Mauvaises Chiennes

Mise en scène : Margot Souriau

De Marcia Burnier, édition Cambourakis
par le Collectif Peau de Lapin
École Départementale de Théâtre 91

AVERTISSEMENT : Mention de Viol, Violence et nudité

Date : Mercredi 27 novembre 2024
Horaires : 18h - 19h
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre

Mauvaises Chiennes

Loline Bongiraud

Adaptation du roman Les Orageuses de Marcia BURNIER, édition Cambourakis

Avec : Orane BARROSO PINTO DIAS, Armance BRYANT, Margot SOURIAU et Nedjma BERCHICHE
Assistant mise en scène : Romuald VACHET
Régisseur : Dimitri MOISSERON

« On vous retrouvera. Chacun d’entre vous. On sonnera à vos portes, on viendra à votre travail, chez vos parents, même des années après, même lorsque vous nous aurez oubliés, on sera là et on vous détruira. »

Quatre actrices pour un chœur de femmes qui incarnent toutes Lucie, Mia, Nina, Inès, Louise et Lila, du roman de Marcia Burnier, Les Orageuses. Elles décident un jour de se venger de tous ces hommes cisgenres qui les ont privées d’elle-même en les violant.

« Ça vaut quoi un viol comme punition ? »

Matraque, pied de biche, batte de baseball : les filles se donnent le droit à tout mais une règle persiste « on ne touche pas les mecs ». Lucie, dernière arrivée dans le groupe, découvre avec les autres la puissance de la violence, la joie de tout détruire pour se reconstruire.

Entretien

Dans le cadre de la sélection de Mauvaises Chiennes au Festival Nanterre sur scène, nous avons eu l'opportunité d'échanger avec Margot Souriau, metteuse en scène de cette création audacieuse. Cet entretien explore en profondeur le processus de gestation du projet, les thèmes féministes et sociaux qui le traversent, ainsi que les choix scénographiques qui viennent souligner ses tensions et son intensité dramatique. Margot Souriau nous dévoile ses intentions artistiques, les inspirations qui ont nourri sa vision, et nous partage les premières réactions d'un public confronté à une œuvre qui bouscule les attentes et suscite le débat.

« La première violence est celle du système » — Margot Souriau

Pourquoi avoir choisi d’adapter Les Orageuses ?

Margot Souriau : J'ai d’abord été marquée par le mouvement #MeToo quand j’avais 17 ans, et cela a suscité en moi une réflexion intense. En tant que passionnée de littérature, l'idée d'adapter un roman s'est vite imposée. J'avais déjà monté un spectacle à partir d'un texte de Dorothée Allison, et Les Orageuses m’a particulièrement bouleversée. Ce livre aborde la vengeance et la solidarité féminine avec une écriture brute qui résonne fortement avec mon expérience personnelle et celles de mes amies, toutes touchées par des violences similaires. L’été 2022, une amie m’a conseillé le podcast « Un podcast à soi » de Charlotte Bienaimé, qui évoquait les violences faites aux femmes et lisait des extraits des Orageuses. J'ai été captivée et me suis identifiée aux héroïnes militantes en quête de justice. J'ai donc choisi ce roman pour l’adapter sur les planches. Après la première présentation, j'ai eu envie de professionnaliser le projet pour le développer davantage.

Quels passages du roman avez-vous choisis et pourquoi ?

Une adaptation implique nécessairement des choix. En lisant le roman à cette période de ma vie, et avec tout ce que j'avais vécu avec mes amies, ce qui me préoccupait le plus était la question de la justice et de la vengeance. Pourquoi si peu de plaintes pour viol sont-elles suivies ? Pourquoi la majorité des plaintes sont-elles classées sans suite ? Cela résonne particulièrement avec l'expérience de mon amie Lucie, dont la plainte a été classée sans suite, et avec celles de nombreuses filles que je connais. Ce questionnement brûlant sur la justice et la nécessité de rendre justice moi-même m'a conduit à retranscrire cette réflexion. Dans le roman, les personnages choisissent d'agir de manière violente, comme détruire des appartements, en réponse à l'inefficacité de la justice. J'ai donc voulu mettre en lumière cette dynamique.

L'écriture est-elle devenue collective durant le processus de création ?

Je n'ai pas écrit la pièce dans le sens traditionnel du terme. Nous avons pris des extraits du roman, parfois des chapitres entiers, d'autres fois des dialogues ou des situations que nous avons recréés ou adaptés en fonction de nos ressentis. Cela a été un véritable travail d’écriture de plateau, où chaque comédienne a apporté ses propositions. Par exemple, l'une d'elles avait écrit un rap qui a finalement été retiré quand elle a quitté le projet. Au départ, j'avais envisagé que les comédiennes entrent sur scène avec des armes, dévisageant le public, mais l'une d'elles trouvait cela trop violent. Nous avons donc abandonné cette idée, car notre but est de provoquer des questions chez les spectateur·ice·s sans les brutaliser.

Comment avez-vous accompagné les comédiennes durant le processus de répétition ?

J'ai sélectionné des comédiennes pour qui le sujet résonnait profondément. Étant donné la dureté des thématiques abordées, nous avons mis en place une écoute constante. Par exemple, lors du monologue d'Armance, qui décrit une agression, nous nous arrêtions dès que cela devenait trop lourd émotionnellement. Nous avons également eu des discussions sur nos limites : jusqu'où aller et quoi dire. Pour explorer nos réactions, j'ai introduit des moments de provocation contrôlée, comme des jeux de rôles pour tester notre seuil de tolérance. De plus, nous avons pris le temps de réfléchir à la représentation de la nudité sur scène, en cherchant à l’aborder dans un esprit de douceur plutôt que de violence. J'insiste souvent sur l'importance du poids des mots, et pour alléger l'atmosphère, nous faisons des échauffements et intégrons de l'humour, car le rire peut parfois être une arme plus puissante qu'un discours strictement moralisateur.

Comment la violence est-elle représentée dans la pièce ?

La pièce ne montre presque pas de violence physique sur scène. Initialement, lorsqu'un garçon faisait partie de la distribution, il y avait un moment où les filles le poussaient, mais nous avons finalement décidé de ne pas inclure de scènes de combat ou d'agression. La violence est principalement exprimée par le texte et la narration. Nos comédiennes expriment intensément les agressions et les destructions évoquées dans le récit. Nous souhaitons faire ressentir le poids des mots et accentuer cette violence par le jeu. La violence est également abordée sous ses formes structurelles. La première violence est celle du système, de l'État, qui engendre une réponse, une violence populaire qui n’est pas sans réflexion. Même des figures comme Gandhi n'étaient pas entièrement pour la non-violence. Enfin, nous traitons aussi de la violence répressive, souvent policière. Montrer cette chaîne de violences permet de comprendre leurs origines et d'en révéler la profondeur systémique.

Pourquoi avoir opté pour un casting exclusivement féminin et pourquoi avoir choisi un petit groupe de quatre comédiennes pour incarner tous les personnages ?

Le garçon qui était initialement prévu a dû se retirer pour des raisons personnelles. J'ai alors réfléchi à sa position, représentant tous les agresseurs. Avec un homme sur scène, le public retient surtout cette figure isolée plutôt que le chœur féminin. J'ai donc décidé de ne présenter que des femmes, car il me semblait juste que cette histoire soit racontée uniquement par elles. Cela permet aux personnages de se réapproprier leurs expériences et même la parole des agresseurs, racontant ainsi leur histoire de leur propre point de vue. Dans la construction de la pièce, certains passages résonnaient moins avec ma vision personnelle, et j'ai choisi de les enlever pour rester fidèle à notre message. J'aurais aimé avoir plus de comédiennes, car c'est une histoire qui touche profondément les femmes et les personnes sexisées. Idéalement, avec plus de budget et de temps, nous aurions pu être six ou sept. Mais j'ai choisi de rester sur quatre femmes, car un chœur à trois est déjà un petit chœur, et je souhaitais vraiment créer un chœur de femmes pour raconter ces histoires.

Quelle était l’intention derrière la représentation des corps à la fin de la pièce ?

La nudité sur scène représente quelque chose de très fort et symbolique. Elle incarne la fragilité et le fait de se libérer d’un poids. Dans le roman, Lucie finit seule à la mer, et j'aimais l'idée que les filles, dans la pièce, partent aussi vers cette transformation, comme un papillon qui sort de sa chrysalide. La colère est un passage nécessaire pour aller mieux, mais dans notre société, on nous demande souvent de pardonner sans que justice soit faite. La transformation à travers la nudité représente ce passage de la colère à une forme de guérison. J'avais même rêvé d’une transformation en sirènes, mais en raison de moyens limités, nous avons choisi de recouvrir les comédiennes de peinture, ce qui symbolise cette métamorphose. Cet acte est intime et fragile, où elles prennent soin les unes des autres. La nudité, ici, symbolise cette transformation et cette délicatesse, et peut-être qu'un jour, si j'ai les moyens, je réaliserai ce rêve de sirènes !

Comment avez-vous réfléchi à la contradiction entre la célébration des corps féminins en nudité et la volonté de ne pas utiliser la violence physique contre les agresseurs ?

La décision des personnages de ne pas utiliser la violence physique est avant tout éthique. Ce choix ne découle pas d'un manque de désir de frapper les agresseurs, mais d'une volonté d'éviter des complications légales. Détruire un appartement est aussi une forme de violence, qui peut être tout aussi marquante. Concernant la nudité, je ne la vois pas comme une célébration du corps féminin. Cela pourrait tout autant être un corps trans ou un corps qui ne correspond pas aux normes féminines habituelles. L'idée est de questionner la féminité dans sa pluralité, plutôt que de se concentrer sur un idéal normé. En ce qui concerne la violence, je pense à des œuvres comme Dirty Weekend (Helen Zahavi, Libretto, 2022), où une femme se venge de ses agresseurs. Ce type de violence physique peut être exploré dans un cadre cathartique au théâtre, mais ce n'est pas l'objet des Orageuses, qui s'intéresse davantage à des réponses éthiques et non-violentes.

Propos recueillis par Carla NICH et Emma RONDEL, étudiantes en M1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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