Le Prince
Date : Mercredi 3 décembre 2014
Horaires : 18h30 - 19h30
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre
© Valentin Chausson
Juste avant la compagnie
Metteur en scène : Jason Barrio
Assistante de mise en scène : Annika Weber
Arrangement musical : Valentin Chausson
Interprétation : Arthur Guillot
Novembre 1512. Le chef du gouvernement républicain de Florence est renversé par la famille des Médicis. Machiavel, serviteur de la République, est accusé de conspiration. Envoyé en prison, torturé puis finalement gracié et assigné à résidence, il rédige un ouvrage de philosophie politique pour se racheter auprès du prince de Florence.
Ce texte ne flatte pas les qualités et les mérites d’un monarque idéal ; il nous livre les rouages du pouvoir dans leur plus grande simplicité. Les intrigues, les manipulations, et les stratégies des hommes politiques d’hier y sont rassemblées. Sont-elles si différentes aujourd’hui ?
Le Prince est un traité sur le pouvoir : une fois donné au spectateur, qu'en fait-on ?
Nous nous sommes questionnés sur son actualité mais surtout sur la manière la plus propice de le faire entendre.
Qui est cet homme ? Quel personnage en fait-on ? Est-ce un professeur ? La passion qui jaillit du texte transcende une simple situation d’enseignement. La méthode de Machiavel est celle d’un homme extrêmement exigeant, d'un maniaque de la pensée et du rapport humain. La nécessité de donner aux concepts un corps sur le plateau nous a amenés à en faire quelqu'un d'illuminé, se rapprochant au début du spectacle d'un clochard emprisonné troquant sa liberté contre son savoir. Puis, une fois le personnage emporté par ses propres récits, excité par les images du pouvoir qu’il convoque, son savoir se donne à voir comme une obsession de la manipulation vers un objectif qu’il estime vital : régner dans la paix. Parce qu'à la fin Machiavel ne demande que ça : que « les hommes continuent à vivre en toute tranquillité ».
Entretien avec Juste avant la Compagnie
Rencontre avec Jason Barrio (metteur en scène) et Arthur Guillot (acteur), qui présenteront Le Prince de Machiavel ce mercredi 3 décembre à 18h30 à l’Espace Reverdy dans le cadre du Festival Nanterre Sur Scène.
Comment vous est venue l’idée de ce projet ? Est-ce une idée collective ?
Jason : Arthur et moi venons de la même formation, du conservatoire du 13ème arrondissement. On est sorti à un an d’écart de l’école, et on avait envie de travailler ensemble. J’avais lu le texte que j’avais un peu travaillé en khâgne et j’avais envie d’essayer d’en faire quelque chose, je l’ai présenté à Arthur qui a dit oui, puis non, mais au bout d’un moment ça s’est fait. On a commencé à travailler sur le texte avec un ami (Gabriel Giovannetti) qui est agrégé de Philosophie. L’adaptation s’est faite à trois pour arriver à en faire un matériel de théâtre.
Comment avez-vous choisi les extraits pour rendre sur scène une œuvre qui n’est pas du tout théâtrale à la base ?
Jason : J’ai commencé à faire des coupes pour essayer de faire de ce texte quelque chose qui serait un matériel dramaturgique au sens très large avec début, milieu et fin, et j’ai tenté de trouver une progression pour le personnage. J’ai commencé à faire des coupes, à chercher si elles nuisaient à la cohérence philosophique… C’est pour ça que ça a pris énormément de temps à adapter, quatre ou cinq mois : il a fallu beaucoup de négociations, sur des choses absolument fondamentales pour l’aspect philosophique qui moi m’échappaient totalement. Tout s’est fait par dialogue avec Gabriel, avec Arthur (l’acteur) qui disait parfois qu’il ne comprenait pas comment jouer ça. On appelle le spectacle Le Prince mais le titre plus exact devrait être « Extraits du Prince pour un matériel d’une heure de spectacle ».
Y avait-il un objectif particulier avec ce texte, une volonté de raconter quelque chose en particulier ?
Jason : Dans les coupes, on a enlevé tout ce qui était vraiment en rapport avec la période de Machiavel, tous les exemples concrets de sa période. On a gardé soit des choses très antiques soit très concrètes. Le but était de garder des choses pour que ce texte paraisse de plus en plus intemporel, qu’il ne soit pas ancré dans un moment donné. Nous ne sommes cependant pas là pour donner des leçons au public, il n’y a pas de volonté d’asséner quelque chose. L’idée serait davantage qu’on a des clés avec cette œuvre, qu’on la raconte et qu’on place le public à la place du Prince, qui, lui, décide. On ne veut pas expliquer des choses : on parle de tous ces exemples, de toutes ces théories, de toutes ces thèses et après on les laisse à l’appréciation du public. L’objectif était d’essayer d’être le plus neutre possible par rapport à ce texte là, à ce qu’il pouvait raconter.
Et au niveau de la mise en scène, comment rendre vivant ce texte ?
Jason : On a mis du temps (rires). J’avais une grande image, je voulais essayer d’avoir des journaux partout car ça me semblait intéressant que ce personnage soit tout le temps en train de lire l’actualité - idée qu’on a conservée. Mais au bout d’un moment, dans les répétitions, Arthur finissait par jouer avec des journaux en boule, pas en boule, avec ses vêtements, ça faisait un peu théâtre d’objet. Quelque chose ne fonctionnait pas, et quand Annika Weber (l’assistante à la mise en scène) est venue, elle nous a dit qu’on ne comprenait pas du tout le danger, la raison pour laquelle cet homme venait nous raconter tout ça. C’était très difficile d’installer une situation dramatique. En retravaillant après cette première phase de répétitions on a essayé de vraiment créer une situation, on a enfermé ce personnage avec une corde : c’était très simple mais ça a tout changé. Machiavel ne vient pas simplement pour raconter une histoire, il n’a pas le choix : il lui faut la raconter pour pouvoir sortir de cette prison symbolisée par la corde. Cette idée a permis de donner des lignes directrices très claires.
Il y a donc bien quelque chose d’actuel dans ce texte ?
Jason : Evidement, on a essayé de le rendre intemporel, c’est pour ça qu’on s’est attaché à garder tout ce qui était théorique car ça c’est toujours d’actualité alors que tous les exemples sont très loin de nous. Toute la pensée de Machiavel, sur la façon dont on arrive à maitriser un territoire, la façon dont on agit avec le peuple, avec les grands, fonctionne encore aujourd’hui quel que soit le régime. Lui-même a connu plusieurs types de régimes politiques, et on se rend compte que ce qu’il raconte, ce n’est pas simplement propre à la monarchie.
Lors de votre audition vous parliez de la volonté de présenter ce spectacle à des lycéens, pourquoi ? Y a-t-il une perspective éducative dans votre mise en scène ou cela vient-il d’une simple volonté d’amener les gens à réfléchir ?
Arthur : Je n’aime pas l’idée qu’on soit des éducateurs ou que ce soit un spectacle éducatif. Le spectateur qui va voir un spectacle se fait son éducation tout seul. Nous-mêmes nous ne sommes pas convaincus de quoi que ce soit. On ne dit pas en faisant ce spectacle : on a étudié le pouvoir et on en pense ça. Ce n’est pas une accusation non plus. Ce texte ne fonctionne pas comme ça, c’est un texte qui est froid, extrêmement froid. Nous l’adressons au public plutôt sous la forme d’une question. On sait tout ça, les politiques le savent, qu’est-ce qu’on en fait ? C’est ce que Machiavel dit à Laurent de Médicis à la fin du texte. Se poser la question c’est déjà un grand pas. Nous, on a été formés au théâtre, notre travail c’est d’avoir une réflexion sur un texte et de la transmettre.
Jason : C’est pour ça que jouer devant des terminales est intéressant : j’ai étudié ce texte en terminale puis en classe prépa. On l’étudie de manière scolaire, on étudie des passages, on commente, mais on n’entre pas dedans. Le fait d’inviter des élèves de terminale ou de prépa à entendre ce texte dans un temps donné, même si bien sûr il n’y a pas l’intégralité du texte, permet d’ouvrir un questionnement, je me dis qu’ils en garderont un souvenir peut être, qu’au moins ils auront eu accès à ce questionnement pendant une heure et que ce sera plus fort ou au moins complémentaire d’une étude sur le texte.
Arthur : Oui, complémentaire. Faire de Machiavel un personnage, dire le texte sur une scène, cela crée un enjeu. A partir de là on donne la possibilité au spectateur de se demander ce qui va se passer, ce qu’on ne fait pas en lisant un texte philosophique, on ne se demande pas comment vont finir les personnages.
Jason : La création d’une situation capte l’attention, crée du suspens. Il est intéressant pour des spectateurs de l’entendre comme l‘a certainement entendu Laurent de Médicis, vierge de toute forme de commentaire, de toute l’idée qu’on peut se faire du texte. Il est intéressant de revenir à quelque chose d’extrêmement simple et direct. D’ailleurs, Machiavel n’a pas écrit ce texte en se disant qu’il faisait un texte philosophique qui serait lu des centaines d’années après. Il essaie simplement de récupérer un poste perdu, il est beaucoup plus stratégique, il ne veut pas donner des leçons, il se met au service de quelqu’un.
Il s’agit alors de redonner ce texte, de le montrer de nouveau, toujours avec cette idée que les gens vont se poser des questions ?
Arthur : Bien sûr, il y a des phrases a priori choquantes, des choses extrêmement graves. Par exemple, il dit : « Les hommes ne peuvent être que gagnés par les caresses ou écrasés, parce qu’ils peuvent bien se venger des blessures légères mais pas des blessures graves. C’est pourquoi l’offense qu’on fait à un homme doit être telle qu’il n’y ait plus de vengeance à redouter. ». Quand on entend ça, on se dit : quelle horreur ! Mais à côté de ça il explique que lorsque tu fais ça, tu fais souffrir, et que c’est mal. J’ai presque envie de dire qu’il n’a pas d’avis en terme de ligne politique.
Jason : Il n’est pas vraiment partisan.
Arthur : Il ne prône pas des formes mais une méthode, il montre comment on gère un homme et un tas d’hommes qu’on a en face de soi et qu’il faut faire vivre ensemble. A partir de là il y a une question, obligatoirement : lui pense que les humains sont comme ça, dans le texte plusieurs fois il dit que les hommes sont ingrats, changeants, dissimulés, avides de gains… Mais il le dit de façon presque mathématique. C’est déjà quelque chose à partir de quoi il y a une question à poser. C’est sûr que c’est un grand texte philosophique qui a marqué, en affirmant des choses objectives et des choses discutables : tout le monde ne peut pas être d’accord, mais ce sont des idées fortes.
Quel avenir voyez-vous pour ce spectacle ?
Jason : On est en train de finaliser tout ce qui est dossiers, teasers... Je donne des cours de théâtre dans un lycée, on va essayer de le faire jouer là bas. On veut lui donner la visibilité la plus grande possible, avec un format lecture, un format jeu (avec plateau ou juste à la lumière naturelle). On veut qu’il puisse être visible dans plein d’endroits différents. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a choisi la forme du monologue, pour pouvoir le déplacer très facilement, le faire entendre très facilement. On vise donc une diffusion au sens large du terme.
Voulez-vous faire un autre spectacle du même type ? A partir d’un texte a priori non dramaturgique ?
Arthur : Le spectacle n’est pas né pas d’une volonté de faire du théâtre avec un texte qui n’est pas théâtral. On n’était pas sûrs d’y arriver, on voulait s’interroger sur le texte, se disant que peut être dans un mois on se dirait qu’on n’y arrivait pas. C’est juste que si un texte se prête à un plateau et qu’il y a une situation dramaturgique possible, ça m’intéresse. On ne va pas faire le Banquet de Platon…
Jason : Le spectacle déjà est neuf, il a quelques mois à peine, on va travailler sur la diffusion mais c’est du travail sur deux ou trois ans quand même… enfin j’espère ! Avant de se poser la question de remonter un texte philosophique ou littéraire, on travaille déjà sur d’autres choses qui n’ont rien à voir, comme un cabaret où on est comédiens tous les deux. Là, ça s’est présenté, on l’a fait, peut être dans cinq ou vingt ans on se dira qu’on remonte un texte comme ça mais pas tout de suite en tout cas, parce que c’est très compliqué et très fatiguant.
Propos recueillis par Lore Apesteguy, étudiante en Master MCEI