Arboretum

De Simon Roth / Compagnie Arborescence
par la Compagnie Arborescence
Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique

Date : Mercredi 28 novembre 2018
Horaires : 18h30 - 19h30
Lieu : Le chapiteau de Tralala Splatch
Durée : 1h
Discipline : Théâtre / Cinéma documentaire

Arboretum

Simon Roth

Mise en scène : Simon Roth
Avec : Simon Roth, Julie Bulourde et Benjamin Bertocchi
Dramaturgie / regard extérieur : Marie Thiébault

Nous sommes en 2015, je vais rendre visite à mes grands-parents dans un petit village en Normandie. Nous apprenons que mon grand-père a la maladie d'Alzheimer, au même moment, j'apprends que la fête folklorique de son village ne connait pas de suite à cause du vieillissement de ses organisateurs et du désintérêt des nouvelles générations pour ce type de rassemblement. Ces deux événements me sont apparus comme le signe d'une disparition progressive, celle d'une identité, d'une culture, de ce que représente mon grand-père au-delà de l'homme que j'ai connu. Pendant ces dernières années, j'ai alors voulu mener une investigation autour de cette perte de mémoire individuelle et collective. J'ai commencé par filmer mon grand-père comme pour garder une dernière image de lui cohérente, de ce qu'il était vraiment. Et en parallèle de ce portait intime, je me suis attardé sur ce fait divers qui m'est apparu très signifiant par ce qu'il implique: la disparition de cette fête du village où il y avait une démonstration des vieux métiers, des chants et des danses traditionnelles. En effet, je sentais que nous étions actuellement sur un point de rupture, de génération, de mode de vie, de centre d'intérêt, la vie à la campagne ne ressemble désormais en rien à celle qu'a connu mon grand-père. Tout cela je l'ai filmé, comme pour témoigner de cette évolution et j'ai voulu le jouer pour en partager la trace.

Entretien

Au début de l’automne, nous avons retrouvé Simon Roth, auteur et metteur en scène de la pièce Arboretum. L’occasion pour qu’il nous parle de sa première création, une pièce sur l’oubli et les ruptures générationnelles que lui a inspirée l’Alzheimer de son grand-père.

Claire : « Arboretum » est un terme latin qui désigne un jardin botanique organisé par l’esprit et la main de l’homme. Pourquoi cette métaphore pour aborder la maladie d’Alzheimer ?

Le terme nous est apparu comme ça.

Avant que mon grand-père ne soit diagnostiqué de la maladie d’Alzheimer, il a décidé de faire un arboretum dans son champ : chaque membre de la famille a choisi un arbre à y planter. Au moment où mon grand-père a commencé à perdre la mémoire, il nous amenait tout le temps à l’arboretum pour nous montrer comment nos arbres poussaient. J’y vois la métaphore concrète de sa mémoire : ces arbres qui grandissent et lui qui a de plus en plus de mal à s’en occuper. À partir du moment où il ne pouvait plus y aller, il a commencé à en dessiner le plan, comme pour garder un souvenir physique.

Ça fait aussi référence à la naissance de la compagnie Arborescence. Cette création, c’est comme planter une graine… c’est une idée qui nous plaisait beaucoup. C’est un peu comme si tout était interconnecté, comme les rhizomes des bambous, vous voyez ? Ce nom fait donc aussi référence au fait que ce soit une production interdisciplinaire, avec un peu de conférence, de cinéma, de théâtre, de démonstration.

Lola : Nous nous demandions s’il était important pour vous que votre expérience personnelle soit le terreau de votre première création ?

Oui complètement. Mon père est documentariste, j’ai donc baigné là-dedans. Enfin dans un certain type de documentaire : celui dans lequel le réalisateur se met en scène dans ses films.

Moi je suis parti dans une autre discipline (le théâtre), mais c’est resté important pour moi. Surtout que je me questionne par rapport à la nécessité des spectacles que je vois. Je suis en quête du sens théâtral : pourquoi on fait du théâtre ; c’est quoi cet acte de monter sur scène ? Alors, plutôt que de partir d’une pièce qui est un peu le message d’un autre, je me suis demandé : qu’est-ce qui, moi, me ferait monter sur scène ?

Au début ce projet était vraiment personnel : c’était filmer mon grand père quand j’ai appris sa maladie, pour avoir un dernier entretien cohérent de lui. Mais finalement, j’ai eu du mal à avoir cet entretien. J’ai donc tiré le fil de ce nœud qui me bloquait : je me suis concentré sur ma famille qui parlait de lui, puis le maire de son village...

C’est difficile de filmer quelqu’un de malade, surtout quand c’est quelqu’un de la famille, j’ai eu plein de doutes. Le fait que ça me soit personnel à la fois ça m’est nécessaire, et à la fois, par moment, ça me mène à des blocages.

Claire : Pourquoi avoir fait le choix de la forme théâtrale (qui est éphémère) plutôt que d’une adaptation cinématographique qui, elle, est durable ?

La forme théâtrale est éphémère mais elle permet aussi d’évoluer. On ne l’a pas jouée beaucoup mais à chaque fois ça changeait : il y a toujours un nouveau rapport au public, de nouveaux textes ou de nouvelles vidéos.

Elle permet aussi un certain rapport au temps : la pièce évolue en même temps que la maladie de mon grand-père. Ça me paraissait beau de continuer le processus jusqu’à la fin d’une vie. Le projet lui est dédié.

Claire : Votre grand-père apparaît justement dans des vidéos projetées pendant le spectacle. Comment avez-vous filmé ces scènes familiales ?

Il y en a peu parce que ça demande du courage de sortir la caméra dans ces moments. C’est impossible de filmer une scène de famille : dès que la caméra est visible, les discussions ne sont plus naturelles. Filmer les gens vient changer le dispositif de la conversation. Alors je laissais pendre ma caméra autour du cou pour qu’elle soit le plus discrète possible.

Claire : Vous exposez certains documents, certaines ressources sur scène : est-ce que pour vous la force du théâtre documentaire est d’apporter des solutions, des pistes de réponses face à un constat d’oubli général ?

Il n’y a pas de “solution”. J’ai l’impression que les gens qui disent qu’ils apportent des solutions c’est souvent… assez naïf. J’ai simplement remarqué que quand les gens parlaient d’eux à l’exact endroit qui les touche, l’émotion devient presque universelle.

Nous avons eu une subvention de la Mairie de Paris puisqu’Arboretum aborde les rapports villes/campagnes. C’est vrai qu’on joue souvent devant des citadins qui parfois ne connaissent pas les personnes issues de milieux ruraux : les chemises à carreaux, le bleu de travail, le mouchoir en tissu, la vie où tout le monde s’invite l’un chez l’autre pour prendre un café… Mais dès qu’on voit un documentaire qui traite du sujet, des petites fenêtres sur la vie des autres s’ouvrent.

Lola : Avec le dispositif frontal utilisé, et cette interaction que vous établissez avec le public, nous nous sommes demandé s’il y avait une visée pédagogique à votre spectacle.

Par rapport à la pédagogie, quelque chose me semblait crucial dans le projet : d’habitude ce sont les grands-parents qui enseignent aux petits-enfants, mais là c’est moi qui remonte. J’inverse le dispositif. Il y a une visée pédagogique à dire ce que moi j’ai appris. Je suis parti d’un point de départ qui était un peu cliché (la perte de mémoire et de tradition), j’avais vraiment la vision décadente de l’Ère Numérique, j’avais une idée de rupture générationnelle où “hop”, maintenant on passe dans une autre ère. Puis j’ai rencontré une historienne qui m’a appris que la racine étymologique de “tradition” c’est “trahir”. La “perte de tradition” est une constante dans l’humanité. Certaines des choses qui disparaissent pendant trente ans peuvent réapparaître. En fait, c’est une matière fluide.

Claire : Sur scène, comment rendez-vous visible le thème que vous abordez : la perte de mémoire ?

Ç’a été une vraie question : scénographie minimaliste, ou accumulation d’éléments scéniques ? Un jour, je devais présenter le projet Arboretum, mais la fille qui devait amener les vidéos les a oubliées. Il n’y avait plus rien : le vide sur la scène. Alors j’ai fait mes vidéos simplement avec la parole, et ça a plu. La force de la parole est de faire exister ce qui n’existait pas, de même Arboretum se passe d’une scénographie explicite. J’assume vraiment d’être en face de vous et de ne pas faire naître le théâtre tout de suite. D’un coup l’espace d’une scène de conférence - sans ajouter d’objets, seulement avec les lumières, le son et notre jeu - va se transformer en scène théâtrale.

Claire : Il y a un jeu d’alternance entre des scènes frontales et des scènes familiales plus théâtrales. Pourquoi la théâtralité est-elle importante dans ces scènes ?

Tout simplement pour ne pas mentir aux spectateurs. Tout ce que je leur dis est vrai, c’est mon histoire. Lorsque nous passons sur scène, nous pratiquons forcément une reconstitution. J’ai besoin de dénoncer l’illusion scénique, de dire que ce sont des acteurs et pas vraiment ma famille; c’est un pacte de transparence, la caution du réel.

Mon professeur d’interprétation suivait avant la méthode de jeu de Stanislavski qui exige “de devenir son personnage”. À présent, il trouve ça plus intéressant de courir après son personnage, de cultiver le décalage, parce que l’acteur n’arrivera jamais à s’effacer complètement derrière le personnage.

Claire : Vous parlez de la perte de tradition comme d’un fait générationnel. Quelle dimension cela prend-il d’en parler à Nanterre sur Scène, devant un public majoritairement étudiant et lycéen ?

Je pense que c’est à eux que c’est destiné. Beaucoup de personnes sont venues me dire “moi aussi mon grand-père a l’Alzheimer, et je voulais en faire un projet”. De plus, il y a une rupture générationnelle fréquente avec le sentiment d’être étranger à ses grands-parents.

Il y a la recherche d’un lien aussi. Quand je disais “créer du réel avec le théâtre”, c’est que le théâtre m’a aussi permis de créer du lien avec mon grand-père. Je pense qu’à partir du moment où c’est quelque chose où on sent une réelle subjectivité, ça peut vraiment toucher.

C’est aussi un rapport avec l’œuvre artistique. J’ai bien conscience qu’à Nanterre sur Scène il y aura beaucoup de gens qui font du théâtre dans le public. Je me souviens avoir vu un spectacle de théâtre documentaire très simple, épuré et ça marchait très bien. Et je me suis dis “ok faut que je me lance, c’est pas si difficile”. Peut-être que des gens vont réagir comme ça dans le public, ça serait top, que certains aient l’idée de créer eux-mêmes des liens.

Propos recueillis pas Claire Thomas et Lola de Marcillac.