© Martine Aufilam
Un village, ses habitants, leurs histoires
Mise en scène : Emilie Azou
Interprétation : Emilie Azou, Loïc Boissieu, Mélanie Buonomo, Robin Everaert, Marion Gomez, Tatiana Goutmann-Becker, Jonas Hervouet, Elisa Jasmin, Leïla Tabaï, Romain Lafon-Pachot, Raphaël Locatelli, Léo Martin, Alain Martins
Musique : Némésis de Benjamin Clementine
On se croise, on se réunit, on aime savoir ce qu'il s'y passe.
Qui est vraiment Abram qui rentre de la ville ? Pourquoi Barbara refuse-t-elle d'admettre qu'elle est sa mère ? Est-ce parce que les rumeurs disent qu'il a fait de la prison ? Pire, qu'il sort avec des hommes ?
Fuit par sa mère, rejeté par les autres, exclu de la vie du village, Abram se lie d’amitié avec Tonka et Rovo.
Et s'il côtoyait intimement la Tonka pour leur montrer que le vice qu'on lui prête n'est que ragot ?
Les taquineries, les rumeurs, les fausses déductions tournent vite à l'humiliation publique.
Étranger, différent, incompris, Abram souhaitant être accepté pour ce qu’il est, tente malgré tout de rentrer dans le moule mais la pression le pousse à commettre l'irréparable
Entretien mené par Inès Vercoustre, étudiante en Master 1 Humanités et Industries créatives à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Émilie Azou (metteuse en scène et comédienne (Tonka)), vous avez commencé votre formation théâtrale en 2009 au conservatoire d’Orléans. Pouvez-vous nous parler de votre formation théâtrale en tant que comédienne et metteur en scène ?
Enfant, je lisais beaucoup et j’étais très curieuse. Mes parents m’ont donc proposé de m’inscrire en option théâtre lors de mon entrée au collège. Cela m’a beaucoup plu et a créé en moi l’envie d’être comédienne. Par la suite j’ai commencé à faire du théâtre dans des compagnies amateurs. Puis j’ai suivi une formation d’assistante sociale pour avoir un cursus plus développé. Je suis rentrée au conservatoire d’Orléans en formation théâtrale de comédienne puis j’ai fait deux ans à Noisiel où j’ai fait un CPIT (cycle d’enseignement professionnel) qui a pour but de préparer des jeunes comédiens à entrer en école supérieure. Dans le cadre de ce cycle, on demande de réaliser une production scénique, et Scènes de chasse en Bavière est ma première réalisation en tant que metteur en scène. Au début, j’en avais assez peur puis j’y ai pris goût. Le jour du diplôme on doit présenter un travail de 40 minutes et on a eu un retour très positif, donc cela donne bien évidemment envie de créer la pièce en entier.
Quels passages avez-vous présentés ?
Nous avons présenté un condensé de scène (comme pour notre audition au Festival) comprenant la première scène mais la fin n’y était pas. J’ai surtout mis en avant les passages réunissant presque tous les personnages du village.
Comment avez-vous rencontré l’œuvre de Martin Sperr et comment par la suite la lecture a guidé votre interprétation ?
J’ai connu l’œuvre suite à la présentation faite par des amies au Conservatoire : il s’agissait de la scène de Tonka et Abram. C’est une scène sublime pour les deux comédiens, qui est beaucoup jouée en concours d’école supérieure et qui m’avait marquée. Paradoxalement, Martin Sperr est un auteur assez discret, dont je connaissais peu le travail : ainsi la première lecture de sa pièce a été une réelle découverte des personnages et de l’écriture. C’est donc suite à ce concours que l’idée de lire la pièce m’est venue, mais je n’avais pas l’optique de la monter, c’était de la pure curiosité. Mais j’ai cherché à comprendre les enjeux du texte, celle de l’influence d’un groupe sur un individu, et j’ai réfléchi pour voir comment je pouvais explorer le thème de l’homosexualité – mais pas seulement, car ce n’est pas une pièce qui aborde seulement ce sujet.
Vous jouez le rôle de Tonka, un des personnages principaux qui entretient une relation amoureuse ambiguë avec Abram. Comment avez-vous géré le fait de devoir diriger et votre propre rôle et celui d’Abram ?
C’était plus facile dans le cadre du diplôme, car j’avais effacé le rôle de Tonka. On avait transposé la scène Tonka et Abram en en faisant une danse. Dans la version longue, comme nous sommes un grand groupe, je trouve toujours quelqu’un pour jouer le rôle de Tonka afin de pouvoir, moi, avoir un regard extérieur ; ou alors je joue et quelqu’un me dirige. Tonka n’est pas si présente et ne joue dans aucune scène de groupe. Mais on a quand même gardé l’idée de la danse en version longue.
Vous êtes donc treize personnages sur scène, vous utilisez l’ensemble de l’espace scénique. Quel a été votre choix de mise en scène et comment avez-vous réussi à mettre en valeur chaque personnage ?
Emilie : C’est grâce au retour de mon jury et des mes camarades que je me suis rendu compte de cette difficulté de mettre en scène un grand groupe, au départ je n’en avais pas forcément conscience. On a fait un gros travail sur la posture et les déplacements des comédiens, la tenue du corps est importante pour nous. C’est de cette manière qu’on a pu créer du mouvement.
Robin Everaert (comédien / Volker) : On a mis en place une démarche qui casse avec le réel, on marche en angle droit, comme des robots.
Emilie : Pour la mise en scène nous avons utilisé en guise de décor un drap blanc qui se transforme au fil des scènes, et les objets qui nous entourent évoluent avec nous.
Robin : Cela a créé une retranscription du réel assez singulière qui donne à la pièce quelque chose comme un burlesque tranchant. Il y a un côté comique dans notre mise en scène bien que la pièce aborde un thème dur.
Concernant le costume et du maquillage, il y a une uniformité, pourquoi ?
Emilie : Oui le maquillage est basique : masque blanc et bouche rouge. Cela permet d’expliquer que ce qui est représenté n’est pas un personnage en tant que tel mais plutôt une image, une représentation.
Robin : Le masque met de la distance par rapport à l’incarnation. Le masque blanc enlève du réalisme.
Emilie : Les costumes sont très contemporains. Au début il s’agissait plus d’une question de budget (rires) ; après, cela s’est décliné dans un éventail de couleurs. Même si la pièce se joue après la Seconde Guerre mondiale, je ne voulais pas axer le spectacle sur cette époque mais sur une temporalité plus large. Les costumes contemporains facilitent cela.
Avez-vous conçu votre scénographie en fonction du regard du public ?
Emilie : Oui tout à fait. Cela a beaucoup dérangé les comédiens au départ. Lors des répétions je ne cessais de dire « adresse-toi à moi (le public) mais adresse-toi aussi au comédien avec qui tu es sur scène ». On ne travaillait pas forcément les dialogues comme cela au conservatoire.
Robin : C’est un entre-deux déstabilisant. Je regarde dans les yeux un autre personnage, mais je parle à quelqu’un d’autre. En tant que comédien, cela n’a pas été facile à assimiler.
Emilie : Grâce au temps de travail qu’on a eu, presque un an, on a eu le temps de créer de vraies étapes de travail. L’idée a eu le temps de germer. On a senti un changement dans les derniers temps de répétition lorsque l’on a mis les costumes et le maquillage. Chacun s’est senti plus à l’aise.
On en a un peu parlé tout à l’heure, vous venez tous de la formation du Conservatoire de Val Maubuée à Noisiel. Est-ce que le fait d’avoir été formés à la même école a influencé votre façon de jouer ?
Emilie : Aujourd’hui une comédienne a dû être remplacée, mais les douze autres sont bien tous du conservatoire.
Robin : Déjà à l’école un groupe s’était constitué ; cela nous a permis de nous rencontrer et de créer un collectif derrière. On se connaÎt tous très bien, on est à l’aise en travaillant les uns avec les autres. Notre force est notre formation commune à Noisiel, mais nous venons tous auparavant de formations différentes ; ainsi l’univers de chacun est unique, et nous avons la possibilité de nous y plonger et de le faire partager aux autres.
La pièce a été écrite il y a plus de cinquante ans et pourtant elle fait écho à l’actualité. Pensez-vous que les sujets de la censure, de l’intolérance et du rejet de l’autre sont des thèmes récurrents dans le théâtre d’aujourd’hui ou au contraire restent-ils finalement assez méconnus ?
Emilie : oui et non, je pense. En France, on est beaucoup plus libres que dans certains pays. Aujourd’hui moi, en tant que femme française et en tant que metteur en scène et comédienne, je souhaite me diriger vers une voix engagée qui dénonce et qui touche. Dans la programmation des théâtres d’aujourd’hui, on voit beaucoup de pièces difficiles qui nous remettent en question. Mais l’intolérance existe et donc la difficulté d’affirmer son homosexualité, par exemple, aussi. Il faut juste ne pas cesser d’en parler et espérer que les regards évolueront.
Robin : Ce qui est assez drôle quand on regarde cette pièce, c’est qu’historiquement elle a rencontré des périodes de popularité et d’oubli relatif. Et avec les fait actuels, et le retour en arrière des idéologies de certaines personnes, elle revient vers l’avant de la scène.
Emilie : J’avais rencontré une dame lors d’une résidence, qui m’avait raconté que son mari avait été censuré dans les années soixante-dix en essayant de monter cette pièce. Cela avait créé un scandale. On se rend compte de la chance que l’on a aujourd’hui.
Après le festival, comment allez-vous continuer à faire vivre la pièce ?
Emilie : Le problème aujourd’hui est qu’il est compliqué de faire jouer une pièce avec treize comédiens. Et organiser une co-production à Paris ce n’est pas facile quand on est une jeune compagnie théâtrale. La seule possibilité de jouer cette pièce c’est de faire « acheter la pièce », ce qui est le cas au mois de février au théâtre Le Ludion à Ville-Moissons sur Orge dans l’Essonne. C’est pour cela que le festival Nanterre sur Scène est très important pour nous.
Robin : On a tous d’autres projets à côté, je sors du diplôme juste maintenant. Et joue aussi dans une autre compagnie. Mais Scènes de Chasse en Bavière est la première scène qui rassemble le collectif, c’est un peu la figure de proue, donc on espère pouvoir toucher le public.