Le dépôt amoureux

De Camille Plazar
Par la Compagnie Tout le monde n’est pas normal
Studio de Formation Théâtrale — dirigé par Florian Sitbon

Date : Lundi 3 mai 2021
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h30
Discipline : Comédie

Le dépôt amoureux

Compagnie Tout le monde n’est pas normal

Avec : Thomas Ailhaud, Gabriel Arbessier, Lorette Ducornoy, Anaïs Robbe, Léa Schwartz
Son et musique : Thomas Ailhaud
Création lumière : Roman Tedes

À la suite d'un choc galant, Noé est transporté d'urgence à l'hôpital et subit une opération du cœur. à son réveil, le diagnostic tombe : il est atteint de la maladie "Separatus Brutus" et doit être transféré dans un centre de rééducation du cœur. Il y rencontre Simone qui cherche une réponse à une question dont elle ne connaît pas l'énoncé, Lise qui ne peut plus quitter sa bouée de sauvetage, Victor passionné de chasse mais qui ne sait pas utiliser son épée et Solomon Itegrand Camarude qui lui ressert toujours à boire. Commence pour lui un voyage dans les méandres de son subconscient pour tenter de répondre à la question : lorsqu'on passe de 2 à 1, que reste-t-il de Nous ?

Dans notre quête du progrès technique, tout se rationalise, même l'amour. Des algorithmes augmentent nos chances de rencontrer l'âme sœur. Des études scientifiques montrent que nous choisissons nos partenaires grâce à leur odeur pour former la meilleure compatibilité immunitaire. à l'issue de ces études, des remèdes s'inventent. Et si un spray nasal à l'ocytocine pouvait relancer la libido ? Le filtre d'amour est à portée de main. Pourtant un mariage sur deux finit en divorce. Nombre d'entre nous ont vécu une rupture amoureuse qui a balayé nos idéaux, nous laissant seul.e avec cette question douloureuse : amputé.e d'une partie de soi, comment se reconstruire ? Redevenons-nous entier ou sommes-nous condamnés à vivre en étant la moitié de nous-même ?

Fiche de salle

La pièce

Suite à sa rupture amoureuse, Noé, parachutiste en perdition, est atteint de la fameuse maladie qui sépare les couples : la Separatus Brutus. Après avoir subi une opération du cœur, il est envoyé dans “un dépôt amoureux” où il rencontre une sorcière, une princesse, un chevalier, et un mystérieux personnage du nom de Solomon Itegrand Camarude... Dans cette clinique imaginaire, l’univers froid du monde hospitalier va tenter de rationaliser leurs souffrances.

Ballotté de sessions de gymnastique en repas diététiques en passant par des coachings psychologiques, Noé va vivre de drôles de moments. Durant ce voyage immersif où l’emporte sa solitude, il va tenter de répondre à une question : Que reste-t-il de nous après une rupture ?

Dans une société où l’humain se rassure en matérialisant son mal-être dans des données médicales, quantifiables et visibles. Le dépôt amoureux parodie cette absurdité en croisant la danse, le théâtre et les arts visuels. Camille Plazar parle de maladie, avec humour, pour pointer du doigt les éternels affrontements entre la santé physique et la santé mentale, entre le couple et le célibat, entre le visible et l’invisible, l’un étant toujours déprécié par rapport à l’autre. Le dépôt amoureux se fait le théâtre de cette dualité, et Noé va y découvrir que la rupture amoureuse n’est pas qu’une histoire de conte de fées.

La compagnie

Écrit et mis en scène par Camille Plazar, Le dépôt amoureux est la première création de la compagnie Tout le monde n’est pas normal, issue du Studio de Formation théâtrale de Vitry-sur- Seine, dirigé par Florian Sitbon.

La compagnie collabore avec des artistes plasticiens afin d’intégrer les arts numériques au monde scénique, en gardant toujours au cœur de son travail la conviction que le théâtre permet d’aborder différents sujets de société et de sublimer toutes les souffrances du monde. C’est avec ce projet que l’histoire de la compagnie commence.

Fiche réalisée par Lucie Bassoff et Claire de Laforcade, étudiantes en Master MCEI.

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Entretien

Un mardi matin, nous avons rencontré Camille Plazar, auteure et metteuse en scène du Dépôt amoureux, pièce à mi-chemin entre conte moderne et récit initiatique, pour échanger sur les coulisses de sa création.

Comment est née cette idée d’écrire une pièce sur le thème de la rupture amoureuse ?

L’envie d’écrire est née d’une rupture amoureuse quand j’avais vingt ans. Après l’événement, et pendant trois ans, j’ai écrit des fragments sur la rupture amoureuse puis tous ces morceaux ont fini par prendre la forme d’une histoire. Quand je me suis retrouvée seule, après ma rupture, j’ai commencé à lire des livres pour tenter de comprendre ma situation mais je ne rencontrais que des écrits absurdes comme Comment récupérer son ex ? Après une intense période de recherche, je me suis aperçue qu’il y a peu d'écrits sur le sujet. C’est pourtant un sujet universel. Écrire sur ce thème est donc devenu une évidence.

Vous êtes à l’écriture et à la mise en scène. Comment avez-vous procédé ? Vous êtes-vous fondée sur des témoignages ?

Pas sur des témoignages mais sur des lectures. La science et la rationalisation de l’amour m’intéressaient. Le Dépôt amoureux est une pièce qui se déroule à l’hôpital et, par conséquent, je voulais y intégrer un vocabulaire scientifique.

Quelles ont été vos références dans l’écriture de cette pièce ?

Un cerveau nommé désir est un livre sur lequel je me suis particulièrement appuyée car il questionne l’amour d’un point de vue scientifique et fait naître des interrogations telles que « Comment naît le désir ? ». Pourtant ce livre n’aborde que très peu la rupture amoureuse. Je me suis aussi inspirée de Sciences & Vie et de reportages sur Arte pour comprendre comment réagit notre cerveau lors d’une rupture amoureuse. Enfin, la bande dessinée La Rose la plus rouge s'épanouit de Liv Strömquist a aussi beaucoup répondu à mes questionnements. Dans ses écrits, l’auteure évoque la part de mystère qu'il y a dans l’amour et le désamour. En ce qui concerne mes références humoristiques, mon univers tourne autour de Kaamelott ou encore de OSS 117.

Que désigne ce titre intriguant : Le Dépôt amoureux ?

Tout d’abord, Le Dépôt amoureux est une référence à la pièce Le Dépit amoureux de Molière et à l’imaginaire des rencontres fortuites de cette époque. Ensuite, le « dépôt » est un mot qui évoque un lieu froid, inesthétique. En pleine rupture amoureuse, nous ne sommes pas toujours séduisants, pas vrai ? Le « dépôt » mène aussi à un hangar dans lequel on imagine les personnages errer comme des âmes en peine. Enfin, « déposer » est aussi l’action de placer des objets en lieu sûr. Ce titre est fait pour soulever plusieurs questions : Quels souvenirs garde-t-on lorsqu’on se sépare de quelqu’un ? Qu’est-ce qu’on dépose en lieu sûr ? Qu’est-ce qu’on jette ? Tout au long de la pièce, Noé, le personnage principal se pose ces questions. Il fait le tri entre ses souvenirs, choisit ceux qu’il a besoin de jeter et ceux qu’il souhaite conserver.

Les personnages sont tous très originaux et incarnent chacun les facettes tragiques et comiques de la pièce. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces personnages et ce que chacun représente ?

Noé est une figure de la littérature qui représente le naufragé évoluant et avançant seul en parlant à son imaginaire.

Ensuite, il y a Lise. Elle représente la princesse qui a le syndrome de l’infirmière et « tombe amoureuse des mauvais gars ». Elle a ses propres névroses comme celle de la bouée de sauvetage qu’elle ne veut pas quitter.

Simone n’a de sorcière que le nom. Son personnage s’inspire de la symbolique de la sorcière et du féminisme avec une touche d’hyper-rationalisation des choses. Elle lit tout et son contraire afin de comprendre le mystère de l’amour sans pour autant y arriver.

Le Prince charmant est un « boloss ». Il tente de prôner la masculinité mais semble perdu et dévoile peu à peu une part de sensibilité.

Enfin, Solomon Itegrand Camarude représente la solitude. Avec les répétitions, nous nous sommes aperçus qu’il pouvait aussi apparaître comme le fantôme de son ex, qui erre, et l’entraîne comme un dealer dans ses vices. Rompre, c’est accepter de passer de deux à un : aborder la thématique de la solitude permet de faire déculpabiliser et de dédramatiser le fait d’être seul.

La pièce pourrait être perçue comme le cerveau de Noé et les personnages représenteraient toutes ses facettes : Lise représente l’émotion, Le Prince charmant la masculinité, Simone la rationalité, et enfin Solomon Itegrand Camarude la solitude.

Au centre de la pièce, il y a Noé. Comme son nom l’indique, il a, au début, l’air tout juste rescapé d’un déluge. Que va lui apporter ce séjour dans la clinique ?

Premièrement, Noé va comprendre qu’on ne peut pas s’en sortir seul. Il va se confronter au collectif pour échanger et partager des moments. Ensuite, que chaque personne prend un temps différent pour arriver à avancer seul. Enfin, que rien n’est grave ! Il va apprendre à écouter son corps et ses émotions : pleurer, rire, picoler. Les outils thérapeutiques du conte tels que la danse et la gestuelle lui permettent d’extérioriser son mal-être.

La pièce met en avant un fait de société : la santé mentale est rationalisée et transposée dans le langage médical, considéré souvent comme le langage universel. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de pointer du doigt ce phénomène ?

D’un point de vue personnel, je suis souvent allée à l’hôpital, non pas en tant que patiente mais en tant qu’accompagnatrice. Je me suis rendue compte que les soignants, sûrement à cause de leur surcharge de travail, ne sont pas toujours très fins psychologues. Nous faisons ce même constat dans les ruptures amoureuses. Il y a ce même aspect abrupt. Chacun y va de son petit conseil absurde : « un de perdu dix de retrouvés » ou « prends une bonne cuite ». Je trouvais intéressant de confronter ces deux angles : la rupture amoureuse et l’univers médical.

Vous avez fait le choix scénographique de projeter au fond de la scène des images de cellules magnétiques en mouvement. Comment est né ce choix ?

Il y a quelques années, j’ai découvert le collectif Chemical Bouillon qui projetait des réactions magnétiques de ferrofluide pendant des concerts, en suivant une certaine rythmique, et ce procédé scénique m’a plu. En les observant, nous avons l’impression de nous retrouver devant une échelle du visible et de l’invisible, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Ce procédé nous questionne sur l’amour. Est-ce que rendre visibles les réactions amoureuses nous aidera à comprendre ce qu’est l’amour ? Pas forcément. C’est beau mais on ne comprend pas le phénomène. Le rapprochement avec la pièce m’a sauté aux yeux et j’ai trouvé intéressant de le montrer aux spectateurs pour les plonger immédiatement dans une atmosphère décalée.

Dans le monologue d’un de vos personnages, nous entendons une phrase qui nous a marquées : « J’ai appris que ma génération n’avait plus envie de faire de sacrifices. » Cette pièce parle d’un thème universel, qui peut toucher absolument tout le monde, mais c’est tout de même une jeune génération que vous mettez en scène. Alors, comment représentez-vous la jeunesse avec cette pièce ?

Il se trouve que l’acteur interprétant le personnage de Noé a 42 ans. Je trouvais ça intéressant que ce soit lui qui l’incarne : ça permet à tout le monde de s’y retrouver. Cette phrase que vous me citez, rappelle que les adultes d‘aujourd’hui nous identifient comme la génération qui a du mal à gérer ses frustrations et qui veut faire ce qu’elle veut. J’ai vu beaucoup de gens se détruire à la suite d’une rupture durant leur vingtaine. C’est plus compliqué à gérer lorsqu’on est jeune. Et puis, la rupture et le divorce sont des situations plus acceptées et habituelles que par le passé. Par conséquent, nous serons une génération plus confrontée à la rupture. Alors, comment en faire un élément qui nous construit plutôt qu’un élément qui nous détruit ?

En voyant votre pièce, on fait immédiatement le lien avec le contexte actuel : cet affrontement entre santé mentale et santé physique dans la crise sanitaire. C’est d’ailleurs dans ce contexte compliqué et incertain que vous allez jouer votre pièce pour la première fois. En quoi votre propos résonne-t-il avec l’actualité ?

Le discours rationalisé et médicalisé utilisé dans certaines scènes fait écho à l’actualité. Malgré nous, la pièce a beaucoup résonné avec le contexte, qui lui a ajouté une profondeur. Nous avons donc adapté quelques aspects de l’écriture vis-à-vis de ce contexte. Par exemple, quand le personnage de Simone, dans son monologue, dit : « J’ai vu ce qu’était une pandémie, mais personne ne m’a expliqué pourquoi on dormait dans le même lit. » Cela nous a permis d’ajouter une perspective à notre propos, même si nous n’avons pas tenu à prendre ce sujet à bras-le-corps, puisque, pour ma part, je pense que cette situation dramatique dans les hôpitaux ne date pas d’hier.

Quant à notre ressenti de la situation en tant que jeune compagnie ? Pour nous, cette crise met en avant la résilience du secteur culturel. C’est un milieu qui a toujours été en lutte et en adaptation. Actuellement, nous répétons, et à la réouverture nous serons prêts à jouer ! Le Dépôt amoureux verra le jour quoi qu’il arrive.

Propos recueillis par Lucie Bassoff et Claire de Laforcade, étudiantes en Master MCEI.

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