sens, mais aussi du rythme et de la poésie de cette langue, nous avons abordé la question de l'interprétation. Ayant mené parallèlement à ce travail à la table des exercices d'improvisation, nous avons utilisé cette nouvelle matière pour donner corps au texte, pour inventer une théâtralité à sa mesure. Après avoir travaillé sur sa dimension abstraite et réflexive, il s'agissait alors de donner à voir cette complexité le plus concrètement possible.
Comment avez-vous imaginé l'espace ?
Dans une pièce telle que Chaise - dont le thème est avant tout celui de l'enfermement - la scénographie est cruciale. Il s'agit véritablement d'une question dramaturgique.
Nous avons défini deux lieux bien distincts : l'espace du huis clos dans lequel Billy est enfermé, et qui peut être perçu comme le reflet du système totalitaire ; et celui du « dehors », qui fait référence à cette société de 2077. Celui-ci nous est révélé par la fenêtre, objet frontière, qui donne à voir un univers sombre, aseptisé, apocalyptique.
J'ai voulu également faire intervenir la vidéo car elle me permet de créer un troisième espace de sens. Contrairement aux deux premiers, celui-ci ne figure ni dans la fable, ni dans les didascalies, mais il hante toute la dramaturgie de Chaise. Ce troisième espace c'est l'univers imaginaire de Billy. La vidéo nous fait accéder directement à cette autre perception, aux fantasmes, aux rêves, aux angoisses de cet enfant poète-philosophe.
Au fond, que raconte pour vous cette pièce, et quel est votre parti pris quant à cette histoire ?
Il s'agit, on ne peut le nier, d'une pièce engagée. Bond se revendique « citoyen d'un monde encore à faire ». Le fait que la pièce se déroule en 2077 ne nous a pas semblé anodin : il ne s'agit pas de science-fiction, mais bien d'un futur proche. Bond nous met en garde : quel genre de monde travaillons-nous à construire ?
Toutefois, nous n'avons pas pour vocation de prophétiser l'apocalypse. Au contraire. Nous avons cherché à donner à l'ensemble de la pièce un éclairage qui pourrait être celui du regard de Billy, le regard de l'enfant, de l'artiste. Cette pièce ne doit pas être entendue comme une condamnation de l'humanité mais comme un message d'espoir adressé à celle-ci. Même la mort de Billy n'est pas tragique puisqu'il meurt pur, qu'il échappe à la compromission, au cynisme et à la fatalité. La brutalité de cette fin est pourtant porteuse d'un message très sensible : elle nous invite à rester humain, et pour ce faire, à continuer à rêver. »
Entretien avec Clémentine Vignais, metteure en scène de Chaise, d’après Edward Bond
Propos recueillis par Clémence Reach et Elizabeth Mazzocchi.
Comédienne de formation, Clémentine Vignais s’essaie à la mise en scène et offre un nouveau regard sur une pièce futuriste et intimiste d’Edward Bond : Chaise. Dans cette aventure humaine et professionnelle, elle entraîne la troupe dont elle fait partie depuis maintenant cinq ans : Les Voyageurs Sans Bagages. Souriante et chaleureuse, elle a accepté de répondre à nos questions et de nous livrer quelques secrets de fabrication.
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène une pièce d’Edward Bond plutôt qu’une création ?
Edward Bond est un auteur contemporain, et il est encore vivant donc on est confronté à son regard. C’est une pièce qui traite d’un sujet actuel mais que l’on peut transposer historiquement, la guerre en général. On peut aussi transposer ce thème à l’avenir, c’est ce que fait Edward Bond avec cette pièce qui se déroule en 2077. En ce qui concerne la création, la troupe ne s’y est mise que cette année avec L’Odeur des figues sauvages. Pour l’instant, ce sont les deux pièces les plus contemporaines que l’on ait pu faire.
Est-ce que ce sont les thèmes qu’aborde la pièce qui t’ont amenée à choisir Chaise ?
Déjà, j’adore la langue de Bond. Je l’ai découvert en lisant Lear, une réécriture de l’œuvre de Shakespeare. Ça a pu être au début un conflit entre la langue et moi car je devais l’étudier en anglais, une matière que je n’aime du tout. En fait, Bond transposait Le Roi Lear à l’époque du Mur de Berlin et j’ai trouvé ça fascinant, l’intelligence d’avoir remanié les mots dans un autre contexte historique. Cela veut dire que tout est possible mais cela veut dire aussi que tu peux dire tout et n’importe quoi. Tu peux aller dans tous les sens : c’est ce que font les politiques, c’est ce que font aussi les sectes, ils réécrivent la Bible à leur manière et tu peux comprendre tout et n’importe quoi. Après, c’est avec ta propre morale que tu fais les choses.
Tu avais donc un rapport affectif avec cet auteur ?
Non pas vraiment, plus avec la langue, même si j’aime beaucoup ce que Bond raconte sur l’acteur. Il a l’air d’être quelqu’un de bienveillant qui a envie d’ouvrir le théâtre aux jeunes. Le fait qu’il écrive une pièce qui parle de l’avenir, je considère que c’est un héritage qu’il nous offre et c’est pour ça que je suis en accord avec lui. J’ai été amenée à lire ses pièces plus courtes et j’ai hésité entre Si ce n’est toi et Chaise.
Qu’est-ce qui t’a décidé ?
Lorsque j’ai lu Si ce n’est toi, je me suis dit « ah c’est ça ! ». Après j’ai continué, car c’est une trilogie, j’ai lu Existence qui m’a plus mais ce n’est pas ce que j’avais envie de monter. La dernière pièce était Chaise et, à sa lecture, tout est apparu dans ma tête, j’ai vu la pièce comme s’il s’agissait d’une réalisation cinématographique. Je me suis dit que c’était n’importe quoi, que je ne voulais pas être réalisatrice, que ce n’était pas mon domaine. Mais ça m’apparaissait comme des images de vie, des décors monstrueux, ça a ouvert complètement mon imaginaire, j’ai vu quelque chose de très ambitieux. Je voulais quelque chose de grand, très grand, avec plein d’effets, avec du rêve. Cela m’avait fait rêver, donc à partir de ça... En plus Chaise se passe dans l’avenir : c’est propice à la création, à l’imagination, cela permet de créer une identité par rapport au texte, de s’en détacher pour pouvoir vraiment faire en sorte que la pièce nous appartienne.
Chaise était donc une évidence ?
Voilà. Puis, il y a l’aspect pratique, c’est une pièce courte, dans laquelle il y a très peu de comédiens. C’était ma première mise en scène donc je voulais aller sur un terrain qui reste clair. Petit à petit, j’ai constitué une grosse équipe, ça ne s’est pas fait tout de suite. J’ai proposé au fur à mesure des postes pour alimenter le travail parce que pour moi il n’y a pas que les comédiens dans une compagnie et autour d’un spectacle. Cette pièce, justement, nous permettait de faire appel à tout le reste : technicien, régisseur, réalisatrice, vidéo. Tous ces domaines grâce auxquels on pouvait vraiment faire un mélange entre tous ces arts : c’est ça que j’aime.
Justement en parlant de la « grosse équipe », lors des répétitions, nous avons constaté que vous travailliez tous dans la même salle, ceux qui répètent la pièce mais aussi celle qui crée le décor (Elsa). Ton secret pour te concentrer ?
On a un peu l’habitude, mais parfois je dis stop, je fais un rappel général en disant que c’est important, qu’il faut que tout le monde vienne car les comédiens ont besoin d’être soutenus. Mais je suis aussi capable de dire qu’un certain jour je ne veux que les comédiens et pas les autres parce qu’on a besoin qu’ils se centrent sur un travail acharné et qu’ils ont besoin de concentration.
Quelles ont été tes sources d’inspiration, autant pour le travail de préparation des comédiens que pour la mise en scène ?
Beaucoup de films, peu de livres, parce qu’encore une fois la pièce m’est apparue avec des images. Il y a eu Brasil, tous les films de Terry Gilliam, c’est d’ailleurs grâce à Bond que j’ai découvert Gilliam. J’avais vu L’Armée des douze singes mais je ne m’étais jamais vraiment intéressée au réalisateur et depuis j’ai vu pratiquement tous ses films. Je crois que c’est un artiste avec lequel je suis vraiment en accord, sur ma pensée du monde et sur la façon dont il faut amener les choses en tant qu’artiste, ce qu’il faut faire pour le monde. En plus je trouve ça beau, ça peut être noir, torturé, douloureux, mais en même temps il y a énormément de légèreté, énormément de passion et d’imagination. C’est le mot d’ordre qui m’a aidée durant tout le travail, car avec l’imagination, on lâche des choses, on crée des choses, et on se raconte des histoires. On s’est beaucoup raconté d’histoires sur les personnages : qui est?ce ? pourquoi il en est arrivé là ? Par exemple, moi je suis me racontée qu’Alice avait été dans un couvent et qu’au moment où elle s’est échappée, elle a rencontré Billy, l’a recueilli et que c’était le seul homme de sa vie. Ce n’est pas de la psychologie, c’était vraiment pour pouvoir rêver et se donner la liberté de le faire.
A partir de là, comment s’est organisé ton travail ?
Au début, je ne savais pas du tout comment on allait procéder au niveau de la méthode. Avec Clara, la dramaturge, on a commencé à partir de La Trame Cachée, un livre d’Edward Bond. On a essayé de décortiquer ça, c’était un travail difficile car on n’a pas forcément encore la maturité de tout comprendre, de tout saisir : il y a une dimension très philosophique chez Bond. On a compris ce qu’on avait voulu comprendre, on a pris ce qui était bon à prendre pour notre travail et laissé le reste en suspens pour l’instant. Et heureusement, parce que du coup il y a des choses qui nous échappent : c’est positif pour la création, parce que sinon on s’enferme dans l’esprit de l’auteur et on se perd. Ensuite, on a tenté de faire un power point (rires) sous la forme d’une explication globale aux comédiens, à toute l’équipe, pour savoir dans quel univers on allait partir, ce qu’on allait construire à partir de ce qu’on avait conclu de nos lectures. En parallèle, j’ai apporté plein d’images et j’ai demandé aux comédiens d’en sélectionner une sur la représentation qu’ils se faisaient de leur personnage, une sur leur idée de l’extérieur de la pièce (2077 n’existant pas encore) et une sur l’intérieur. On s’est rendu compte que c’était très différent dans la tête de chacun, du coup on en a discuté ; c’était aussi un moyen de se rassembler et d’essayer de créer une opinion commune. J’ai aussi travaillé avec Théo, qui est en Master de Géographie, et qui s’intéresse tout particulièrement aux questions socio-culturelles. Cela nous a fait avancer, car on est assez fermés dans le milieu du théâtre, c’est-à-dire que tout tourne autour des mêmes questions. Or, on est dans un monde, il faut savoir s’ouvrir à des gens qui sont ailleurs pour pouvoir s’échapper. On a aussi eu recours à un travail expérimental autour de thèmes que la pièce aborde, dont l’enfermement. Par exemple, un jour, j’ai enfermé chaque comédien dans une pièce dans le noir, les yeux bandés, les mains attachées sur une chaise, pendant quinze minutes. Cela paraît très tyrannique mais ça été très amusant, et choquant pour certains.
Ils t’ont détestée ?
Pas du tout. En fait j’ai bien précisé que le travail ne devait pas se faire sur le ressenti psychologique mais sur le corps : qu’est-ce que ressent le corps ? Il n’y avait pas de parole, il fallait qu’ils écrivent sur un cahier, ça a leur a permis de décharger des peurs pour certains. Je sais que Raphaël (Billy) a été très affecté par cet exercice. Il y en a d’autres qui ont été complètement insensibles à ça. On a beaucoup travaillé dans le noir, ça me semblait important parce que dans la pièce il y a du noir, il y a de l’étouffement, il y a quelque chose de froid et du chaud, c’est toujours extrême, il y a plein de choses contradictoires mais qui vont ensemble. Il fallait essayer de percevoir ça, mais pas par les mots, pas en intellectualisant les choses : en les vivant ensemble, toujours ensemble.
N’as-tu pas eu peur en choisissant cette pièce de te confronter à de grands prédécesseurs ? T’es-tu inspirée d’autres mises en scène, comme celle d’Alain Françon, par exemple ?
Pas du tout. J’ai d’ailleurs refusé de voir une quelconque mise en scène antérieure. En revanche, j’ai vu des entretiens et je me suis beaucoup appuyée sur Alain Françon parce que c’est la pièce qu’il a montée quand il est arrivé à la Colline. Il est assez proche de l’auteur, son travail va complètement dans le sens d’Edward Bond, alors que moi j’ai vraiment essayé de m’en détacher pour créer ma propre identité de metteur en scène. C’était aussi une pièce faite pour ça. Mon intention n’était pas du tout de copier ou de me faire envahir par quoi que ce soit. Après, je pense que si Bond voyait notre spectacle, il serait scandalisé. J’ai cherché à ce que les mots nous parviennent et nous touchent directement. Ce n’est ni naturaliste, ni réaliste, mais c’est proche de nous. C’est quelque chose qui nous appartient.
Tu nous a déjà parlé du fait que l’on fait souvent une opposition entre l’audiovisuel et le théâtre alors que ça n’a pas du tout lieu d’être, pour toi il y a un lien entre les deux. Pourquoi avoir mis de la vidéo dans Chaise ?
Oui, il y a un lien. Au théâtre, on utilise beaucoup la vidéo mais il faut l’utiliser d’une bonne façon. Par exemple, la vidéo utilisée comme un décor pour moi ça n’a pas de sens. Je ne comprends pas, le théâtre se suffit à lui-même. La vidéo doit être un apport au message, à la pièce, mais ne doit pas desservir le théâtre, au contraire. Là j’ai essayé de le servir. Ça tombait sous le sens, pour moi. Ma première idée pour la vidéo était qu’elle servait à voir l’intérieur de Billy. Donc toute son imagination débordante : cela permettait d’entrer en relation avec lui dès le début, de suivre son histoire, d’essayer d’avoir un autre angle de vue, une autre perception de la réalité. Déjà, on entre dans une réalité qui n’existe pas encore et qui peut-être ne sera pas celle-ci. Billy me sert aussi à dire que cette réalité va être déformée par la perception de l’enfant, l’être pur. L’espace de la vidéo servait à ça au début dans ma tête, elle a servi à d’autres choses après. En tout, il y a trois vidéos dans le spectacle, cela fait partie de la pièce car je les utilise comme des scènes. Par exemple, il y a un long monologue de Billy qui raconte une histoire à Alice : j’ai voulu valoriser ce moment-là en le mettant en vidéo et en ouverture de la pièce. Je sais qu’il y a des gens que cela peut déranger.
Oui, c’est étonnant, on vient pour voir une pièce de théâtre et on voit une vidéo...
En fait, le dispositif est la mise en place d’une bâche, et cela déforme complètement le visage du comédien. On entre déjà dans la perception de l’enfant. C’est une caméra subjective, c’est Alice qui lave Billy. Il y a la nudité, c’est assez bleuté, il y a de l’eau, de la mousse... Le spectateur se dit qu’il n’a rien à faire là. Mais c’est aussi pour instaurer déjà quelque chose d’intime car c’est une pièce intimiste. Ensuite le décor s’ouvre et on découvre Billy, en vrai. Mais il y a déjà quelque chose qui s’est passé avant. La deuxième vidéo est un cauchemar, on entre dans l’intériorité de Billy, on est dans sa tête. Quant à la dernière vidéo, c’est quelque chose de global qui marque la fin de la pièce. C’est le message que j’avais envie de faire passer. On voit les personnages à l’extérieur en train de casser des chaises ; la chaise qui représente Billy ; on tue, on est en train de tuer l’art, on tue l’artiste, on tue l’enfance, on tue l’imagination, et on ne s’en rend même pas compte parce que pour nous la chaise est un objet banal.
On a remarqué que la violence est un leitmotiv chez Bond, et nous avons été étonnées de ton choix de traiter la violence par le rire, notamment quand le soldat abat la prisonnière... On a plusieurs fois ri pendant la répétition.
Oui mais est-ce que ça ne vous a pas fait poser la question « pourquoi est-ce que je ris ? Est-ce que j’ai le droit de rire ? »
Si, c’est un rire nerveux...
Oui, et n’est-ce pas plus percutant que si on avait vu un soldat uniquement dans la violence, dans une position de pouvoir ? C’est une façon plus subtile et cynique de traiter la violence. Après, ça rend peut-être la pièce très digeste. Il faut apporter de la légèreté je trouve, sinon le spectateur a un mouvement de refus. J’ai déjà assisté à des choses très violentes, et moi, quand c’est trop violent, je décroche et je me protège. Je ne veux pas agresser le public, ce n’est pas mon but. Le personnage d’Alexis (le soldat), nous ne l’avons pas traité comme cela au début : il fallait qu’il apporte quelque chose de ridicule mais en même temps qu’il soit violent, et ça ne marchait pas. Du coup, on a totalement changé. C’est traité par le rire car dans le texte, les personnages violents sont ridicules. Peut-être qu’Alain Françon n’a besoin que des mots pour rendre ses personnages ridicules, moi j’ai besoin de beaucoup plus, d’aller beaucoup plus loin pour que la pièce soit un minimum accessible. Et puis, j’aime bien l’idée que le spectateur se demande « est-ce que j’ai le droit de rire ? »
Tu n’as pas peur que les gens qui n’ont pas lu la pièce viennent voir ta mise en scène et qu’ils soient choqués par l’humour dans cette situation grave ?
Tant mieux si c’est le cas... Parce que si le spectateur est choqué, il y réfléchira forcément. Et qu’il soit d’accord ou pas avec cette démarche, ça le fera quand même réfléchir et poser des questions, ça le scandalisera ou pas, mais je me rends compte, depuis que l’on joue Chaise, que l’humour nous arrange. C’est comme un enfant qui torture les fourmis : la violence est tout aussi terrible. Si l’on prend de la distance c’est un enfant qui tue des êtres vivants, mais lui n’a aucune conscience de cela. Pour lui c’est un jeu. On a tous vécu ça, c’est proche de nous, ça veut dire que n’importe qui peut se faire manipuler et sombrer dans quelque chose d’extrême.
Chaise a été financée en partie sur le site participatif Kiss Kiss bank Bank : pourquoi cette démarche ?
Pour l’aspect financier. On me dit que c’est un spectacle qui coûte beaucoup d’argent à la troupe, c’est le premier qui coûte autant, et il fallait que l’on trouve un moyen de se faire subventionner parce que l’on n’avait pas assez d’argent pour avancer. Le problème des demandes de subventions c’est que l’on avance les sous et on se fait rembourser après, et ce n’est même pas sûr que l’on se fasse rembourser, si le dossier n’est pas accepté. Donc j’ai proposé Kiss Kiss Bank Bank : tout le monde a ri...
Pourtant cela a bien fonctionné finalement !
Plutôt oui ! C’est aussi un moyen de se faire connaître. C’est essentiellement la famille et les amis qui ont donné mais cela permet d’être dans l’échange aussi. On nous donne de l’argent mais il y a une contrepartie, c’est le système du site. Du coup cela tient les gens au courant aussi, sur la création, ce qui se passe, on peut mettre des photos... Cela crée du lien. On fait aussi beaucoup de récup’, par exemple, on a construit nos décors en Bretagne.
De façon plus générale, penses-tu que cette solution de crossfounding est viable pour le spectacle vivant ?
Oui cela peut fonctionner, mais il ne faut pas trop en demander non plus (rires). Moi je repousse le moment où je devrai faire payer les entrées, je ne fais que du « chapeau ». L’argent c’est compliqué dans les métiers de l’art, on va y être confrontés très vite, du coup plus on repousse ça, mieux c’est. Je pense que c’est bien au début, mais après il faut savoir trouver d’autres solutions. On a fait une vente de gâteaux à Nanterre aussi. C’était fatiguant mais ça fait marcher l’échange, c’est un bon moyen parce que tu rencontres les gens en direct, et tu dois, d’une certaine manière, les intéresser à ce que tu fais. Ça nous apprend à défendre nos valeurs et nos spectacles, c’est ce qu’il faut faire.
Par rapport au financement participatif mais aussi au fait que votre résidence à Paris 3 s’appelait « invitation au partage artistique », on en conclut que le partage est quelque chose d’essentiel pour toi ?
Bien sûr, heureusement. Il y a des gens qui font du théâtre pour eux, on en voit pas mal, je ne vais pas commencer à critiquer le théâtre subventionné mais sur les scènes nationales il y en a quand même... Ce sont des gens qui s’assoient sur leur fauteuil car de toutes façons ils savent qu’ils seront soutenus et ils ont les moyens de le faire, de rester sur ce fauteuil. Pas de danger. A partir du moment où tu es dans le danger, tu commences, tu prends des risques, tu dois faire des choix : forcément ta logique est ouverte. On est quand même dans une idée de collectif. Le partage artistique, je trouve ça très bien, car tu as affaire à des personnalités, des caractères, tu entretiens un débat, du coup cela t’aide à te construire avec les autres, parce que tu peux te faire influencer. C’est aussi ça l’échange. Tu apprends beaucoup sur toi-même et en groupe, sur ce que tu veux vraiment. En France on fait beaucoup ça, on dit « toi, tu te tais, tu te mets au service du texte, et tu joues, c’est tout ce que je te demande ». Non. En Belgique ce sont des gens qui sont dans le débat en permanence, je pense au Tg STAN notamment, ils sont tout le temps en conflit, mais le conflit c’est génial, c’est de là que part le théâtre. S’il n’y a pas de conflit, il n’y a pas de théâtre, il n’y a pas de jeu, il n’y a pas de spectacle vivant. Je ne dis pas qu’il faut tout le temps être dans le conflit, mais il y a une façon d’être en conflit, cela s’apprend.
Tous les messages de la pièce de Bond, ce sont des messages que tu veux faire passer à tes spectateurs. Mais quels sont?ils, est-ce une révolte contre la société vers laquelle nous allons ? D’ailleurs, penses-tu que l’on aille vers cette société ?
Si je ne le pensais pas, je ne serais pas en accord avec ma pièce. Sincèrement, je suis scandalisée par pleins de choses, même à de petites échelles. Ça me tue à chaque fois de voir des SDF qui essaient de prendre des douches tous les jours, de bien s’habiller, qui sont encore dans la rue... C’est une catastrophe. Pour moi, cela montre qu’il n’y a plus d’écoute. Il y a tellement de fierté et d’individualisme, que du coup on ne veut pas baisser la garde et qu’on est tout le temps en contradiction, mais juste parce qu’il faut être en contradiction : du coup ça ne peut pas avancer. Après, moi, ce que j’ai vraiment envie que le public fasse en sortant de cette pièce, c’est se poser des questions. C’est la seule chose que je lui demande : se poser la question « mais pourquoi ? ». C’est ce que le texte veut aussi. Je ne veux pas dire que la société sera comme ça, qu’il faut penser comme-ci, c’est plutôt : « bougez-vous ». Il y en a qui peuvent, qui ont la place de pouvoir le faire. Moi je suis dans l’art, j’essaie de me bouger dans mon domaine, mais il y en a d’autres qui ont une place plus importante que moi et qui pourraient se bouger aussi.
Que peut-on vous souhaiter, à vous tous, pour la suite ? Où en êtes-vous de L’Odeur des figues sauvages, votre nouvelle pièce ?
En pleine création, on a présenté le work in progress à l’Université Paris 3 et devant Hélène Cinque. Et malgré les divergences d’opinions avec elle, elle souhaite renouveler l’expérience et c’est bien pour nous. Si cette femme veut nous suivre dans l’aventure, c’est que l’on vaut bien quelque chose. Vous pouvez nous souhaiter de faire notre chemin, de continuer, d’être toujours aussi dynamique et pleins de rêves.
Et quel avenir pour Chaise ?
Nous allons nous inscrire au Rideau Rouge, peut-être aux Rencontres artistiques à Arras ou à Ici & Demain, et également à d’autres festivals. Nous jouons du 17 au 23 février 2014 à l’ENS, il y aura trois représentations.