La Tour de La Défense

Mise en scène : Lewis Janier Dubry

De Copi
par la Compagnie du Sixième Mur
Conservatoire Maurice Ravel (Paris)

Spectacle déconseillé aux moins de 11 ans

Date : Vendredi 29 novembre 2024
Horaires : 19h - 20h15
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h15
Discipline : Théâtre

La Tour de La Défense

Lewis Janier Dubry

D’après La Tour de la Défense de Copi

Avec : Louis CERTAIN, Manaëlle COBRA, Marius PONNELLE, Tom RUNDSTADLER, Sylvain SEPTOURS et Théo URTUBEY
Scénographie et accessoires : Sylvain SEPTOURS et Julia FARKAS
Création sonore : Basile LACROIX-BOETTCHER

C’est 1977, bientôt 78, c’est le soir du nouvel an, au 13e étage d’une tour d’un quartier d'affaires flambant neuf.

Ce qu’on y voit : un couple qui ne s’aime plus, une mère éplorée sous acide, un travesti mythomane, un homme mangeur de reptiles, des animaux, partout, qui rentrent par les fenêtres, remontent les canalisations, beaucoup de neige, et puis l’explosion finale, le grand feu d’artifice.

C’est le 31 décembre, la dernière nuit de l’année, où tout, même le pire, est rendu possible dans ce huis-clos infernal, ce salon où l’on se frappe, se crie et se crache dessus, mais dont personne, jamais, ne se résigne à sortir.

Entretien

Dans le cadre du Festival Nanterre sur scène nous avons rencontré Lewis Janier Dubry, metteur en scène de La Tour de la Défense. Nous avons pu échanger avec lui autour de la création du spectacle, de sa compagnie et du sens qu’il y a à monter un texte de Copi aujourd’hui.

« Les personnages ne peuvent rien faire d’autre que rester, que d’être ensemble parce que c’est là qu’ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent. »

Qu'est-ce qui vous a donné envie de mettre en scène La Tour de la Défense de Copi ? Comment avez-vous découvert cet auteur ?

Lewis Janier Dubry : Copi est un auteur qu'on m'a conseillé de lire, parce que c'est un incontournable du théâtre du XXe siècle. J'ai tout de suite accroché avec son goût pour l’absurde, c’est un de mes premiers amours de théâtre. En parallèle de ces lectures, étant élève au conservatoire du 13e arrondissement, j’ai monté une carte blanche. J’ai choisi La Tour de la Défense car il y avait à la fois cette folie caractéristique de Copi et des points d'accroche très concrets pour travailler – notamment parce que cette pièce reprend les codes du théâtre de boulevard. Je l’ai montée dans ce cadre avec un format de 30 minutes. Puis, nous avons participé à un festival. L’objectif est alors devenu de monter la pièce en entier. Je me suis davantage plongé dans le texte : certes, il reprend les codes du boulevard mais il ne faut pas oublier que Copi est un auteur homosexuel à une époque où l’homosexualité était réprimée et c’est ce que je trouve très fort dans l'œuvre de Copi. Il a beaucoup de sarcasme par rapport à ces questions et c’est quelque chose qui m’a touché. J'ai voulu vraiment monter cette pièce en entier pour rendre compte de toute cette violence qu’il traite avec une forme de rire particulière.

Comment comprenez-vous la dernière phrase de la pièce « Parfois Dieu arrive soudainement » ?

LJD : C’est une pièce qui est très immorale sur plusieurs points, en particulier dans le contexte dans lequel elle a été écrite. La sexualité est débridée, les personnages qui sont mis en scène sont des marginaux. C’est une pièce qui était forte politiquement à l’époque où Copi l'écrit. Alors, selon moi, terminer sur Dieu qui représente la moralité, la droiture, c'est une manière irrévérencieuse pour Copi de parler de la vie et toujours, avec sarcasme, de se moquer. Ça évoque l'absurdité de la vie et des événements, l’idée que la vie n'a pas vraiment de sens.

Ce que j'adore aussi dans cette phrase, c’est qu’elle est ouverte et qu’elle soulève plein de questions. Il y a plusieurs interprétations possibles : il y a des comédiens et des comédiennes sur le projet qui sont persuadées que les deux survivants sont les deux seules bonnes personnes et qu’elles ont été épargnées par Dieu. Si nous regardons du côté des personnages : il leur est arrivé tellement de choses, tellement violentes et tellement fortes, que tout ce qui leur reste c'est d'essayer de se raccrocher à quelque chose, n’importe quoi, pour espérer trouver du sens. J'ai l'impression que c'est un peu ce dont il est question dans la pièce : cette quête du sens.

Vous demandez aux comédien·ne·s de toujours jouer au premier degré. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre manière de diriger les comédien·ne·s de La Tour de la Défense ?

Je travaille d’abord le texte seul et j’en extrais des « points de rendez vous ». Ensuite les comédien·ne·s et moi avançons ensemble, au même niveau. Nous tentons de trouver les trajets jusqu’à ces points, qui sont des sortes d’étapes. Il y a des évolutions au fil de l’histoire et c’est sur elles que nous nous appuyons pour dessiner les personnages. Nous pouvons parler par exemple du personnage de Micheline qui endure énormément tout au long de la pièce. Dès le départ, quand elle arrive, il y a tout un travail sur la question du genre parce qu’elle est décrite comme travestie dans la pièce de Copi – en fait, avec nos yeux d’aujourd’hui, c'est un peu l'ancêtre d'une personne transgenre. Sur ces questions nous essayons de regarder le personnage avec le plus d'humilité et d'honnêteté possible. Qu'est ce qui relève de la dysphorie de genre par exemple ? Ensuite, il y a les scènes d’humiliation. Comment est-ce qu'elle peut encaisser, encaisser, encaisser, sans jamais partir ? Toutes ces questions permettent de cartographier l’évolution du personnage, ce sont des points de repère pour le comédien et pour moi.

Dans le dossier artistique, il est question d’un « hyperprésent » qui guide le jeu des comédien·ne·s. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dans la pièce de Copi, les personnages n'ont pas le temps de réfléchir. Ils n'ont pas le temps de comprendre qu'un serpent est sorti des toilettes, qu'il y a un hélicoptère qui s'écrase sur la tour d'en face… L’hyperprésent c'est ça : ne pas laisser de temps psychologique. Par exemple, pour schématiser, nous sommes très loin de Tchekhov et du théâtre naturaliste où il existe de longs moments de psychologie. Chez Copi la psychologie est corporelle, instinctive. Les personnages n’ont pas le temps de réfléchir : ils endurent les événements.

Vous avez, avec Sylvain, fait le choix d’un décor comme « d’un petit monde très conscient de sa propre artificialité ». Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous avez travaillé ensemble la scénographie du spectacle ?

J’ai un rapport instinctif à la mise en scène. Évidemment je vais d’abord beaucoup travailler le texte, et Sylvain m’aide avec la dramaturgie, mais, très vite j'ai des images qui m'apparaissent, ou les points de rendez-vous dont je vous parlais. Donc, la scénographie, tout comme les costumes ou les prothèses de nez, m'est venue très naturellement à partir de ces images. En plus, cet aspect artificiel du spectacle fait écho à la carrière de Copi, qui était caricaturiste.

Justement, qu’est-ce que ces faux nez symbolisent pour vous ?

J'aime au théâtre créer une distance. Arriver dans un monde qui est déjà à part permet de mieux regarder le monde réel qui nous entoure. Ces personnages, pour moi, il fallait qu'ils soient un peu irréels. Les nez servent à ça. Ils en font des personnages qui sortiraient d'une BD. Et avec la scénographie, les grandes toiles blanches avec les meubles dessinés dessus… c’est un tout. L’idée est également de permettre aussi au public de s’identifier aux personnages d’une autre manière : puisqu’ils ne nous ressemblent pas physiquement, le public va avoir tendance à chercher leur humanité, leur intériorité, et s’y chercher.

Quand nous avons rédigé la feuille de salle du spectacle, nous avons dû nous interroger sur le centre du spectacle. Si vous deviez en citer un, lequel serait-il ?

Tout converge à la mort de Katia – la fille de Daphné. Cet événement rebat les cartes. Dès le début de la pièce, il y a tous ces événements qui s'enchaînent et qui pour moi, dans la dramaturgie, convergent vers cet infanticide, qui est un paroxysme de l'horreur. À partir de cette mort, la sympathie que nous avons eue pour les personnages, le rire, les évènements… tout prend une autre couleur. C’est à ce moment-là qu'apparaît leur nature, qui ils sont vraiment. Luc par exemple, qui a rejeté Daphné jusqu’ici, est celui qui la protège le plus. Micheline, quant à elle, alors qu’elle est une personne travestie à une époque où cette pratique est réprimée, va être celle qui veut appeler la police. Leur rapport à ce meurtre nous fait tout questionner à nouveau chez les personnages qui sont pourtant au plateau depuis le départ.

Le texte parle de mort, de drogue, de sexe : des sujets qu’on peut dire « tabous ». Or le théâtre est le lieu où l’on regarde. Comment est-ce que ce paradoxe a été vécu au moment de la création ?

J’ai l'impression que le côté tabou des sujets abordés était vrai à l'époque de l'écriture mais plus forcément aujourd’hui. Si nous pensons à l'homosexualité ou à hypersexualité, aujourd’hui c'est quelque chose qui est présent partout. Je pense que le paradoxe existait dans les yeux des spectateurs et des spectatrices des années 1980. Le tabou qu’il nous reste est peut-être la mort et c’est vrai que dans la pièce il y a beaucoup de morts violentes, notamment cet infanticide. Traiter de ce dernier est justement quelque chose qui était compliqué. Copi le fait avec tellement d’humour – très noir – que ça nous a permis de mettre une distance pendant le travail. Nous le jouons au premier degré mais, dès que nous sortons de scène, nous réussissons à en rire. Le rire, même jaune, est la meilleure arme que nous avons eue face à ça. De plus, les personnages de La Tour ne sentent pas les tabous quand ils sont ensemble. Ils vivent entre eux, dans le microcosme qu’ils créent. En résumé, je pense que le plus beau c’est que cette œuvre soit encore montée aujourd’hui, par différentes compagnies. Ce qui m’intéresse c’est de voir ce que chacune et chacun décide de mettre en avant selon le contexte de sa création. La Tour ne représente plus la même transgression qu’à l’époque de Copi.

Nous avons été frappées par le fait que les personnages ne parviennent pas à sortir de l’appartement. Comment interprétez- vous cela ?

Pour moi, ça s’explique par la solitude de chacun des personnages. Ils n’ont nulle part où aller. Ils évoluent dans un milieu qui était très marginalisé et compensent leur solitude par leur caractère extraverti. Ils ne peuvent rien faire d’autre que rester, que d’être ensemble parce que c’est là qu’ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent. C’est là qu’il y a le tragique. Tout le long de la pièce, Daphné dit qu’elle va aller à un autre réveillon mais elle n’est invitée nulle part. De la même manière, Micheline dit qu’elle habite une grande maison avec de la musique et des domestiques, mais elle vit seule avec sa mère. Ce sont toutes ces choses-là, toute cette solitude, qui les empêchent de sortir.

Quelle place a le public dans le spectacle ? Quelles sont les réactions que vous espérez de sa part ? Que souhaitez-vous qu’il retienne ?

Je pense que c’est un peu raté quand tout le monde adhère à 100% : ça veut dire que nous avons perdu un aspect de la pièce. Il y a eu des représentations où le public était divisé et ce sont celles que je préfère. Parce que c'est là qu’il va y avoir le plus de questions dans l’esprit des gens. Si nous perdons ça, nous perdons une partie de l'ADN de l'écriture de Copi. Si le spectacle est pris uniquement comme une bonne blague, que le public en ressort indemne, c’est que nous avons manqué quelque chose. Plus le spectacle divise, plus le travail touche des endroits intéressants. Et c’est grâce – enfin avec – le regard des publics qui sont venus nous voir que je peux vraiment parler de la pièce aujourd'hui.

Propos recueillis par Manon GODET et Juliette ZIKIC, étudiantes en M1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle).

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