P’tite souillure

De Koffi Kwahulé

Date : Mardi 2 décembre 2014
Horaires : 18h30 - 19h55
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h25
Discipline : Théâtre

P’tite souillure

© Baal Compagnie

Baal Compagnie

Mise en scène, création sonore et scénographie : Camille Faye

Interprétation : Arthur Guillaume, Virginie Janelas, Antoine Théry, Noëllie Thibault

Création lumière : Benjamin Martineau

Régie : Clémentine Gaud

Administration : Élodie Marchal

Communication / Diffusion : Juliette Claessens

Elles [La pièce, La Fille] ne parlent pas d’inceste, elles ne parlent pas de la difficulté à communiquer avec ceux qui nous sont pourtant le plus proche, elles ne parlent pas du meurtre, elles ne parlent pas de la violence, elles ne parlent pas d’une mère qui veut avaler son enfant.

Elles parlent de la vie. De la vie qui continue malgré tout. D'une vie qui commence.

Ce n’est pas une pièce sur le malheur d’une enfant, P’tite Souillure est une pièce sur le bonheur d’après. D’après l’orage, d’après l’incendie, d’après le départ.

Il a fallu appréhender le texte de Koffi Kwahulé comme un matériau qui se révèle, se révélera toujours. À nous. Au fur et à mesure. Toujours. En découvrir ainsi les multiples profondeurs, toujours. Ne pas oublier l’histoire de cette famille, jamais. Sans se noyer dans une psychologie, nous gardons nos questionnements pour le moment présent, les moments de jeu, les moments de vie.

Pour que cette histoire se révèle à vous, en même temps qu’elle se révèle à nous. Un moment de vie fera toujours jaillir quelque chose derrière l’action, derrière le mot. Derrière ce que l’on voit se situe toujours ce que l’on devine, le spectre de la réalité, le reflet de la nature. Ce que l’on imagine ou ce que l’on aimerait voir. C’est là que naît la sensation, le sentiment, le désir aussi.

Nous avons donc cherché à faire exister ces deux entités : la réalité, le fait ; et le rêve, le fantasme. C’est entre ces deux tableaux que la pièce nous parvient.

Ainsi, la réalité rattrape la famille par le biais d'Ikédia. Son entrée dans la maison, dans leur vie, les ramène à une réalité longtemps refoulée : un « accident », un « hasard » survenu il y a sept ans.

C'est en partant de cette idée que s'est dessiné le traitement d'une notion aussi difficile que l’inceste : en allant chercher le geste ailleurs, dans les corps, la musique, la danse, le chant ; en allant chercher le lien entre le réel et l’imaginaire. Car comment mettre des mots derrière ce que ressent La Fille quand son père « l’excite de sa mélodie » ? La relation incestueuse née entre elle et lui, c’est peut-être justement ça : une mélodie, une chanson d’amour, d’amour mal placé mais d’amour, toujours. Ainsi, le point névralgique de cette relation d’attraction ou de répulsion réside dans le corps. Le sien et le mien.

Et il faut parfois qu’une tierce personne s’interpose entre deux corps pour les libérer d’une attraction néfaste...

« Une famille c’est comme un corps, avec sa peau, ses nerfs, ses veines, ses organes, ses globules rouges, ses globules blancs, ses anticorps… C’est un monde, un royaume un corps. Et lorsqu’un étranger pénètre, sans être attendu… »

Entretien avec Camille Faye, de Baal Compagnie

Issue d’une classe préparatoire littéraire à Lille, Camille Faye suit une formation professionnelle d’acteur avant de créer, en juillet 2012, Baal Compagnie. La compagnie a depuis monté deux spectacles et s’attaque au troisième, tout en pensant au quatrième. Leur interprétation de P’tite Souillure, de Koffi Kwahulé, a déjà été repérée au Festival Ici & Demain en 2013 et au festival Péril Jeune en 2014. Le spectacle a reçu le prix du public de la Sorbonne Nouvelle et a été sélectionné pour le Festival Nanterre sur Scène en décembre 2014.

Comment est née Baal Compagnie ?

La compagnie est née de mon initiative. J’ai rapproché des personnes que je connaissais et en qui j'avais confiance : que ce soit des personnes rencontrées en prépa littéraire ou bien mon frère, créateur lumière. Nous nous sommes retrouvés à trois ou quatre pour fonder la compagnie autour d’une commande que j’avais passée à un jeune auteur (Florent Perget), Heureux pour toujours, une adaptation de conte. Tout s’est fait très vite puisqu’en juillet 2012 nous avons créé la compagnie et en septembre de la même année, nous jouions le premier spectacle avec deux comédiens, présents également dans la distribution de P’tite Souillure. Il existe une réelle loyauté dans cette compagnie, centrée autour d’un noyau dur de comédiens. Nous étions majoritairement étudiants à la Sorbonne Nouvelle. Le projet a grandi en même temps que nos études. Nous les quittons peu à peu, tout en gardant ce socle d’étudiants. Mais une chose est sûre : notre objectif est professionnel, et nous voulons l’atteindre le plus vite possible.

Donc vous avez cherché à faire de compagnie un ensemble convivial et amical.

Tout à fait. Ce sont des rencontres humaines. Nous ne nous verrions pas travailler avec des gens que nous ne connaissons pas. Nous fonctionnons sur un principe de résidence : pendant les répétitions nous restons près de dix à vingt jours dans un même lieu, nous vivons ensemble dans une maison vingt-quatre heures sur vingt-quatre, nous travaillons, recherchons, répétons tous les jours. Il est donc primordial qu’humainement tout se passe bien. C’est aussi de là que viennent des créations sincères. Nous aidons chacun à trouver sa place dans le groupe.

Quel a été le parcours de Baal Compagnie depuis ses débuts ?

Il y a eu Heureux pour toujours, qui est une création originale. Ensuite il y a P’tite Souillure de Koffi Kwahulé, spectacle que nous avons monté à l’été 2013. A ce jour nous avons un nouveau spectacle de prévu et un projet sur lequel nous travaillons.

Vous allez présenter P’tite Souillure de Koffi Kwahulé. Comment avez-vous découvert le texte ?

Je l’ai découvert lors d’un stage de comédienne à l’ESAD animé par un comédien, Victor de Oliveira, un spécialiste des textes africains. Nous avions travaillé beaucoup de textes, dont celui-là. Il m’avait vraiment marquée. Lors de la création de la compagnie et de notre premier spectacle, j’ai observé les comédiens et la pièce m’est revenue en mémoire. Je me suis dit : « Elle est pour eux, on va en faire quelque chose ». De plus, Koffi Kwahulé travaille beaucoup avec la musique. Avec Heureux pour toujours, nous avions commencé à structurer notre esthétique, tant au niveau de la lumière que de la musique et de la scénographie, et cela s’adaptait complètement à P’tite Souillure.

La musique semble un élément indissociable de votre travail.

Oui. Pour nous, la musique est un élément fondamental du théâtre : les musiques viennent avant les répétitions pour moi. Pendant que les comédiens apprennent le texte, avant même que l’on passe aux détails pratiques, les musiques sont déjà là.

Lors de votre stage, vous avez dit avoir travaillé sur des textes africains. Y a-t-il une spécificité de ces textes ?

Cela dépend des auteurs. Dans le cas de Koffi Kwahulé, je crois qu’il y a forcément une marque. Il y a des références à des traditions africaines. Dans P’tite Souillure on parle du masque, de la danse. Mais au fond, je pense que ce qu’il veut, et ce qu’on a vraiment accentué, c’est l'universalité de cette histoire. L’intrigue de la pièce est une histoire qui peut se passer aujourd’hui comme il y a trente ans, en France comme aux Etats-Unis ou en Afrique. Il n’y a pas de lieu donné. Et je pense que c’est ce qu’il cherche. Je ne crois pas que cela l’intéresse que l’on monte la pièce en référence à l'Afrique uniquement. Je pense qu’il veut parler à tout le monde, et cela vaut pour nous aussi. En tant qu’européens, ce serait surfait et factice de notre part d’essayer de créer une ambiance ivoirienne. On a plutôt rapproché la pièce de nous et de notre public.

C’est cette universalité qui vous a interpelée dans cette pièce ?

Entre autres. Mais il y a aussi la langue que je trouve virtuose dans cette pièce-là. Elle parle d’inceste et de meurtre, j’ai du mal à voir deux sujets plus horribles et plus difficiles, mais la manière d’en parler est d’une douceur incroyable. Cela ne dédramatise pas le sujet mais cela permet de le rendre audible. Le problème avec les histoires de meurtres ou de viols et d’incestes, on le sait, c’est qu'ils sont bien souvent passés sous silence. Koffi Kwahulé a trouvé la langue et la manière d’en parler et de nous le faire entendre, qu’on puisse voir cela sans que ce soit trop dur. Cela m’a vraiment intéressée. D’une famille très ordinaire nous passons à une famille complètement torturée, où règne le non-dit. Il a suffi qu’un intrus débarque un soir de fête pour faire ressortir tous ces secrets-là, et je crois que ce sont des histoires assez communes, qui arrivent dans n’importe quelle famille, sans pour autant qu'il s'agisse de sujets aussi difficiles. Koffi Kwahulé est très attaché à l'utilisation de la musique, du jazz. Nous utilisons donc la métaphore de la musique, du chant, de la danse, pour aborder le sujet de l'inceste. Le montrer crûment ne sert à rien. Les gens savent très bien de quoi il s'agit, cela n’a aucun intérêt. Et puis, au même titre que les traditions africaines, comment demander à une comédienne de jouer une fille violée par son père ? Ce n’est pas que ce soit trop dur émotionnellement, c’est juste que l’on ne sait pas, qu’on ne connaît pas ce ressenti.

Koffi Kwahulé parle de sa pièce comme d’une tragi-comédie. Selon quelle tonalité avez-vous eu envie d’aborder ce texte ?

J’ai envie d’en faire un spectacle où les gens peuvent choisir s’ils veulent rire, se morfondre, ou s’offusquer. Dans le texte il y a des répliques et des situations tellement décalées qu’elles sont comiques. Nous avons placé ces scènes comiques sur une ambiance très noire avec une musique et une lumière plus anxiogènes pour créer ce paradoxe. Cet effet-là a des répercussions intéressantes sur le spectateur : le public ne sait pas trop s’il doit rire ou être horrifié. D’une représentation à l’autre, c’est totalement différent. Certains soirs le public est hilare, et d’autres il est bouleversé. Ce que je trouve intéressant c’est vraiment de laisser le choix au public. On ne leur présente pas une ambiance totalement noire, même si la manière dont on travaille, l’esthétique qui en ressort et qui est la mienne le sont vraiment. Cette ambivalence permet au spectateur, et c'est un principe auquel nous tenons, de prendre part à la création du spectacle, le temps de la représentation.

Cette ambivalence ne vous a-t-elle pas posé de difficultés lorsque vous avez pour la première fois abordé la mise en scène et le jeu des acteurs ?

J’avais déjà imaginé une trame et beaucoup d’images m’étaient venues à l’esprit. En arrivant sur le plateau avec les comédiens, il y avait déjà des choses inscrites dont on avait parlé ensemble et que je leur avais transmises. Ils ont vu des films (Funny Games de Haneke, Darling de Jean Teulé), ils ont écouté des musiques. On a beaucoup travaillé sur cette ambiance visuelle et sonore. Sur le plateau, nous avons juste eu à mettre en corps ce qui m’avait traversé l’esprit, des choses que j’avais envie de voir. En arrivant en répétition, je savais déjà comment je voulais traiter cette notion d’inceste avec la musique, c’était déjà une ligne directrice très précise. Le plus dur a été la complexité de la pièce : nous avons dû définir les moments qu'ils fallait mettre en exergue pour que les gens comprennent bien. Nous avons aussi fait des coupes dans le texte pour l’alléger, le rendre moins complexe. Cela se faisait aussi en fonction des retours que l’on nous avait donnés sur la pièce.

Vous avez coupé certains passages du texte original. Avez-vous retravaillé le texte également ?

Je n’ai rien réécrit, évidemment. C’est une langue très particulière et je ne suis pas Koffi Kwahulé ! Même si certains passages nous ont posé des problèmes, je vois dans ces difficultés-là des moments superbes. Quand on bloque sur quelque chose, c’est à ce moment-là que l’on cherche encore et encore quelque chose d’intéressant. Si tout est facile, et que cela coule tout seul, ce n’est pas normal. Ce n’est que ma vision, mais si dans la manière d’aborder le texte cela semble simple, c’est que l'on a raté quelque chose.

Avez-vous repris le décor de Koffi Kwahulé ou l’avez-vous imaginé ?

Nous l’avons imaginé. C’est parti d’abord de la matière dont est fait le mur du fond. Il est en galva, une sorte d’aluminium. C’est une matière qui reflète beaucoup la lumière et les corps, un peu comme un miroir déformant. Je savais que c’était ce matériau que je voulais utiliser. Nous avons eu ensuite l’idée d’un mur qui symbolise la maison de manière très neutre. Ça ne m’intéresse pas de rendre réaliste la maison. Le personnage d’Ikédia l’annonce au début, le spectateur comprend tout de suite qu’il s’agit d’une maison. Je ne veux pas tout illustrer. Cela oblige les gens, et j’aime beaucoup ça, à s’imaginer les choses. Le mur symbolise la maison sans la montrer.

Cela rejoint votre conviction évoquée plus tôt de vouloir laisser le spectateur décider de ce qu’il a envie de voir.

Cela lui laisse une liberté, sans lui imposer mes choix et mes points de vue.

L’ambivalence de la pièce se manifeste aussi par le décor. D’après vous, la table symbolise la convivialité, et le mur symbolisant la maison est très froid. S’agit-il d’une illustration de cette ambiguïté ?

C’est l’ambivalence de cette famille-là. Ce sont des gens qui ont eu une très bonne éducation (cela se voit surtout chez le père et la mère). C’est une famille bourgeoise très polie mais emplie d’une telle culpabilité par rapport au meurtre et à l’inceste que cela la rend malsaine. L’idée de juxtaposer l’image de la fête et de la convivialité avec quelque chose de beaucoup plus froid symbolise le paradoxe de cette famille-là. Famille qui semble très sympathique de l’extérieur, très aimée de son entourage. Mais au fond ce n’est pas ce qui se passe, c’est beaucoup plus dur. Et le mur en galva a ce principe : il reflète ce qui se passe mais en le déformant. Lorsqu'une lumière bleue est projetée, le mur devient bleu, etc. : c’est un peu un mur caméléon. Il se transforme au fur et à mesure de la pièce.

Avez-vous d’autres projets par la suite ?

Nous sommes actuellement en création du nouveau spectacle Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz, dans un univers plus fantaisiste et plus décalé que P’tite Souillure, mais toujours dans une exigence esthétique précise, liant musiques, lumières, maquillages et force du comédien. Ce spectacle devrait être prêt début février 2015. La bande annonce est d'ailleurs visible sur notre site et notre page. Viendra ensuite une petite forme, un monologue, adapté d'une BD d'Olivier Ka et Alfred, Pourquoi j'ai tué Pierre.

Propos recueillis par Hermine Parmentier, étudiante en Master MCEI