Frérot et Sœurette

Mise en scène : Sasha Paula

Librement adapté du conte des frères Grimm
par la Compagnie Demi-Lune
Université Paris Nanterre

Tout public à partir de 7 ans

Date : Mercredi 27 novembre 2024
Horaires : 20h - 21h10
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h10
Discipline : Théâtre

Frérot et Sœurette

Sasha Paula

Librement adapté du conte des frères Grimm

Avec : Olivia LUCIDARME, Nicolas LUCAUD, Danaé PHILHAN et Basile YAWANKÉ
Création lumière et vidéo : Sasha PAULA, Thibault DALMASSO et Antoine FLAMENT
Création audio et musicale : Cyril DÉLÉCRAZ

Deux orphelins, fuyant la cruauté de leur tutrice, s'enfuient à travers le vaste monde. Après des heures d’errance, ils se retrouvent dans une forêt. Épuisés et assoiffés, Frérot et Sœurette cherchent une source, mais leur persécutrice, en réalité une sorcière, a ensorcelé toutes les eaux. Près d'une rivière, Sœurette entend le murmure de l’eau : "Celui qui me boit devient chevreuil". Frérot ne tient pas compte de cet avertissement, et se transforme en chevreuil. Lui qui avait si peur de la forêt, se retrouve face à son animalité. Comme dans tous les contes, un beau roi débarque d'on ne sait où pour les sauver. Sans surprise, il propose à Sœurette de l’épouser… C’est alors que notre histoire s’affranchit du conte des frères Grimm. Ont-ils vraiment besoin d’être sauvés ? Sœurette a peut-être envie de s’affranchir de ce qui lui est destiné.

Cette errance sauvage leur apportera sans doute bien plus qu’une vie de château.

Entretien

Dans le cadre du Festival Nanterre sur scène, nous avons eu l'opportunité de rencontrer Sasha Paula, metteur en scène de Frérot et Sœurette. Lors de cet échange, il nous a partagé sa vision de la réécriture du conte, abordant des thématiques fortes telles que notre rapport au vivant et la question du patriarcat.

« L’Invitation à réinventer des histoires connues fait partie des fonctions premières du théâtre. Dans ce médium, le rapport au texte est beaucoup plus mobile car vivant. La société change et donc le récit se doit de suivre cette évolution. » — Sasha Paula

Qu’est-ce qui vous a poussé à adapter le conte Frérot et Sœurette au théâtre ?

Sasha Paula : Nous étions à la recherche d’un conte à adapter avec un rapport à la forêt et au vivant. Les entités naturelles sont présentes dans beaucoup de contes. Ils attribuent souvent à la forêt une vision de danger mais aussi de refuge, de liberté, et d’émancipation. La forêt est aussi lieu d'initiation, les épreuves dans les contes classiques se font souvent au sein de celles-ci.

Plus spécifiquement dans Frérot et Sœurette, les adelphes vivent dans la forêt pendant une période longue. J’ai estimé qu’il était d’autant plus important d'évoquer notre rapport au vivant. C’est aussi un des rares contes qui convoque la notion d’anthropomorphisme, l’Eau parle, et est un protagoniste à part entière. La question de l’humanisation de la nature était donc une question à aborder dans la réécriture.

Vous avez décidé de modifier le schéma narratif du conte, plus particulièrement la fin. Quel propos ce changement sert-il ?

Lorsque nous avons découvert le conte avec Olivia, beaucoup de questions ont été soulevées. Frérot et sœurette n'évoquent pas des rapports adelphiques comme Hansel et Gretel. Ici, les frères et sœurs représentent deux facettes d’une même personnalité : la pulsion d’envie, illustrée par Frérot, et le contrôle rationnel, illustré par Sœurette. Dans le récit originel, le roi vient imposer leurs fiançailles à Sœurette : cet aspect, que nous trouvions comique tant il paraît absurde, était désormais à analyser. Le refus de Sœurette, qui fait partie des éléments de modification du récit original, s’explique par une énorme différence d’âge et de consentement : la raison de Sœurette lui permet de rester intègre, fidèle à ses valeurs, et de s’opposer à cette forme d’autorité absurde illustrée par le roi.

Le spectacle débute en évoquant les modifications faites par le metteur en scène : ainsi nous pouvons jouer avec cette évolution textuelle devant un public conscient des évolutions. L’invitation à réinventer des histoires connues fait partie des fonctions premières du théâtre. Dans ce médium, le rapport au texte est beaucoup plus mobile car vivant. La société change et donc le récit se doit de suivre cette évolution. À la fin de la représentation, on confie notre version revisitée au public, qui est libre de l’interpréter à sa façon.

Plusieurs analyses psychanalytiques du texte ont été réalisées, notamment celle de Bruno Bettelheim dans son ouvrage Psychanalyse des contes de fées. Quelle est votre interprétation du conte ?

La psychanalyse a en effet souvent été un outil d’analyse dramaturgique. Notre interprétation s’est concentrée sur le rapport au vivant, à l'animalité. Je souhaitais aussi aborder la question de l’émancipation par rapport à la figure de l’adulte, à laquelle est venue se fixer la notion d’insolence. Il me semblait donc nécessaire de représenter un désaccord avec des personnages adultes tels que le roi.

D’autres sujets tels que la sauvegarde de l’environnement et le refus d’un patriarcat coercitif et millénaire sont évoqués de façon beaucoup plus sous-jacente. Le « non » de Sœurette après avoir été demandée en mariage par le roi marque le point d’orgue de cette émancipation naturelle.

Déjà dans le conte, Sœurette a un rôle principal, votre version semble renforcer cet aspect, pouvez-vous nous en dire plus ?

Sœurette, qui est sortie du chemin tracé par sa marâtre et par le roi, va expérimenter l’errance. Cette errance peut alors être interprétée de différentes façons : comme un état de perdition ou une décision volontaire. Cette émancipation et ce refus des sentiers tracés fait écho avec le passage de l’enfance à l'adolescence : où le besoin de se chercher entre en conflit avec certaines obligations sociales.

Vous avez décidé de personnifier la Nature. Selon vous, quel rôle joue-t-elle dans le récit ?

J’ai décidé de personnifier la forêt afin de la rendre plus appréciable par le public.

La rendre loquace permet de souligner son importance et de la respecter. La nature a beau être colérique, elle est en même temps pleine de dérision. Le comique est toujours présent, il ajoute du relief et de la profondeur à l’œuvre.

Comment en êtes-vous arrivé à l’idée de projection sur tulles pour la scénographie ?

Les tulles peuvent aussi bien représenter un intérieur que des arbres.

Pour concrétiser la scène, l'idée du vidéo mapping nous paraissait idéale pour apporter un contexte et créer une atmosphère à la lisière entre l’abstrait et le figuré. J’espère que le public se sentira immergé autant que nous l’étions lors des représentations générales !

Jouer à Nanterre sur scène, c’est jouer avant tout devant des étudiant·es, des lycéen·nes… Est-ce quelque chose qui revêt une importance particulière pour vous au regard des thèmes abordés dans la pièce ?

Du fait de la notion de spectacle « tout public » que nous défendons, nous avons hâte de voir comment la pièce sera reçue et les différentes interprétations qui en émergeront. Il est très important pour nous de créer des pièces accessibles à tout le monde : les spectacles sont généralement répertoriés comme étant pour adultes et enfants, mais la tranche d’âge entre 12 et 19 ans nous semblait négligée. Chaque conte est sujet à diverses interprétations et analyses suivant l’âge auquel on découvre celui-ci. Des récits aussi universels nous permettent de découvrir la profondeur de nos évolutions personnelles et intimes, d’autant plus que l’adolescence correspond à une phase de changements intenses.

Propos recueillis par Léo SLIWKA, étudiant en M1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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