Adieu les métaphores, le show musical de Laure Verdier
Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique
Date : Vendredi 4 décembre 2015
Horaires : 18h30 - 19h20
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 50 minutes
Discipline : Spectacle musical
© Luca Stéfanini
- Mise en scène : Paul Toucang
- Interprétation : Jean Galmiche et Odile Lavie
- Chansons : Luca Stefanini
- Arrangements : Jean Galmiche
À partir d'un travail d'enquête documentaire et d'une écriture de plateau basée sur l'improvisation, un portrait de femme est donné à voir. La comédienne, accompagnée d'un guitariste, donne un seul en scène musical aux accents folk : une sorte de road-movie autobiographique.
Une femme, à peine sortie de chez elle, débarque sur scène.
Elle a une trentaine d'années. Elle vit près du lieu de représentation. Elle s'appelle Laure Verdier, nom somme toute assez commun. Laure Verdier est issue de la classe moyenne. Elle a deux enfants et un mari, un mode de vie en apparence relativement classique.
Comme tout un chacun, Laure Verdier a connu des phases difficiles dans sa vie, qu'elle repère comme des syndromes dépressifs. Au moment où nous la rencontrons, elle raconte sa vie et dévoile qu'elle sort à peine d'une période de burn-out.
Pour « sublimer ses problèmes relationnels » et afin de guérir, elle décide de réaliser un rêve thérapeutique : celui de se produire en spectacle, et plus particulièrement de chanter face à un auditoire. Le public va être témoin de sa tentative. Pour la mener à bien et vaincre son trac, Laure Verdier s'est trouvé un nom de scène, une sorte d'alter-ego fictif : Marie-Emeraude.
Marie-Emeraude, « rock-princesse », imprégnée de culture québécoise, amie de la nature et des bêtes sauvages, ayant une vie sexuelle et affective débridée, va donner un tour de chant improbable, drôle et touchant.
La scène pour Laure Verdier est le lieu d'une prise de parole où la liberté individuelle et le désir d'indépendance trouvent à s'exprimer. Dès lors, celle-ci peut prendre conscience et assumer son désir d'une autre vie. Elle décidera finalement de s'exiler au pays de tous les possibles, le Québec.
Ce spectacle que l'on pourrait rapprocher à certains égards du stand-up (selon le principe de la scène ouverte à tous témoignages, et au sens premier de se mettre debout) est construit selon une logique de sketches.
Laure Verdier baigne dans la culture télévisuelle et internet. Elle écrit elle-même ses chansons et relit son existence selon le prisme de la pop-culture. Si les chansons engendrent chez elle une libération émotionnelle et vivifiante, elles sont construites avec un langage et des codes stéréotypés. La manière dont Laure Verdier réinterprète et réutilise singulièrement ces codes est au centre de notre projet.
Présentation de Paul Toucang, metteur en scène
Paul Toucang a été formé au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique par Sandy Ouvrier, Daniel Martin et Xavier Gallais. Il participe aux Enjeux pro de Delphine Eliet au Centquatre ; il est mis en scène par Sophy-Clair David dans Kids de Fabrice Melquiot et joue dans plusieurs courts-métrages de Jonathan Vinel, ainsi que dans Pour faire la guerre, moyen-métrage de Cosme Castro et Léa Forest.
Désireux d'expérimenter de nouveau formats et de nouveaux lieux de représentation théâtrale, il revient dans sa région d'origine, les Landes, et crée en août 2015 à Brassempouy « Le Merveilleux », festival théâtral et immersif. À cette occasion, il met en scène Tartuffe de Molière, crée avec Mathilde Saubole un concept original d'enquêtes théâtrales, Les Enquêtes de Yolanda Harps, et un seul en scène musical intitulé Adieu les métaphores avec Odile Lavie.
Présentation du projet Adieu les métaphores, le show musical de Laure Verdier
« Un personnage entre en scène et engage avec les spectateurs une conversation. De cette conversation naîtra une comédie musicale ». Tel fut notre point de départ et la trame première du spectacle.
Créée sur la base d'improvisations, selon le principe de l'écriture de plateau, la première étape de notre travail a été axée sur la construction d'un personnage.
Le personnage est un personnage certes fictif, mais que nous avons voulu ancrer dans le réel, ici et maintenant, en dialogue direct constant avec le public, réaliste, de manière à troubler le spectateur et à l'immerger dans la situation.
Commencer le spectacle sur le mode de l'interlocution directe place le spectateur hors de la convention théâtrale et du format classique de la représentation. Nous souhaitions rendre le spectateur témoin des prémices d'une vocation artistique.
Comment un personnage en arrive-t-il au désir de se mettre en scène, et de revendiquer pour lui-même, liberté, singularité et autonomie créatrice ?
Entretien mené par Anna Koriagina, étudiante en Master 1 Humanités et Industries créatives à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Paul Toucang, metteur en scène du spectacle Adieu les métaphores, parle du personnage principal de la pièce, de la genèse du spectacle et de ses perspectives.
Dans quelles circonstances avez-vous conçu le spectacle Adieu les métaphores, que vous présenterez au Festival ?
Paul Toucang : Le spectacle a été créé pour un festival créé en août 2015 dans les Landes qui s’appelle LE MERVEILLEUX, festival théâtral et immersif. Adieu les métaphores est un spectacle de type immersif. En l'occurrence, la situation de départ est réaliste et inclut directement le spectateur: un personnage débarque sur scène et donne à voir son spectacle.
En quoi diriez-vous que le spectacle est à l'image des principes de votre compagnie ?
P.T. : Je souhaite avant tout défendre un théâtre de créations. Il s'agit pour moi d'une première tentative d'écriture. Ici, c’est l’écriture de plateau et le recours à l'improvisation qui m’intéresse. Non pas l'élaboration littéraire d'une dramaturgie, mais une écriture incarnée, exprimée par le corps d'un interprète. A terme, je souhaiterais que le personnage de Laure Verdier, personnage principal de la pièce, soit porteur d'une parole poétique qui peu à peu l'éloigne du réalisme morose dans laquelle elle se trouve. Laure Verdier, c'est l'incarnation d'une vocation artistique. Elle nage dans un contexte sociologique merdique. Mais contre toute attente, elle a le réflexe étrange de composer des chansons qui racontent sa vie merdique. Alors forcément, elle atteint le sublime. Elle incarne pour moi un geste réflexe de création.
Vous avez conçu ce spectacle pour qu'il soit joué en plein air ? Cela avait-il une importance pour vous ?
P.T. : Le côté "tout terrain" du spectacle me semble être un aspect essentiel de la forme immersive que je recherche. En plein air, le confort et l’attention acquise du spectateur ne sont pas évidents. Cela met l’acteur dans une situation d’inconfort : il lui faut trouver physiquement et dans l'interaction avec le spectateur comment capter l’attention. D'autre part, cette démarche a du sens d’un point de vue générationnel : je pense que notre génération théâtrale n’aura pas forcément le loisir et la possibilité de jouer dans un théâtre, en tout cas pas dans son dispositif classique. Je suis heureux de pouvoir m’affranchir de ce dispositif. Il est possible de jouer partout. Si on a l’envie de jouer, on joue !
Comment avez-vous élaboré la structure du spectacle ?
P.T. : Adieu les métaphores est né d'un accident. À la base, nous devions travailler sur une pièce de Dario Fo, Une femme seule, mais nous n’avons pas obtenu les droits… Pourtant la mise en scène était prête. Il a donc fallu qu'avec Odile [Odile Lavie, actrice du spectacle], on écrive une nouvelle pièce. Adieu les métaphores a été écrit en dix jours, dans l'urgence, avant d'être présentée lors du MERVEILLEUX. Nous retravaillons en ce moment à affiner la structure et l’intrigue.
Y a-t-il eu des œuvres qui vous ont aidés dans cette élaboration ? Des influences (littéraires, cinématographiques, musicales) importantes ?
P.T. : C’est avant tout l’esprit de Dario Fo, avec son aspect farcesque et comique, et son mode de travail, l’écriture de plateau, qui nous ont inspirés. J’ai aussi beaucoup lu et vu des films de Chantal Ackerman qui malheureusement s’est suicidée il y a peu de temps. Je me suis intéressé à tout ce qui concernait la question de la mélancolie féminine. Plus concrètement, il y a eu aussi l’histoire de la grand-mère d’Odile : il s'agit d'une dame qui s'est mariée avec un avocat bordelais, militant communiste, dans les années 1940. A 25 ans, ils ont divorcé. Elle s'est rendu compte avec stupeur qu'il était homosexuel. Cette histoire est aussi l’histoire du personnage de Laure Verdier.
En quoi la forme du stand-up vous a-t-elle influencé ?
P.T. : La référence au stand-up est plus lointaine. C'est un style qui est aujourd'hui hyper formaté. Mais j'avoue que je suis tout de même influencé par les figures de Lenny Bruce et d'Andy Kaufman. J’aime l’art qu’ont certains comiques de ne pas forcément faire rire, et de déranger. J'aime les personnalités bouffonesques et clivantes. D'autre part, la structure du spectacle a quelque chose du stand-up. Une femme fait une chanson de chacun de ses malheurs. Chaque chanson est un sketch. Comme dans le stand-up, nous pratiquons l’art de la chute et le comique repose sur un travail du rythme.
Pourquoi avoir choisi de créer un spectacle autour du thème de la femme de trente ans ? Et pourquoi avoir choisi de faire de ce personnage de rock-princesse son alter-ego ?
P.T. : Il y a une raison affective pour moi. Le personnage de Laure Verdier est né dans les Landes, ma région d'origine, restée à mes yeux le territoire sinistré de mon adolescence. Ma mère à cette époque venait d'être licenciée. Je me suis rendu compte que la dépression et la solitude étaient des problèmes relativement récurrents pour les femmes d'aujourd'hui. Cela m’a donné l’envie de travailler sur un personnage de femme ayant un âge moyen, en perte de repères, qui passe dans une sorte de marginalité, cette marginalité conduisant finalement à un délire.
Pourquoi Laure décide-t-elle finalement de s’exiler à Québec ?
P.T. : Je travaille avec [l’auteur et metteur en scène] Wajdi Mouawad en ce moment. Wajdi Mouawad est d'origine libanaise mais il a commencé sa carrière théâtrale au Québec. Grâce à lui, j’ai pu mieux connaître l’identité culturelle québécoise. Le Québec est la seule région dans le monde où le français n’est pas une langue d’élite. Historiquement, le pouvoir économique et politique était détenu par les Anglais protestants. Les Français étaient majoritairement des ouvriers. Donc le français, au Québec, c’est une langue populaire. D’où la capacité qu’a la langue québécoise de mélanger des références de haute culture et de culture de masse. Ce mélange des références est une chose qui nous tient à cœur et qui donne sa signature au spectacle.
Votre spectacle est un “show musical” dans lequel la musique occupe une place très importante : comment avez vous choisi les chansons ?
P.T. : Luca Stefanini a écrit les chansons en dix jours. Nous voulions que Laure Verdier puisse être l'auteur des chansons. Ce sont des chansons naïves à la lecture. Mais lorsqu'elles sont chantées par Odile, elles prennent leur véritable signification et donnent sa beauté au spectacle. J’adore fureter sur Internet pour trouver des sites de poésie récréative dans lesquels des poètes du dimanche écrivent des choses du genre « le ciel est bleu, j’aime ma mère etc. ». Laure Verdier est une poétesse du dimanche, une fille qui suit des ateliers d’écriture et qui a un rapport récréatif à l’art. Je trouve ça très charmant. Il y a dans le récréatif plus de nécessité artistique qu'on ne le pense.
Quelles réactions cherchez-vous à susciter du côté du public ?
P.T. : Troubler, peut-être. Un jour, nous avons joué dans un petit village de 150 habitants, devant des grand-mères qui sans doute ont peu l'habitude du théâtre. Lorsqu’elles ont entendu Laure Verdier parler de ses orgasmes, elles étaient très mal à l'aise et prêtes à quitter la représentation. Elles ont fait toutes sortes de grimaces involontaires et de gestes comiques. J'ai adoré cette situation. J’étais le seul dans la salle qui riait. En revanche, pour Odile, c’était très difficile. J’aime bien ces moments. Nous avons un humour assez décalé qui exige, pour qu'il fonctionne, que l'on rende le public complice de la représentation. Il s’agit d’en faire un partenaire de jeu, avec toute la délicatesse que cela suppose. Mais j'avoue que personnellement, comme acteur, j’aime bien aussi l’idée de harceler le public.
La conversation est la base de votre comédie musicale. Quelle conception avez-vous de cette conversation avec le public ?
P.T. : La conversation est le meilleur moyen de mobiliser l’attention d'un interlocuteur. C’est une convention relationnelle primitive, toujours très vivante. Elle nous occupe tout le temps, elle est irriguée de vie et non ennuyeuse. Et je la trouve bien plus vivante que d’autres conventions théâtrales, moins adressées, donc plus floues.