Tignasse
Mise en scène : Salomé Baumgartner
par la Compagnie La Bayerol
Conservatoire Grand-Orly Seine Bièvre
Date : Mardi 26 novembre 2024
Horaires : 18h - 19h
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre

Salomé Baumgartner
Texte : Salomé BAUMGARTNER avec la complicité de Jeanne CALANDRI, Maud PATEAU, Leon KREWET, Gabriel CABALLERO, Mai SALMON et Maxime GOLETTO
D’après le conte Lurvehette du Norske Folkeeventyr d’Asbjørnsen et Moe
Jeu, lumières et bruitages : Jeanne CALANDRI, Leon KREWET, Gabriel CABALLERO et Mai SALMON
Le spectacle a été conçu initialement dans sa 1re partie avec Maud PATEAU dans le rôle de Tignasse.
Costumes : Anouk BAUMGARTNER et Astrid VALENTIN
Accessoires : Lewis JANIER-DUBRY
Il était une fois... en plein cœur de la nuit, non loin d’une frontière, deux bénévoles qui trouvent deux jeunes femmes cachées dans une tente. La première a une touffe de cheveux et se protège avec une louche : c’est Tignasse. L’autre, traumatisée, parle une langue incompréhensible et a un groin à la place du nez ; elle a perdu sa tête, arrachée par des trolls, remplacée par une tête de porc : c’est sa sœur, La Plus Belle. Tignasse raconte leur périple avec les objets emportés. Aidée par les bénévoles : l’un devient l’Homme-Lampe, éclairant les filles ; l’autre se transforme en Bruiteur, recréant les sons des paysages de leur fuite.
Entretien
Dans le cadre du festival Nanterre sur Scène, Salomé Baumgartner revient sur le processus de création de son spectacle. Elle évoque ce qui l’a inspirée dans le folklore norvégien, sa volonté de faire du théâtre portatif et l’importance d’un travail collectif. La metteuse en scène nous raconte comment Tignasse fait écho à notre monde : entre volonté politique et absence de morale.
« Je pense que les contes véhiculent quelque chose de l’ordre de l’émotion qu’on ne comprend pas, mais qui nous parvient parfois plus fort. » — Salomé Baumgartner
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène ce conte-là dans le recueil d’Asbjornsen & Moe ?
Salomé Baumgartner : J’ai choisi le conte norvégien car je viens d’une famille norvégienne. Ensuite, je trouvais que le titre était amusant. Dans le conte originel, il y avait l’idée de se faire arracher la tête par un troll, et de se la faire remplacer par une tête animale. Je trouvais cela particulièrement horrible et c’est devenu une sorte de défi : comment arracher une tête sur scène ?
Qu’est-ce que le conte originel raconte ? Qu’en avez-vous ressorti à la première lecture ?
J’aime beaucoup les contes, mais pas leur aspect moralisateur. Les contes norvégiens ne portent pas de morale mais cette histoire regorge d’images très fortes : l’idée d’arracher une tête, mais aussi Tignasse qui doit être très laide face à sa sœur qui est très belle. Je pense qu’il devait aussi y avoir un propos sur la femme car il n’y a pas beaucoup d’héroïnes dans les contes.
Lors de la réécriture du conte, vous êtes-vous beaucoup écarté du texte originel ?
Il reste très peu de choses du conte originel, on se base même sur un autre conte pour la deuxième partie de la pièce. J’ai gardé Tignasse et ses caractéristiques physiques, le fait qu’elles soient sœurs et la tête arrachée. Mais il faut savoir que le conte norvégien n’est pas toujours parfaitement structuré : il se passe plein de choses en même temps. À la fin du conte originel, Tignasse et sa sœur récupèrent la tête arrachée, et vont sur une île où habitent un prince et un roi. Ce sont de ces figures masculines que viennent les deux bénévoles.
Dans le reste du conte, le Prince doit épouser Tignasse et la trouve très laide. Elle lui demande alors « mais que vois-tu, face à toi ? » et il dit « je vois une fille avec une longue tignasse », elle dit « non, c’est une magnifique chevelure » et elle se transforme au fur et à mesure. J’aimais beaucoup la question de la métamorphose, mais ce n’était pas possible pour moi de parler d’une femme qui se transforme sous le regard d’un homme.
Je me suis donc beaucoup écartée du texte, en reprenant uniquement la symbolique des personnages et leurs relations.
Les bruitages et la notion de théâtre portatif sont très importants dans le spectacle, pourquoi avoir fait ce choix ?
La notion de portatif vient à l’origine d’un article que j’ai lu de Jean Kergrist qui était un comédien breton. Il faisait appel à ce qu’il nommait son « clown atomique » et voulait fonder le théâtre national portatif, le TNP. Cela m'avait fait beaucoup rire à l’époque. Maintenant je réfléchis même à ce que pourrait être un deuxième spectacle intégralement portatif. Je trouve que cette contrainte nous pousse à beaucoup de créativité. Elle raconte aussi quelque chose politiquement, et n’est pas inutile dans le contexte actuel.
Pour la question du bruit, c’est Leon qui l’a apporté lors de la première scène que nous avons travaillée ensemble. Et d’ailleurs, nous nous sommes beaucoup posé la question de sonoriser ces sons. Mais dans l’idée de portatif, nous avons décidé de ne pas le faire.
Pourquoi concevoir un théâtre qui tient dans une tente ? Qu’est-ce que ce parti pris révèle de votre vision du théâtre ?
Je suis très énervée par les pièces qui ont des propos politiques mais dont le dispositif ne suit pas ce même propos. Il y a une tendance du théâtre à valoriser le propos mais pas ce qui est réellement fait. J’ai commencé à travailler le théâtre dans l’espace public et la rue. C’est un endroit où l'on doit composer avec le monde extérieur. Travailler totalement avec le lieu amène le spectacle ailleurs. Par exemple, l’année dernière, nous sommes allées au deuxième tour du prix T13 avec ce spectacle. Les régisseurs étaient assis dans la salle (rire) et nous ont dit « enfin un théâtre qui ne parle pas d’écologie mais qui est écologique ». Et je crois vraiment que toutes mes prochaines pièces vont être en version portative.
Comment travaillez-vous pour ce projet ?
À l’origine, ce projet était constitué pour une épreuve du TNS où nous utilisions déjà une tente et une lampe torche. Nous partons d’images du conte et nous nous demandons ce que cela évoque : que veut dire arracher une tête ? Comment traverser la mer ?
Ensuite nous essayons d’illustrer cette image avec les objets que nous avons déjà, en veillant à ce qu’il n’y en ait pas trop, pour rester dans l’idée de portatif.
Au plateau, nous travaillons sous forme de recherche et dans le noir, avec des lampes frontales. C’est une sorte d’écriture de plateau, même si je n’aime pas cette expression.
Du point de vue de l’équipe, tout le monde est au même niveau. J’ai une fonction de metteuse en scène mais on est toute et tous à égalité. Cela se ressent sur le plateau car la question de la communication entre les membres de l’équipe est primordiale. Le son, l'image et la parole ne font que dialoguer continuellement, ils doivent être ensemble à un niveau très élevé. Nous passons beaucoup plus de temps à concevoir les bruitages et les lumières qu’à travailler sur le jeu.
Vous décidez de lier la violence sur le corps à celle de l’exil : Tignasse part pour « réparer » le corps de sa sœur. Comment concevez-vous ce rapport ?
Déjà, quand on est une femme et qu’on migre, on est particulièrement sujettes à des violences. On ne parle que très peu des femmes qui migrent alors qu’elles ne sont pas moins nombreuses. Un homme qui traverse la mer permet de véhiculer l’image du vagabond dangereux. Parler des femmes violées ne transmet pas du tout la même image de l’immigration.
Je suis en lien étroit avec l’association Droits d’urgence et cela me porte beaucoup. Le thème de la migration est arrivé à un moment où il fallait trouver un dispositif narratif : tout le monde me voyait transporter la tente et me disait que c’était très symbolique.
Dans le dossier artistique, vous dites que la sauvagerie du conte nordique vous habite et qu’elle est devenue un moyen pour vous de vous exprimer sur notre monde. En adaptant ce texte, est-ce que vous faites passer un message ?
Je pense que justement, je ne fais pas du tout passer de message. Je crois au fait qu’il faille toujours garder les secrets que contiennent des contes parce que ces secrets persistent depuis des millénaires. Dans ce côté nordique, il y a pleins de choses que je ne comprends pas, mais qui expriment beaucoup. Je pense que les contes véhiculent quelque chose de l’ordre de l’émotion qu’on ne comprend pas, mais qui nous parvient parfois plus fort.
Propos recueillis par Juliette LE TALLEC et Marine RECMAN, étudiantes en M1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle).