Passage de la comète

Passage de la comète

Affiche : Laëtitia Bornes; Photos : Nolwen Cosmao

De Vincent Farasse / Les Lendemains d’hier
Les cours Acquaviva - Paris

Date : Vendredi 1er décembre 2017
Horaires : 19h - 20h25
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h25
Discipline : Théâtre

Passage de la comète

Affiche : Laëtitia Bornes; Photos : Nolwen Cosmao

Mise en scène : Arnaud Raboutet
Avec : Louis Atlan, Pierre Boulben, Alenka Chenuz, Benoît Facerias et Anna Romagny
Participation exceptionnelle : Michael Lonsdale et Lila Redouane
Aide à la mise en scène : Camille Arrivé
Musique du DJ norvégien Todd Terje

Des fragments de société contemporaine : entreprise, couple, mondanités, hospice, etc. Des individus malmenés, chacun dans son propre couloir. On a vu passer une comète, son rayon avait la forme d’une épée. Sombrer doucement dans une ville en déshérence. Danser sans nostalgie.

Entretien

A un mois de la représentation de Passage de la comète au Festival Nanterre sur Scène, le metteur en scène Arnaud Raboutet, nous a raconté l’origine de son projet, les partis pris de sa mise en scène et a partagé avec nous sa vision du théâtre.

Les Lendemains d’hier, est une jeune compagnie, dont vous êtes le co-directeur. Après la Nuit des Rois de Shakespeare, votre troupe choisit, avec Passage de la comète, d'interpréter un texte contemporain. Avez-vous une ligne conductrice qui guide vos choix pour le répertoire des Lendemains d’hier ?

Si je devais définir une ligne conductrice pour la compagnie, ce serait celle d’un théâtre à la fois singulier et populaire. Quel que soit le texte que l'on choisit de défendre, contemporain ou classique, on retrouve toujours l’esprit de notre troupe. Avec la Nuit des Rois, mise en scène par Benoît Facerias (le co-directeur de la compagnie), on a voulu rendre Shakespeare accessible à tous et pour cela nous avons monté la pièce sur les routes. Dans cette comédie vieille de quatre cents ans, nous nous sommes amusés à chercher ce qui pouvait faire rire aujourd’hui. Passage de la comète soulevait d’autres problématiques, celles d’un texte contemporain, assez particulier et inconnu du public. Nous avons choisi de le partager avec humour et dans un univers de fête. J’ai l’habitude de dire que mon théâtre plaît aux curieux car je cherche toujours à éviter la complaisance dans le traitement des textes tout en faisant des propositions nouvelles et inhabituelles.

L’humour occupe donc une place essentielle dans votre travail …

Je pense que l'humour est essentiel quoiqu'on monte, que ce soit une pièce de Racine, de Tchekhov ou de Vincent Farasse. Pour autant, on ne cherche pas à faire une comédie à tout prix. D’ailleurs Passage de la comète a aussi ses moments d’angoisse. Mais notre défi sera toujours celui de relever ce qui y a de drôle dans un texte.

Vincent  Farasse a écrit Passage de la comète en 2010. Comme avez-vous rencontré ce texte ? L’auteur a-t-il occupé une place particulière dans le travail ?

J’ai découvert la pièce lors d’un cours aux Ateliers du Sudden. Je savais que je voulais faire de la mise en scène et je crois que j’attendais une rencontre avec un texte comme celui-ci. A la sortie de l’école, on a monté la compagnie Les lendemains d’hier, et nous nous sommes réunis autour de Passage de la comète, une pièce qui répondait à nos aspirations artistiques.

L'auteur a vu la pièce et nous a fait des retours enrichissants, mais il n'est jamais intervenu dans le travail. J'aime cet aspect de la mise en scène où on prend un texte tel qu’il est et on essaie d’en faire quelque chose qui appartient à la troupe. A l’inverse d’une écriture de plateau, ma démarche s’apparente davantage à celle d’une traduction, dans laquelle je me confronte aux problèmes posés par le texte pour essayer de le rendre accessible au public.

Passage de la comète donne à voir vingt-trois personnages représentatifs de la société contemporaine (un patron d’entreprise, des collègues, une serveuse de café, des fêtards, une aïeule dans un hospice…) et des histoires qui s’entremêlent. Quel est selon vous le point commun de toutes ces histoires en apparence fragmentées ?

La complexité de la pièce est justement qu’elle est faite de fragments d’histoires. Elle propose donc une multitude de sens auxquels nous avons dû nous confronter. D’un point de vue narratif, je dirais que le Passage de la comète, le présage de la fin du monde, est ce qui lie ces morceaux d’histoires. Je pense que le point commun entre tous les personnages est qu’ils sont enfermés dans leurs représentations, de manière excessive, sans jamais se remettre en cause. Le monde va mal, la moitié de l’Europe est décimée, bref tout fout le camp… mais ils restent attachés à leurs routines et poursuivent leurs trajectoires absurdes. Finalement, ils ne sortent jamais de leurs couloirs de vie, ce qui est à la fois pathétique et drôle.

Comment êtes-vous parvenu à construire une progression dramatique dans la mise en scène à partir de cet univers éclaté ?

Je n’ai pas voulu forcer le texte à devenir autre chose que ce qu’il est. Il a été écrit sous forme de fragments et sa narration n’est pas linéaire. Alors, j’ai essayé de voir comment les scènes se répondaient les unes aux autres, en m’attachant au rythme du texte, sans pour autant chercher à tisser un fil narratif. Cette structure rend nécessairement la pièce clivante : certains vont adorer s’y perdre, d’autres chercher à rationaliser en vain. J’aime l’idée d’une histoire qui progresse en donnant l’impression aux spectateurs d’avoir des clés de compréhension alors même que le sens se défile sans cesse.

Pour revenir au titre de la pièce, quelle signification donnez-vous à la comète ? Quel traitement avez-vous choisi pour la représenter ?

Tout commence dans la normalité avant le Passage de la comète qui présage le dérèglement de la société et la fin du monde. Cette annonce guide la progression de la pièce jusqu’à une fin tragique. Le motif de la comète se retrouve souvent dans la littérature, l’expression est d’ailleurs presque consacrée pour désigner l’Apocalypse. A la mise en scène elle est matérialisée au début du spectacle, par un jeu de lumière et une musique électronique détonante, qui plongent d’entrée de jeu le spectateur dans l’univers singulier de la pièce.

On assiste tout au long de la pièce à des scènes d’une extrême violence sociale (licenciement de 2000 personnes, un suicide en entreprise, des conversations misogynes…), où le langage très cru révèle les rapports de forces. Vous avez pourtant choisi un traitement résolument comique dans votre mise en scène.
En quoi l’humour est-il, selon vous, un contrepoint à la noirceur de la société ?

Plus qu'un contrepoint, l'humour s'est imposé comme la solution pour aborder la pièce. Cela me semble être une pierre angulaire qui se décèle partout. A la lecture d'un texte, l'humour permet de ne pas prendre les choses trop au sérieux. Dans Passage de la comète, tout ce qui est excessif, pathétique, obsessionnel ou même absurde forge le comique. Selon moi, au théâtre, il vaut mieux faire rire de l'absurdité de la société que de jouer au premier degré que le monde va mal.

Un personnage se détache à la mise en scène : Murielle, l’aïeule dans un hospice qui apparaît dans un petit téléviseur sur le plateau. Pourquoi ce traitement singulier ?

Très simplement, le personnage de Muriel est âgé et nous sommes une troupe de jeunes comédiens. Je n'envisageais pas qu'un jeune joue un personnage vieux, car je n'aime pas faire trop semblant au théâtre. Je préfère laisser penser que le comédien pourrait être le personnage. Nous avons donc fait appel à la comédienne Lila Redouane, qui a été formidable car elle s'est amusée à nous proposer un personnage à la fois drôle et aigri. Murielle, depuis son hospice, a une position de retrait, et apparaît comme l'apôtre de l'Apocalypse qui ouvre et clôt la pièce. Sur scène, elle est représentée dans une petite télévision et son image est à échelle humaine. Je tenais à ce que la vidéo intègre pleinement l'espace scénique et que les personnages sur le plateau puissent interagir avec elle.

Passage de la comète, c’est aussi une multitude de lieux différents (un open-space, une montagne, une usine... pour n’en citer que quelques-uns). Vous avez choisi de dérouler l’action d’un espace scénique unique en forme de « friche urbaine ».
Pouvez-vous nous expliquer cette scénographie ?

Notre espace s’est construit au fil des répétitions et rapidement le lieu unique s’est imposé. Il y a sept situations différentes et attribuer un lieu distinct à chacune d’entre elles me paraissait lourd. Je trouve stimulant d’explorer un maximum de possibilités à partir d’un espace contraint, en le réinventant sans cesse. Tout se déroule dans une friche urbaine où sont disposés des éléments de décors bruts : un mur d’angle, un panneau et un comptoir. Je suis urbaniste de formation et je voulais retrouver l’atmosphère d’une ville en chantier, délaissée, que chacun peut s’approprier. Cet espace déconstruit fait écho à l’Apocalypse et évoque aussi l’univers électronique d'une rave-party que nous avons également exploité pour les costumes et la musique.

La musique électronique du norvégien Todd Terje apporte un rythme particulier à la mise en scène. On assiste par exemple à un licenciement en musique…
Comment la musique est-elle pensée dans la mise scène, et pourquoi avoir choisi cet artiste ?

L’intention principale de la mise en scène est d’avoir une approche joyeuse d’un monde qui voudrait nous résigner à l’aigreur. Il y a quelque chose dans la musique de Todd Terje qui se rapproche de cette démarche, avec une musique profonde, parfois angoissante, sans pour autant se prendre au sérieux. Nous avons travaillé pour que les six morceaux qui rythment le spectacle ne soient pas un simple habillage qui surligne le texte mais de réels points d’ancrages de la mise en scène. Par exemple, des passages chorégraphiés millimétrés sont partie prenante du jeu des comédiens. Je souhaitais faire correspondre deux propositions artistiques pour établir un univers original. Quand la partition musicale rencontre celle du texte, il y a une forme d’évidence fascinante qui donne l’impression qu’ils ont été écrits l’un pour l’autre. Finalement, l’intervention du metteur en scène devient alors minime, car personne n’a de prise sur la beauté de cette rencontre.

La musique apparaît entre autres à la fin, lorsqu’on assiste à la dernière fête avant la fin du monde. Les personnages semblent poussés dans leurs retranchements.
Est-ce l’approche de l’apocalypse ou la violence de notre société qui est la raison de cette folie?

Cette scène finale raconte une fête qui tourne mal et donne à voir en une dizaine de minutes toute la dynamique de la pièce. Les personnages pendent une crémaillère et restent enfermés dans leurs mondanités alors que la fin est proche. Tout commence dans la normalité et progresse vers l’hystérie car les obsessions de chacun sont exacerbées. L’Apocalypse met un terme à cette folie. Mais en fin de compte, avec ou sans Passage de la comète, on raconte avant tout les débordements du monde d’aujourd’hui vus sous un prisme artistique.

Passage de la comète propose une critique assumée du monde contemporain. ?Quel traitement avez-vous apporté à ce propos ?

En effet, chaque situation de la pièce nous présente une critique acerbe de la société, celle du monde du travail, du couple… Surligner ce propos à la mise en scène aurait créé une répétition inutile, voire moralisatrice. La critique parviendra toujours mieux au public s’il a ri ou s’il a été bousculé que si l'on cherche à lui imposer une revendication politique sans distance. Selon moi, le décalage du propos vers l’humour est essentiel, car le rôle du théâtre, et de l’art en général, est d’emmener ailleurs.

Quelle est la nécessité selon vous de porter des problématiques actuelles sur une scène de théâtre ?

J’ai avant tout besoin d’éprouver la nécessité de monter un texte qui donne à voir des paysages et des problématiques globales ou intemporelles. Après, ce n’est pas à moi de décider ce que le public doit tirer de la pièce. En tout cas je préfère provoquer des réactions que d’imposer une explication de notre société au public. Certes, cette pièce traite de la violence contemporaine mais la question que j’aimerais poser est : comment réagissons-nous à cette violence ? Dans Passage de la comète nous avons choisi de nous en amuser, de danser, de mettre de la musique, malgré nos peurs.

Entretien mené par Nina Cohen & Chloé Guillet