MARABAND

D’après l’Annonce faite à Marie de Paul Claudel
École Supérieure d'Art Dramatique de la Ville de Paris et Université Sorbonne Nouvelle

Date : Vendredi 4 décembre 2015
Horaires : 20h30 - 21h30
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h
Discipline : Théâtre / Musique

MARABAND

© Club Photo MPT Semur-en-Auxois

  • Mise en scène : Marine Garcia-Garnier
  • Assistant à la mise en scène : Clément Baudoin
  • Interprétation : Jonathan Aubart, Yoanna Marilleaud, Eliot Maurel, Albertine Villain-Guimmara, Tom Verschueren, Florence Weber

Que reste-t-il d'une famille qui se désordonne, qui se morcelle, qui se défait ? De quoi sont faits nos rapports, qu'est-ce qui nous lie vraiment, quand la famille a perdu sa forme ? MARABAND, c'est l'histoire de ce désir de persévérer dans son être, désir commun à tous les personnages et qui fait exploser les liens familiaux. Tout se passe comme si la famille se fragmentait petit à petit, chacun prenant le risque de la quitter pour devenir celui qu'il est.

La famille est ici à la fois ce dont on voudrait se défaire et ce qu'on sait déterminé pour toujours. Librement inspiré de L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, MARABAND met en lumière le parcours de Mara, cadette de la famille Vercors.

En effet, ce personnage cristallise un rapport paradoxal à la communauté : la tension entre le besoin d'appartenir à sa famille et celui de la « tuer » trouve en lui son paroxysme. Dans la pièce de Claudel, certains personnages font des choix qui ébranlent le cadre familial : le père quitte les siens pour accomplir un pèlerinage, la sœur aînée Violaine sacrifie le mariage prévu avec son fiancé en embrassant un lépreux : les aspirations individuelles dépassent l'ordre établi ; alors que chez d'autres, comme la mère et le fiancé trahi par Violaine, le cadre est un repère, qui, une fois défait, est vécu comme un échec. Chez Mara, les deux aspects coexistent : elle s'arrache à la famille tout en s'enracinant dedans. C'est un individu qui cherche à être seul, mais au sein d'un groupe : cet aspect paradoxal de la famille est à l'origine de MARABAND.

Tout d'abord, nous avons voulu « retourner » la peau des six personnages de Claudel pour explorer l'intérieur de leur corps et en faire la matière poétique d'un récit. Nous sommes partis de ce qui se joue entre les personnages pour raconter autrement cette histoire aux spectateurs, depuis les pulsions de chaque individu. Nous voulions sonder les rapports physiques, les intentions, les instincts des corps. L'enjeu a été dans un premier temps de les rendre réels, palpables, visibles.

Le texte de MARABAND a été créé dans un second temps. Il est né du désir de donner la parole aux individus, au-delà des faits et de leur résonance dans la sphère familiale. Débordant du cadre dramaturgique, c'est l'occasion pour eux d'exprimer au public leurs aspirations profondes, leurs frustrations, leurs contradictions. Cette parole est donc intrinsèquement liée à la présence du public, qui se fait témoin, confident, réceptacle des interrogations portées par les interprètes. MARABAND est la tentative d'articuler le corps à la parole, ici et maintenant.

Présentation du projet MARABAND

L'espace musical

Pierre de Craon, personnage énigmatique de L'Annonce faite à Marie, acquiert dans MARABAND le statut du chef d'orchestre. Déclencheur du nœud dramaturgique dans la pièce initiale, il met ici en branle la machine à jouer. Chez Claudel, il est embrassé par Violaine et se retire pour édifier des cathédrales. Ici, il demeure physiquement présent sur le plateau et bâtit « en live » l'atmosphère sonore du spectacle. En effet, la musique joue comme un révélateur et exacerbe les rapports entre les personnages : elle distord la perception, met à jour les fantasmes, amplifie les évènements...

L'espace scénique

Le peu d'éléments qui composent le décor sont comme des reliques qui appartiennent au passé et qui hantent cette famille. Figés dans le temps, ils n'évoluent pas : ils sont simplement reconfigurés ou éliminés au gré des départs. Ils matérialisent ce qui reste, ou peut-être davantage ce qu'on ne peut pas quitter.

Dans ce travail, les acteurs sont complètement créateurs. Forts de notre expérience commune pendant trois ans à l'Ecole Supérieure d'Art Dramatique de la ville de Paris, nous inventons ensemble le rythme, le mouvement, le geste qui permet de raconter physiquement telle situation, tels rapports entre les personnages. C'est un travail d'acteur à part entière, où le corps est l'outil central : les « partitions physiques » comme les prises de paroles doivent à la fois répondre d'une intention de jeu précise et avoir pour source un état de corps choisi.

Nous cherchons à créer ensemble : la question de suivre sa route tout en faisant partie d'un groupe est omniprésente. C'est le défi de notre travail collectif. Nous découvrons au fil du travail par quoi nous sommes liés et ce qui peut nous unir, jusqu'où nous pouvons faire corps et où commencent nos limites d'individu... C'est aussi cette recherche que nous souhaitons partager avec le public.

Présentation du collectif

Le collectif L'Improbable à été créé en 2015 par Albertine Villain-Guimmara, Florence Weber, Yoanna Marilleaud et Marine Garcia-Garnier. Il est le fruit de parcours individuels en danse, théâtre, clown, et d'une formation commune à l’Ecole Supérieure d’Art dramatique de la ville de Paris (ESAD) fondée par Jean-Claude Cotillard et dirigée par Serge Tranvouez. La première création du collectif, MARABAND, réunit au total huit comédiens issus de la promotion 2015 « Arts du Mime et du Geste » liés par la volonté d'explorer ensemble la création théâtrale à travers le corps. Notre objectif est de creuser le lien entre le corps et le texte, en cherchant de nouvelles formes d'expression physiques et scéniques.

Les deux premières années de notre formation ont été axées sur la constitution de bases de travail communes : improvisation, danse contemporaine, mime corporel, acrobatie, interprétation, jeu masqué, clown, marionnette, hip-hop, chorégraphie... La dernière année, nous avons créé des spectacles avec différents artistes comme Caroline Marcadé, Jean-Benoit Mollet au Montfort Théâtre, Das Plateau au Théâtre de Vanves, ou encore Toméo Vergés aux Ateliers Carolyn Carlson.

Entretien mené par Leïla Izrar et Noémie Soyez, étudiantes en Master 1 Humanités et Industries créatives à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

C’est dans un café près de République que nous retrouvons Marine Garcia-Ganier et Albertine Villain-Guimmara, respectivement metteur en scène de Maraband et comédienne dans le rôle de Violaine, qui nous accueillent chaleureusement.

Pourquoi avoir choisi de mettre en scène L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel ?

MARINE GARCIA-GARNIER : C’est une pièce dont le texte me touche depuis très longtemps. C’est le sujet de la famille qui me travaille, et ce paradoxe qui veut que les personnages ont à la fois des rôles familiaux et des trajectoires individuelles. Une partie des personnages brise le cadre familial pour gagner une liberté d’individu. D’autres, qui ne trouvent plus de rôle dans leur famille, disparaissent. La mère par exemple, disparaît sans que l’on sache où elle va. Jack Hury lui, a fait le deuil de l’amour qu’il avait pour Violaine et du rôle qu’il aurait pu avoir dans la hiérarchie familiale.

Quelles thématiques vous ont touchées ? Quels personnages en particulier ?

M.G.-G. : Le rapport entre l’individu et la structure collective, semblable à celui qui se met en place dans notre travail de compagnie théâtrale. Peut-on être libre et soi-même en tant qu’individu, tout en appartenant à un groupe ? C’est une question qui se pose ici dans le cadre de la famille, mais aussi pour nous dans le cadre de la création, et plus largement dans le monde dans lequel on vit. Le personnage de Mara est celui qui me parle le plus. Dans la pièce, elle veut tuer sa sœur. Pourtant, elle a absolument besoin d’elle, et c’est vers cette même sœur qu’elle va quand il s’agit de croire en l’impossible. Mara a aussi un côté femme-enfant. Une femme qui aime Jack Hury, qui désire et qui en même temps a besoin plus que jamais de la famille.

Comment avez-vous travaillé cette œuvre classique ?

M.G.-G.: Nous n’avons pas réellement travaillé le texte de Claudel. Nous avons surtout discuté de la pièce ensemble, et de la trajectoire de chaque personnage, de leur rôle dans la cohésion du tout. Après est venu le temps de la recherche physique. Nous ne souhaitons pas traduire ou illustrer les scènes de la pièce, mais nous cherchons à savoir comment raconter des relations plutôt que des situations. Qu’est-ce qui ne serait pas dit dans la pièce mais que les personnages auraient envie de faire ? C’est l’état de jeu et le geste qui sont à la base du spectacle. Ce ne sont pas des mouvements de danse ou une recherche abstraite. On raconte par impulsions, par instincts, par désirs sensibles. C’est un travail sur l’indicible, sur ce qui est enfoui. On garde quand même le fil narratif de Claudel comme base, mais on raconte cette histoire par un autre angle que celui de la parole. Le départ du travail, c’était une volonté de raconter par le corps. A partir de là, on a commencé à construire des « partitions physiques » entre les acteurs, à rechercher quels gestes pouvaient raconter les rapports, à analyser comment on pouvait déployer l’intériorité des personnages à travers le geste tout en restant au service de l’histoire.

ALBERTINE VILLAIN-GUIMMARA : C’est un fil assez subtil et très pointu, entre le fait de ne pas illustrer tout en étant au service d’une histoire. C’est notre objectif.

Qu’entendez vous par « partition physique » ?

M.G.-G. : Ce sont les gestes et les intentions que l’on développe sur scène. En réalité, « partition physique » est une expression pratique pour nous. Elle nous permet de nommer notre travail : ce n’est pas un enchaînement puisque ce n’est pas de la danse, ni des scènes puisqu’il n’y a pas vraiment de texte. La partition physique est au corps ce que la parole est au texte.

Sur quels outils s’est basé votre travail ? Quels éléments de votre formation vous ont aiguillés ?

M.G.-G. : Le corps a été au centre de notre formation. Pendant trois ans, à travers la danse, l’acrobatie, la rencontre avec des artistes comme Caroline Marcadet, Jean Benoit Mollet, on a travaillé pour que notre corps se réveille et soit prêt à jouer. C’est un travail de déploiement poétique, de duplication des sens dans le geste. Ce sont des zooms sur des moments de vie. Un geste ordinaire devient extraordinaire. Nous cherchons à créer un décalage qui fasse sortir de la réalité. A savoir comment un geste banal devient précis et se voit investi. Rien n’est laissé au hasard.

A.V.-G. : Si l’on donne une attention particulière à son rapport à l’espace et aux autres personnages, cela dessine un corps qui parle. Comment des gestes qui sont anodins dans une autre pièce peuvent-ils devenir parlants sur le plateau ? C’est comme si l’on était chacun entouré d’une bulle d’énergie dans un grand espace. Ces bulles se rencontrent et se déploient dans l’espace. Et bien sûr il y a aussi un outil de composition.

M.G.-G. : En effet, nous avons fait beaucoup d’exercices sur la présence dans l’espace, le lien entre nous. Il faut prendre conscience que quand on est sur un plateau, on est relié aux autres personnes en présence. Il faut sentir où être dans l’espace, à quel moment. C’est une autre écoute que celle des yeux et des oreilles, c’est celle du centre du corps. D’un côté, il y a cette conscience du geste, cette précision, cette maîtrise qui est purement un travail d’acteur. De l’autre, il faut laisser circuler l’énergie du jeu, et lâcher prise. Par exemple, nous avons des partitions précises, mais pour trouver le bon rythme, il faut jouer. C’est ce qui permet de toucher les gens ailleurs que dans leur intellect, en rappelant que l’on est tous vivant. Au bout du compte, travailler sa liberté, c’est technique.

Vous parlez d’un lien physique entre les acteurs. Dans cette mesure, qu’apporte le corps aux interactions entre les personnages ?

A. V.-G. : Les émotions sont intensifiées. Les sensations que l’on provoque chez quelqu’un en le touchant nous touchent aussi et se partagent. Nous n’arrivons pas neutres sur le plateau, puisque nous avons intégré et digéré les rapports entre les personnages, et ces liens influent sur les dynamiques de mouvement. Il y a autant de choses qui se construisent dans la distance que dans le toucher. Les émotions se vivent au présent et se partagent avec la salle. Le texte et le corps se nourrissent l’un et l’autre. Une fois les choses dites au public, on ne revient pas pareil.

Nous parlons beaucoup du corps, mais quelle est la place du texte ?

M.G.-G.: Le texte ne vient que dans un second temps. Je suis partie de l’idée d’aller dans les coulisses des personnages, et j’ai voulu retourner et inventer. C’est là qu’on s’éloigne beaucoup de Claudel. On n’utilise pas son texte. J’ai écrit le texte en connaissant les comédiens. Ce sont des acteurs que j’ai choisis, et qui m’inspirent. Je les aime et j’ai envie de les voir dire certaines choses, de les amener dans certains endroits. J’ai écrit ce texte pour qu’il questionne, en essayant d’ouvrir des moments francs avec le public. Les personnages sont très puissants, mais ils sont aussi désemparés, et c’est cette ambivalence que j’aime. La mère est écartelée et se fait ensevelir dans son propre rôle, Violaine a la force d’aimer celui qui souffre, le père s’éloigne, Mara lui en veut, mais est aussi heureuse de retrouver sa liberté. Les personnages vont tous au bout d’eux-mêmes. Claudel a écrit une sorte de parabole religieuse, très symbolique et pourtant très humaine et viscérale. Dans L’Annonce faite à Marie, ces deux aspects fusionnent.

A.V.-G. : Que reste t-il à dire une fois que l’on a dit tout ça par le corps ? Finalement ce n’est pas une réécriture de Claudel. MaraBand en est seulement librement inspiré.

M.G.-G. : Chaque personnage a un monologue qui représente sa parole individuelle. Le père, c’est la parole de l’homme qui a une vie sans ses enfants. Violaine embrasse Pierre de Craon parce qu’il souffre, qu’elle a pitié de lui, alors qu’elle est fiancée. Elle représente la Sainte, qui aime ce qui souffre. Il y a un aspect religieux très puissant chez Claudel, dont j’ai choisi de ne pas m’occuper. Finalement, les textes sont pensés comme des questions lancées au public. Qu’auriez-vous fait à la place de tel ou tel individu ? Et nous n’en connaissons pas les réponses.

Vous parlez des comédiens, quelle est la place de chaque membre du collectif dans la création de la pièce ?

M.G.-G. : En ce qui concerne le corps, le pouvoir des acteurs est quasi total. J’ai une atmosphère ou un goût en tête. Souvent, je leur demande : « Qu’est ce que tu aurais envie de faire ? ». C’est ensuite à eux de se lancer dans le mouvement et de suivre leur intention. J’observe de l’extérieur si les gestes me parlent, mais il faut que tout leur semble juste de l’intérieur. Dans l’idéal, on ne doit pas voir le mouvement. Notre objectif est que les actions se passent dans un même espace-temps avec le public, comme s’il n’y avait pas de temps fictionnel.

Quels liens voulez-vous tisser ave le public ?

M.G.-G. : La sensibilité est quelque chose d’universel. Tout le monde a un cœur, un ventre, une zone endormie du cerveau. Dans nos sociétés, on masque beaucoup tout ce qui est à vif. Dans l’éducation des enfants par exemple, on censure vite les pleurs. Le spectacle aborde les émotions par les notions de fête et de vie. Finalement, on veut que le public emmagasine une haute dose d’énergie. Nous voulons fêter le corps en mouvement dans une histoire, avec des espaces de liberté. Je ne veux pas agir sur le public d’une manière prédéfinie. J’aime le côté gratuit de l’acte de jouer, sa force poétique.

A.V.-G. : Nous ne sommes pas un rapport violent au public, mais bien plutôt dans la tendresse. Nous voulons remettre l’émotion au goût du jour. On a envie de donner, d’être généreux. Le public a aussi un rôle de témoin. C’est parce que le public est là que cette famille va se mettre à nu et que les choses enfouies ressurgissent.

Les personnages semblent avoir conscience du public. Dans cette mesure, peut-on dire que vous cassez le quatrième mur ?

A.V.-G. : Oui, on le tue ! On ne veut pas qu’il y en ait. Il y a un univers dans le temps présent, mais il est modifié. On intègre le public et, dans le même temps, il découvre quelque chose qu’il ne connaissait pas. Pourtant, malgré ce lien avec le public, l’endroit du plateau reste quelque chose de magique. On n’est pas désincarnés, on n’est pas comme chez nous.

M.G.-G. : C’est comme une vie parallèle. Il y a une déconstruction de l’illusion du théâtre, notamment par le changement de décor à vue. Mais c’est une qualité de présent qui est autre, et c’est cela que nous voulons faire passer avant tout.