Britney Spears — Tragédie (Actes I & II)

De William Bourgine / Compagnie Ceux qui ne sont rien
par la Compagnie Ceux qui ne sont rien
Conservatoire à Rayonnement Départemental du Val Maubuée

Date : Mardi 26 novembre 2019
Horaires : 20h30 - 21h50
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h20
Discipline : Théâtre / Danse / Musique

Britney Spears — Tragédie (Actes I & II)

Compagnie Ceux qui ne sont rien

Avec Fanny Masson, Emilie Azou, Romain Lafon-Pachot, Stéphane Monpetit, Baptiste Joët, Alaia Phillips-Ducau

Mardi vingt-six novembre à Nanterre aura lieu
Un spectacle où l'argent est vénéré en dieu :
Venez nous voir jouer Britney Spears – tragédie !
La gloire de la star s’étend et irradie
Sur la planète Terre, où l’argent tout-puissant
Fait la marche du monde et ce qu’on y ressent.
Le théâtre est un sport de combat, et le nôtre
Est tout nouveau et ne ressemble à aucun autre :
Nous y utilisons les moyens découverts
Par les êtres humains d'observer l’Univers.
Regardez à travers le prisme du théâtre
Et vous verrez le monde et ses forces se battre.
Oubliez avec nous vos partiels et le stress :
C'est à vingt-heures trente au Théâtre Koltès.
Vous n’allez pas rester le soir dans votre chambre ?
Venez nous voir jouer mardi vingt-six novembre !

Entretien

Nous avons rencontré William Bourgine, le metteur en scène, et Fanny Masson, avec laquelle il coécrit la pièce. Autour de quelques sablés et d’un thé ou d’un café, ils nous ont présenté leur vision de Britney Spears...

Pourquoi choisir Britney Spears, icône de la pop culture, comme héroïne d’une pièce tragique ?

WB : Au départ, c’était un hasard. J’étais dans une période où je lisais beaucoup Heiner Müller, qui, dans les années 90, après la chute du Mur, parlait du trouble du capitalisme triomphant, de la société du spectacle. Et puis, j’étais en soirée, et quelqu’un a mis du Britney Spears. C’était une artiste qui ne m’intéressait pas particulièrement, mais cet ami m’a dit : « Ça me rappelle mon enfance ». Elle incarnait cette popstar des années 1990, connue pour sa folie très spectaculaire. Un peu comme une blague, je me suis dit que j’allais écrire une tragédie sur sa vie. C’est seulement plus tard que j’ai réalisé qu’avec cette icône, il est possible d’aborder de multiples sujets. À travers la publicité, la marchandisation de soi-même et de son talent, la société du spectacle, l’hypermédiatisation, on pouvait entrer dans différentes strates de notre société occidentale, aussi bien sur un niveau intime que plus global.

La pièce se présente comme une tragédie, mais elle évoque à de nombreuses reprises une comédie musicale. Comment travaillez-vous sur ces deux registres très différents ?

WB : J’avais déjà prévu des passages chantés ; d’ailleurs, les comédiens constituent en quelque sorte un chœur tragique par moment. Mais ce sont vraiment leurs désirs qui ont construit le spectacle.

FM : Quand on recrute des gens qui ont différents talents, on a très vite envie de les mettre en valeur. On peut vraiment dire qu’on a créé la pièce avec eux. D’ailleurs, c’est très difficile pour toi, William, d’écrire sans avoir d’acteurs en tête.

WB : C’est vrai, j’ai besoin d’avoir des acteurs qui peuvent incarner ce que je veux mettre en scène, et c’est avec eux seulement que je peux concevoir les rôles. Le spectacle a été conçu pour la fin de mon cycle d’étude, les acteurs sont donc des gens de ma promotion. Je les connais, je sais quel type d’énergie ils peuvent dégager sur un plateau et je voulais exploiter leur registre spécifique. Mis à part ce type de configuration, mes directions sont beaucoup moins claires.

Justement, la pièce joue beaucoup sur les contrastes entre ce qu’on veut donner à voir et ce qui se passe réellement. Comment se situer par rapport à Britney ?

WB : C’est la différence fondamentale avec les tragédies antiques, à mon avis. L’empathie et l’universalisation ne fonctionnent pas totalement avec Britney Spears. C’est un personnage assez grotesque : elle peut être tout aussi touchante que ridicule. J’aime beaucoup travailler sur cet entre-deux. Britney Spears est une icône -– mais de quoi ? Chacun y projette sa version, comme sur les héroïnes tragiques. L’ambiguïté de Britney fonctionne comme un révélateur photographique : que révèle-t-elle de nos schémas mentaux, de nos habitudes de consommation, de nos mythes contemporains ? Au-delà, Britney a vraiment un destin tragique, qui nous touche forcément. Tout le monde vient voir la pièce avec sa version de Britney Spears, qu’on voie la pièce comme un éloge ou comme une critique. 

Vous n’êtes pas très tendres avec le monde du showbiz, pourquoi cette volonté de montrer « les coulisses » aux spectateurs ?

WB : J’ai observé un jour à la Défense une de ces grandes pubs pour Coca « Choisissez le bonheur » : juste derrière moi, des militaires patrouillaient sur le parvis. J’ai trouvé le décalage très intéressant dans cette illusion du choix. Illusion qui est cruciale pour le show business, car chacun doit défendre son image au détriment de celle des autres. Pour les Américains libéraux, choisir soi-même son produit est une expression de la liberté. D’ailleurs, les ambitions de Britney et celles qu’on lui a imposées depuis son enfance sont les fils conducteurs que suit le monde de la pièce. La chanteuse a été modelée pour être un bon produit marketing, mais elle est d’autant plus intéressante dans sa transgression de ses attentes. Sur certains spectacles, elle ne se souvient pas des chorégraphies, elle fait du playback… Ce décalage complet souligne toute l’artificialité du show business. Elle n’est pas qu’un produit fini lisse ; elle permet aussi d’explorer les mécaniques de l’industrie, même si c’est complètement inconscient de sa part.

FM : Certes, mais ses derniers clips, très provocateurs, sont aussi d’énormes succès. Au final, même quand elle se rebelle, c’est toujours extrêmement rentable pour l’industrie. Elle est considérée par tous comme à peu près has been, mais elle revient toujours, et se place toujours dans le top des ventes. C’est une touriste de sa propre vie.

Britney Spears vous sert donc d’allégorie pour critiquer notre société occidentale ?

WB : Ça dépend ce qu’on appelle par critique. Je ne pense pas que le but de l’art soit de dénoncer. C’est un constat sur notre société : on fait exister différentes dimensions, sans les juger.

FM : Et puis Britney dépasse cette frontière de manière très involontaire. Après tout, elle est l’essence même de l’enfant-star, poussée depuis ses trois ans et ses premiers cours de danse à être la meilleure.

WB : Il y a peu de stars qui ont été si tôt sous le feu des projecteurs. D’une certaine manière, elle a réussi le rêve d’être une « princesse ».

FM : Ah oui, bienvenue dans ton donjon ! Mais il y a une tirade dans la pièce où Britney parle de son désir de devenir astronaute. Elle a été précipitée dans cette machine si jeune qu’elle n’a sans doute jamais eu de libre-arbitre. D’ailleurs, la chanson d’ouverture est la musique de campagne de Trump. C’est quasiment du culte de la personnalité, porté par trois petites filles. Et c’est totalement la situation de Britney. 

Cette pièce porte donc un message personnel que vous voulez faire passer ?

WB : On pourrait tirer de cette pièce diverses morales. Moi, je me contente de montrer sur scène pour que les spectateurs réfléchissent. Certes, c’est ma vision, et je reconfigure les événements pour former un spectacle, mais ce n’est pas ce qui me motive.

FM : Ce n’est pas un message, c’est un objet esthétique. William écrit tous les jours, il a vraiment cette volonté de produire un bel objet. Projeter complètement ses idées sur un spectacle, ça ferme des portes d’interprétation.

WB : Un spectacle qui décrète qu’il faut penser telle chose, c’est le pire : ça se veut engagé mais ça s’épuise le plus souvent dès que la thèse est exposée. C’est contre-productif. Mes idées sont les miennes et c’est avec elles que j’écris et que je mets en scène. Mais savoir produire des choses qui nous échappent est pour moi le plus intéressant, c’est-à-dire quand ça agit sur le spectateur même si je ne l’avais pas prévu. Pour moi, un spectacle marche vraiment quand je ne comprends pas du tout où il me touche, mais qu’il m’émeut profondément.  

Comment concevez-vous le rapport au public, et surtout dans le cadre d’un festival ?

FM : On parle d’une popstar américaine. Le sujet ne s’adresse pas au public traditionnel du théâtre mais à des gens qui n’y vont pas souvent ou à des jeunes…

WB : Dans les grandes institutions, « grand public » ou « tout public » est souvent vu comme un mot un peu vulgaire, comme si on s’adressait à la « plèbe », sans véritable ambition artistique. Mais je pense que le plus important, c’est de faire en sorte que les gens ne s’ennuient pas. Je suis ouvreur, j’ai été étudiant, et je me suis beaucoup ennuyé au théâtre. Je veux que mon spectacle soit divertissant. Je ne veux pas que des jeunes se retrouvent coincés sur un fauteuil sans comprendre ce qui se passe. Il m’est très cher d’exporter le théâtre à ce genre de public éloigné, sans que pour autant on tombe dans quelque chose d’abrutissant ou qui exclurait les publics habitués. Et comme je suis metteur en scène, je construis le spectacle que j’aimerais voir.

Propos recueillis par Louise Peslin et Aldébaran Léger