Pardonnez-moi que le soir
par la Compagnie Un Timbre pareil
Conservatoire National Supérieure d’Art Dramatique
Date : Mercredi 27 novembre 2019
Horaires : 18h30 - 19h30
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre
Compagnie Un Timbre pareil
Avec Ahmed Hammadi, Louise Legendre, Maysie Hilaire, Leah Lapiower
Créatrice son : Noëmy Oraison
Imaginons qu'au moment de la mort, tout ne soit pas résolu et qu’il faille encore faire un choix ultime et décisif. Imaginons que chacun des événements et chacune des rencontres de notre vie aient été pleins d’un sens qui ne nous est restitué que lorsqu’il est trop tard ou presque. C’est l’expérience que va faire Max, un cardiologue solitaire et tourmenté, lorsqu’il meurt soudainement au cours d’une promenade matinale. Et c’est l’expérience qu’il se propose de vous faire vivre un peu aussi. La pièce est une fantaisie imaginée à partir du travail de Nietzsche et de sa pensée de l’éternel retour.
Entretien
Le 23 septembre 2019 à 18h30, près du jardin Nelson Mandela, nous avons rencontré Leah Lapiower, metteuse en scène de Pardonnez-moi que le soir dans un café parisien très bruyant.
Dès les premiers instants, Leah était accessible et disponible pour parler de la pièce pour notre plus grand plaisir.
Nous avons vu dans votre dossier que le thème de la métaphysique à travers l’art revenait souvent dans vos projets. Quel a été l’élan qui vous a poussé à monter cette pièce, avec ces comédiens ?
Je désire avant tout travailler sur la frontière entre le théâtre et la philosophie. Le but est de concevoir des créations interdisciplinaires comme des rencontres entre scientifiques, philosophes et autres artistes, pas forcément comédiens.
Pour ce spectacle, j’ai travaillé avec des élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris : May [Hilaire], Ahmed [Hammadi] et Louise [Legendre]. Ce travail est parti d’un défi personnel pour intégrer le cursus « mise en scène » au sein du conservatoire.
Depuis un an, je travaillais sur Nietzsche et j’ai eu l’envie d’écrire pour ces comédiens. Ce n’est pas une écriture de plateau mais pour que le projet réponde aux problématiques que je voulais soulever, j’ai vraiment écrit pour eux.
Nous avons eu de longues discussions où l’on partageait des histoires, des expériences et des réflexions. Je suis partie de ces échantillons et de tout un ensemble d’éléments pour créer les personnages au plus près des comédiens, même si c’est très subjectif ! Je voulais une vraie adéquation entre le personnage et l’acteur.
Nous, par exemple, nous ne maîtrisons pas Nietzsche et ses idées. Nous ne saurions donc pas apporter, en tant que comédiennes, un bagage intéressant pour nourrir vos écrits. Sur quoi vous fondiez-vous, dans l’équipe, pour entamer vos discussions ?
C’est aussi ce que me disait une des comédiennes au début du travail. Nous avons commencé par nous placer tous au même endroit de recherche.
La pièce ne porte pas sur Nietzsche en tant que tel, elle est issue de réflexions collectives sur le concept de l’éternel retour.
Selon Nietzsche, il s’agit de se demander si on est prêt à revivre sa vie à l’identique de manière éternelle, à lui donner un sens puissant et affirmateur. Mais ce qui est important, ce sont les déductions métaphysiques et existentielles qu’il utilise pour répondre à la question : « Quelle valeur peut-on attribuer à la vie ? ». Ces théories ont aussi été reprises par des points de vue adverses comme ceux de Camus ou de Schopenhauer, que nous avons étudiés.
Ce n’est pas une pièce didactique sur Nietzsche mais je pense qu’on y ressent mes recherches pendant un an et demi et les nombreuses discussions au sein de l’équipe.
Nous aimons que vous ayez choisi, comme défi personnel, un projet sur le défi de la vie !
Mais alors Zarathoustra dans tout ça ?
Le personnage de Zar est effectivement une évocation directe de Zarathoustra !
Je voulais absolument travailler avec la comédienne May. Il me semblait intéressant que ce personnage soit androgyne. Je ne voulais pas de dimension sexuelle et amoureuse dans la pièce mais une rencontre entre deux personnes en dehors du rapport amoureux et du rapport de genre.
En fait, Ainsi parlait Zarathoustra est un récit initiatique qui se termine par un « espoir ». C’est le premier terme que je voulais aborder avec celui de la « consolation ». Ce qui me touche le plus chez Nietzsche, c’est son acharnement à sortir du tragique de la maladie en construisant une philosophie d’appui permettant de transcender sa souffrance [physique] et son sentiment d’aliénation. J’y lis un effort humain pour tenir debout, une volonté de concevoir la maladie comme une forme de santé. Quand on est enfant et qu’on perd des proches, la question « Pourquoi moi ? » apparaît souvent. Dans une société athée, cette perte se traduirait par « Pourquoi le mal dans le monde ? » sans jamais trouver de réponse. Ce n’est pas une critique de la religion car nous n’en sommes plus là. À mes yeux, la réflexion de Nietzche va plus loin. Quand il dit que « Dieu est mort », ce n’est pas seulement le Dieu chrétien mais un constat plus universel.
Dans votre dossier, vous parlez de théâtre métaphysique. Peut-on parler de théâtre de l’absurde pour définir la pièce ?
Ce n’est pas une pièce absurde ! C’est même plutôt l’inverse. L’absurde, selon Camus, c’est être face à l’absence de sens dans la vie alors que Nietzche donne un sens qui est l’éternel retour.
On peut parler de pièce philosophique mais le terme métaphysique me parle plus. En tout cas, il y a un pari surnaturel, comme dans Faust. J’aime qu’il y ait une composante surréaliste dans les pièces, je trouve que ça permet de poser des questions philosophiques de manière plus stimulantes, de faire des expériences de pensées et de faire rêver.
Le sujet de la pièce apparaît comme sérieux et lourd. Comment y avez-vous traité l’humour ?
Il y a de l’humour à travers des moments clownesques notamment au début de la pièce.
L’humour, c’est l’incarnation. On trouve dans le projet des punchlines, de l’humour de langage et du comique de situation. Mais il ne s’agit pas non plus d’une « grosse comédie ». Cependant si le public ne riait pas, nous n’arriverions pas à faire passer le message et le contenu.
Vous parlez de message. Qu’est-ce que vous voulez justement faire passer au public ?
Je reste très floue là-dessus. Je n’ai jamais eu de grandes convictions sur le théâtre. La seule chose que je peux faire est d’écrire sur des choses qui m’obsèdent et me font mal. Mais pour éviter l’ennui ou le narcissisme, je connecte ces choses à des principes plus universels. J’essaie de faire des liens entre ces éléments et le public pour qu’il puisse se reconnaître dans mes propos. En effet, nous vivons des choses sensiblement identiques mais dans des formes différentes. Pour moi, c’est ça le théâtre, c’est l’endroit où l’on se retrouve dans cette « espèce de tragédie ».
Le titre nous a paru énigmatique. En quoi souligne-t-il le propos général de la pièce ?
Ce titre part de ce moment, très beau selon moi, où Zarathoustra dit : « Pardonnez-moi que le soir soit tombé ».
Il n’y a pas de réponse évidente à votre question. Cette phrase contient en germe plusieurs éléments de la pièce. Elle me donne beaucoup d’émotion par sa puissance. L’avoir coupée confère au titre un certain mystère. Ce sont des choses qui se légitiment a posteriori. Il fallait trouver un titre, j’ai eu l’intuition que ça pouvait être ça.
Et pour finir, en quoi le festival Nanterre sur Scène pourrait-il être un tremplin pour votre projet ?
Le festival est pour nous une très belle occasion. La pièce a été écrite de manière intra-conservatoire et jouée dans une petite salle devant une trentaine de personnes dont la moitié étaient du CNSAD. Elle n’avait initialement aucune visée professionnelle.
Le « succès » de cette représentation m’a donné envie de continuer le projet. Le festival est une magnifique opportunité car il nous permet de reprendre la pièce et de la jouer dans de nouveaux lieux. C’est, en réalité, le saut dans l’inconnu. À chaque nouvelle occasion, on cherche à la modifier. Dans une prochaine version, justement, j’essaierai de modérer et d’adoucir les références directes à Nietzsche car l’objectif final est d’universaliser le propos.
Propos recueillis par Aline Ricard et Daphné Lachouque