Le Passage

Mise en scène : Fanny Dumontet

De Gaspard de Soultrait
du Collectif Gobe Lune
Conservatoire à Rayonnement Départemental d'Orléans

Date : Mardi 26 novembre 2024
Horaires : 20h - 21h
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h
Discipline : Théâtre

Le Passage

Ambre Lemaire

Texte : Gaspard DE SOULTRAIT
Pièce librement inspirée de L’attrape-cœurs de J. D. Salinger
Avec : Félix FOURNIER, Hugo GIRARD, Prune LEMAIRE et Gaspard DE SOULTRAIT
Création lumière et collaboration artistique : Ebbane AUGÉ-VISA

« Parfois y'a des choses qui sont tellement possibles que c’est comme si elles étaient déjà arrivées. »

Sur un coup de tête, juste parce qu’il fait beau, un adolescent fugue dans la ville immense. Un jour et une nuit d’errance et de rencontres le conduisent au tribunal pour enfants criminels.

Pour ne pas que les juges gâchent cette histoire pour toujours, avec des trucs dégueulasses qui n’ont rien à voir avec rien, Zach décide de s’y prendre lui-même et de nous faire revivre les 24 heures qui ont précédé son dérapage.

Entretien

Dans le cadre de la sélection du spectacle Le passage au Festival Nanterre sur Scène, nous avons rencontré Gaspard de Soultrait et Fanny Dumontet, auteur et metteuse en scène de la pièce. Ils nous ont partagé avec nous leur vision de l’œuvre, évoquant leurs inspirations, leur désir collectif de mise en scène, ainsi que des thématiques qui parcourent la pièce.

De quel désir est né Le passage ?

Gaspard de Soultrait : En dernière année au conservatoire du XIVe arrondissement de Paris, j'ai eu l'idée d'écrire une pièce pour mon projet de fin d’études. J’ai d’abord écrit une version de 30 minutes, que j’ai ensuite développée en une pièce plus longue, dont la première sera présentée au festival Nanterre sur Scène. L’attrape-cœurs de Salinger est mon roman de chevet, je l’ai lu une dizaine de fois. J’ai voulu m’inspirer du ton, du langage, de certains personnages ou situations, d’idées et de phrases très précises m’ayant marqué, d’y puiser librement et de me les approprier. D’autres films, poèmes, livres ou pièces, comme Roberto Zucco de Koltès, m’ont sans doute inspiré, mais moins directement. À partir de ces influences, notamment celle de L’attrape-cœurs, j’ai écrit une nouvelle histoire. Concrètement, j’ai d’abord écrit Le passage sous la forme d’une longue nouvelle, avec une narration à la première personne, dans l’intention de l’adapter ensuite en pièce de théâtre. Cette forme initiale a permis que les dialogues me viennent naturellement, et d’aboutir à l’écriture finale de la pièce.

Fanny Dumontet : Avoir cette nouvelle comme référence est précieux, car elle apporte des éléments de contexte sur l’histoire et les personnages qui ne sont pas présents dans la pièce.

Vous vous êtes beaucoup inspirés de L’attrape-cœurs de Salinger, pour écrire cette pièce, pour autant, ce n'est pas une adaptation selon vous. Comment vous y êtes-vous pris pour en faire une pièce singulière ?

GDS : Au début, j'avais en tête quelques éléments très personnels et je savais quelle histoire je voulais raconter. Mais je me suis vite rendu compte que de nombreux aspects de l'œuvre de Salinger me revenaient en mémoire. J'ai donc choisi d'écrire ma propre histoire tout en m'autorisant à y intégrer des emprunts à son œuvre ; mais en restant toujours au service de mon récit.

FD : En lisant Salinger, j’ai repéré une phrase qui m’avait marquée et que je pensais être de Gaspard. En fait, elle avait été piochée inconsciemment chez Salinger.

GDS : Il y a des choses conscientes comme inconscientes. Je l'ai lu tellement de fois que je ne m'en souviens plus. À force, j’ai l'impression que c'est devenu une idée qui m'est totalement propre. Cela peut aussi s’appliquer à Koltès. En le lisant, j’ai souvent l’impression que ses réflexions sont proches des miennes. Quand j’écris, je fais confiance à mon intuition. C’est seulement quand un passage me rappelle quelque chose que je me demande si cela vient de moi ou d’un·e autre. Peu importe. En fin de compte, ça reste des idées qui me parlent.

Qu'avez-vous voulu mettre en scène à travers cette adaptation ?

FD : Dans le collectif, nous avons tous·tes envie de raconter des histoires. En tant que jeunes comédien·e·s, partir du jeu, s’amuser ensemble au plateau est d’abord ce qui nous anime et ce qui nous permet de chercher. La fugue est le point de départ de la mise en scène. Le décor de la ville et les personnages tournent autour de Zach, ce qui souligne son enfermement sur la scène. Zach est condamné à raconter sa fugue sans pouvoir quitter le plateau. D’autres cycles se mettent en place autour de lui. Ils suggèrent le recommencement et le passage, à l’acte et à l’âge adulte notamment. Ce cycle est aussi celui d’une lumière solaire éblouissante et omniprésente créée par Ebbane, suggérant la fascination de Zach pour le soleil.

GDS : Quand j’écris, je n'écris pas tellement ce que je veux, j’écris juste ce que je peux. J’ai des histoires en tête, et j’écris ces histoires-là. Je suppose que l’enfance et la solitude sont des thèmes qui reviennent souvent dans mon écriture. Le plateau de théâtre permet bien de raconter et transmettre la solitude ; ici au moyen de Zach, le narrateur de l’histoire.

Pourquoi ce parti pris de faire se frictionner le rationnel et l’irrationnel ?

GDS : Nous voyons tout à travers les souvenirs de Zach, cela donne forcément une vision déformée de la réalité. Le public s’interroge alors : quand Zach dit-il la vérité, et quand ment-il ? Comment raconter une histoire de manière authentique ? Est-ce en se limitant aux faits ou en y ajoutant notre propre perspective ? Embellir un récit, le raconter à sa manière, est-ce finalement le seul moyen de bien le transmettre ? Adapter la réalité ou omettre certains détails permet à chacun et à chacune d’atteindre sa propre vérité.

FD : Nous avons accentué cet aspect, également né d'un goût collectif pour le grotesque. Comment pouvons-nous collectivement accepter de rejouer l'acte de Zach ? Prune [comédienne du collectif] parle souvent du psychodrame, un phénomène de psychologie qui consiste à rejouer son histoire pour mieux la comprendre. Parfois la vérité est bien plus irrationnelle que ce que nous pouvons imaginer.

Pourquoi avoir pris cette direction dans la colorimétrie en prenant un axe plutôt joyeux, flashy, coloré, contrastant avec l'atmosphère plus sombre du sujet ?

FD : Nous avons voulu accentuer ce trait pour mettre en évidence les personnages issus de l'imagination ou des souvenirs de Zach. Deux réalités s'opposent : celle de Zach, un jeune homme s'adressant au public dans une tentative de rapport direct et de compréhension, et celle des adultes, lointaine, grotesque et composée. Dans la pièce, un travail est réalisé sur la profondeur et les jeux de focus. Les couleurs jouent un rôle essentiel pour préciser certains éléments, diriger le regard et laisser des indices destinés au spectateur au fur et à mesure du spectacle. Cela nous permet aussi de déployer un imaginaire plus flamboyant.

GDS : Zach est, à mes yeux, un personnage très pudique. Il ne dira jamais s’il est triste ni n’avouera que quelque chose ne va pas ; il préfère adopter un ton enjoué, comme si tout allait bien. Sa façon de raconter une histoire est de le faire avec joie. Je pense que la mise en scène s’inscrit dans cette même démarche : elle reflète cette pudeur propre à Zach, qui préfère raconter ainsi, plutôt que d’assombrir.

La scénographie joue sur les éléments du décor, les couleurs des costumes, et les tailles des objets. Que cela peut-il symboliser ?

FD : Ce jeu montre que le regard de Zach constate que quelque chose déraille. Zach est toujours un peu trop grand ou un peu trop petit pour les objets et les personnes qui l'entourent, dans un entre-deux symbolisant son cheminement, son passage à l'âge adulte notamment. L’objectif est de créer un décor mobile qui évolue entièrement autour de Zach et des autres personnages pour illustrer sa déambulation dans la ville. Tous les décors sont imaginés comme un jeu de construction, à partir de neuf cubes qui s’empilent et se défont, manipulés par les acteurs et les actrices acceptant de se prêter au jeu de l'enquête menée par Zach. Cette petite architecture modulaire recompose tous les espaces traversés par Zach.

Vous axez les thèmes sur la quête d’identité, la solitude, l'incompréhension que nous traversons durant la période de l’adolescence. En quoi ces thèmes sont-ils universels pour vous ?

GDS : La solitude est un thème universel, elle se transmet bien au théâtre et se raconte bien via un enfant ou un adolescent car ce sont des âges où l’on a du mal à se faire comprendre. Leurs avis sont rarement entendus, peut-être par manque d’expérience ou d’éloquence, ce qui les rend vulnérables face aux adultes.

Pour terminer, qu'est-ce que le « passage » selon vous ?

GDS : J’ai délibérément choisi un mot à multiples significations, presque instinctivement, car je trouvais qu’il correspondait parfaitement, d’un point de vue disons poétique, à ce que je voulais exprimer. Mais s’il ne fallait retenir qu’un seul sens, pour moi, c’est le sens propre du mot passage : un chemin, une route, une voie – souvent un chemin d’errance ou de fuite.

FD : Moi, je dirais que c'est un rapport au temps mais pas nécessairement une question d'âge. C'est un acte fugace sur lequel on ne peut pas placer de regard univoque.

Propos recueillis par Augusta BOKWA et Claire SANTUCCI, étudiantes en M1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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