Lyse-Majesté

Mise en scène : Louise Delilez et Chloé Forestier

Chloé Forestier en collaboration avec Mardi Forestier
par la Compagnie Pyrale
Sorbonne Nouvelle

Date : Jeudi 28 novembre 2024
Horaires : 18h - 19h20
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h20
Discipline : Théâtre

Lyse-Majesté

Quentin Chevrier

Texte : Chloé FORESTIER en collaboration avec Mardi FORESTIER
Avec : Telma BELLO, Alma RECHTMAN, Thomas MEYER, Louise DELILEZ et Chloé FORESTIER
Création artistique : Eline COTTENCEAU, Plastic ALIEN (costume), Bettina SAUVAGEOT et Chloé FORESTIER (chorégraphie), Anna LETIEMBRE et Igor LANDRON (scénographie)
Création son et lumière : Thomas NOLET et Alexis SANZEY
Régie générale : Igor LANDRON

L’annonce du décès de la reine se propage dans la cité d’Importance. Le personnel de la royauté s’affaire pour remplir le strict protocole de succession. Les trois apicultrices royales, Mélina, Marthe et Mirabelle, chargées de prévenir les centaines de milliers d’abeilles de la perte de sa majesté, ont avalé la nouvelle de travers. Les aiguilles tardent à avancer. On ressasse les souvenirs comme un moyen de lutter contre les cataclysmes de cette disparition majeure. Une souveraine que l’on pleure dans un royaume peut-être moins blanc qu’il n’y parait. Les jardins du palais n’ont de naturel que le soleil qui les éclaire car ici, toutes les fleurs sont les mêmes et rien ne sort du répertoire de la couronne.

Après tout, ceux qui sont morts ne sont jamais partis, n’est-ce pas ?

Entretien

Avec Lyse-Majesté, Chloé Forestier amène les spectatrices et les spectateurs à réfléchir sur le monde qui les entoure à travers la mise en scène d’un royaume calqué sur la société des abeilles. Entre émancipation et perpétration du régime, le questionnement des personnages évolue au fur et à mesure que le blanc se grise.

« Un propos sur la mort c’est quelque chose que j'aime entendre au théâtre ou que j'aurais aimé entendre à certains âges. »

Comment vous est venue l'idée de faire une pièce mêlant le monde des abeilles et le nôtre ?

Chloé Forestier : L'idée première vient d'un article expliquant une superstition datant du moyen-âge, celui-ci a fait surface à la suite de la mort de la Reine d’Angleterre : si une personne possédant des ruches mourrait, les nouveaux apiculteurs et les nouvelles apicultrices devaient aller prévenir les abeilles de la mort de leur maître ou maîtresse, au risque de voir la production de miel s’arrêter, les abeilles se laisser mourir, ou partir des ruches. Après cette lecture, j’ai pensé à faire figurer de la danse, du slam et du chant dans la pièce. Ces médiums sont une façon de fabuler la chose occupée, de la rendre autre et joyeuse, et créer une ode à la mort. En ce sens, le Royaume de la cité d’Importance n'a rien à voir avec notre monde et ne se situe dans aucun siècle. Il est à cheval sur toutes les époques et les lieux dans le monde, certains aspects fonctionnent de la même façon qu'aujourd'hui bien sûr, parce qu’une dystopie ou une utopie se basent sur nos connaissances.

Quelle est la signification derrière la célébration de la mort de la Reine ?

Je voulais parler de la mort dans ma deuxième pièce à la suite d’un enterrement que j’ai vécu. Pour la première fois, je me suis rendue compte qu’un enterrement triste ne me convenait pas et je voulais changer cette perspective européo-centrée en une célébration heureuse à la mort de la reine à la cité d’Importance. La Reine est la mère de toutes et de tous, et la cérémonie des funérailles permet au peuple de lui rendre hommage à travers la danse ou le chant comme le font d’autres cultures du monde. L’objectif étant de faire perdurer son règne dans une ambiance joyeuse et chaleureuse. Le décès de la reine pose la question de la manière dont on célèbre nos morts, comment nous les acceptons, mais aussi la place qu’a la mort dans nos sociétés. À la cité d’Importance, tout le monde prépare le royaume pour dire au revoir à la reine, à travers la joie et la danse sans pour autant négliger la tristesse de sa disparition.

Quels aspects de la pièce vous ont amené à parler de fascisme ? Quelles nuances faites-vous avec un régime totalitaire communiste ?

Pour moi, le fascisme est un mouvement politique et social caractérisé par son nationalisme et son totalitarisme. Dans cette pièce, il y a un culte de la personnalité du chef, des persécutions et des discriminations de minorités. Dès qu’un individu à la cité d’Importance est malade, ou n'est plus en capacité de fournir l'effort et le travail qu'il doit accomplir, il est endormi dans les murs du Royaume, représentant la prison. De plus, les seuls hommes présents font partie de la milice ou fécondent la reine. Cette idéologie d'extrême droite sépare les individus selon des critères arbitraires. Les personnes destinées à des rôles précis sont placées dès la naissance. Par exemple, Marthe, Mélina et Mirabelle ont grandi dans une maison avec une gouvernante pour être élevées comme des apicultrices. Le seul homme présent dans la pièce est le personnage non apiculteur qui annonce l'heure, mais qui ne fait pas avancer le récit. La société humaine que construit la cité d'Importance est calquée sur une société d'abeilles. Les ouvrières sont très communautaires, elles travaillent pour le bien de la race, elles pourraient toutes mourir tant que le règne se porte bien. Cela pose la question de la dévotion pour la reine et jusqu'où le travail doit aller pour que la communauté fonctionne normalement.

Quels aspects cherchez-vous à mettre en avant dans la scénographie ?

Le blanc est une règle de la cité d'Importance. Trois symboles y sont associés : le temps qui passe, l’uniformité qu’impose l’omniprésence de la couleur, et le lustre représentant la fleur du Royaume. Ce blanc à outrance met mal à l'aise, rend aveugle celui ou celle qui le regarde. Cette unicité du blanc clinique souligne la mort omniprésente et le manque de nuance dans la cité d'Importance. Il souligne aussi la pureté, renvoie à la vierge Marie pour laquelle Mirabelle prie. L'imposant lustre en fleur au-dessus des têtes est l’emblème de la reine. Ce lustre a aussi été pensé comme pratique et omniprésent : en tirant sur les cordes chaque pétale éclot et les fils les reliant permet d’étendre le linge. Les fleurs ont une importance dans la symbolique du peuple et des trois apicultrices. Quand elles sont vides et trouées, c'est que rien ne fonctionne comme il le devrait, quand elles sont belles et mûrement fleuries, c'est que tout le pollen et la production se portent bien. Quand les trois apicultrices n'annoncent pas la mort de la reine, toutes les superstitions auxquelles elles croyaient et qu’elles ont redoutées prennent vie. Ce revirement est le commencement de toutes les tempêtes : les pollens s'accumulent, les vents s'activent.

Nous avons remarqué que vos costumes ressemblaient à des costumes de princesses. Comment est-ce que vous avez associé les costumes à la pièce et à l'ambiance ?

Ces costumes ont tous les trois été pensés pour être assez nobles et assez royaux pour souligner leur rôle de protectrices royales. Je voulais que nous ne puissions ni associer les costumes à notre époque, ni identifier des éléments médiévaux ou de la Renaissance. J’ai voulu mélanger deux styles : des costumes d’époque, notamment avec la crinoline qui rappelle le XIXe siècle et qui pour autant n’est pas couverte, représentant un aspect contemporain. La robe de Mélina a un col avec de la laine et pourrait faire penser aux tenues d'un certain temps, tout en laissant voir ses seins et son ventre. Tout cela est très contemporain car aujourd’hui nous libérons les corps notamment par la façon de nous habiller. Ce personnage est très ouvert sur le monde et cela se voit physiquement. À l’inverse, il y en a une qui a un haut en cuir avec des petites ailettes, ce cuir un peu dur c’est sa personnalité, il y a cet aspect très conservateur chez elle. La dernière a des volants, c'est beaucoup plus léger et d'ailleurs c'est le personnage qui fait en sorte que les choses se passent bien, qui est beaucoup plus ronde, qui est beaucoup plus douce.

Comment avez-vous trouvé l'équilibre entre toutes les pratiques artistiques pour que l’ensemble reflète votre volonté ?

Le slam, les chants à la reine sont des hymnes qu'elles chantent depuis qu'elles sont toutes petites. Je pense que Mélina, Marthe et Mirabelle peuvent être perçues comme des danseuses, comme si dans ce royaume nous dansions beaucoup, comme si c'était habituel de pouvoir faire du slam. Il y a tout un répertoire de chants rappelant le Moyen-Âge, la pièce reprend beaucoup ces codes, par exemple il y a de la danse pour le lever de la reine tous les matins. En France et dans nos sociétés, la danse et la vie sont dissociées, cela ne prend pas part dans nos quotidiens, c'est un moment de relâchement et de fête, alors que là, cela fait vraiment partie de leur rituel.

Je viens de la danse, j'ai fait 12 ans de danse donc je pense que cela se retrouve aussi beaucoup dans mes créations. Je trouve que les moments de chants et de danse permettent au public de ressentir le texte d’une manière différente, cela leur laisse de l’espace pour comprendre les émotions des personnages.

Nous avons relevé que la pièce abordait la politique, l'écologie et l'émancipation. A l’écriture de cette pièce, à qui vouliez-vous qu’elle s’adresse ?

Je pense que la pièce pourra toucher un public assez large, les thèmes sont abordables pour tout le monde, et avec peu d’explications elle peut être adaptée à tout public. Ici, le but est que par la danse, le chant et les émotions, le public arrive à se questionner sur nos sociétés. Mon envie était de créer une pièce sur des sujets compliqués de manière abordable, ainsi le public peut comprendre la douleur de ces trois apicultrices à trois endroits différents. Chacun et chacune va pouvoir nuancer avec le personnage auquel il ou elle s’identifie, puis construire un émotionnel qui bouge quelque chose à l’intérieur d’ellui.

Que souhaitez-vous que le public retienne de la pièce ?

Je veux que cela déclenche le questionnement sur la vie, sur ce que les spectateur·ice·s sont en train de vivre. Est-ce qu'iels se sentent enfermé·e·s ou est-ce qu'iels arrivent à se poser des questions sur ce qui les entoure ? Le plus important ce ne sont pas les réponses, c’est le questionnement. Je trouve le processus de recherche des questions très intéressant et j'aimerais bien que le public puisse chercher ses propres questions face à la société qui l'entoure et se demander si cela lui convient ou pas.

Dans un deuxième temps, j’aimerais que cela aide à penser le rapport à la mort. Comment pouvons-nous l'envisager d'une façon joyeuse, comment pouvons-nous célébrer les vies qui ont été, et non la disparition terrible qu’elles provoquent ?

Un propos sur la mort c’est quelque chose que j'aime entendre au théâtre ou que j'aurais aimé entendre à certains âges.

Propos recueillis par Lou-Anne HEUVELINE et Maïna SIMONET, étudiantes en M1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle).

> Téléchargez l'entretien