Black-Out In Variations

De Sabrine Sidki
par le Collectif 804
Cours Florent, Paris

Date : Mercredi 22 novembre 2023
Horaires : 18h - 19h
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Spectacle pluridisciplinaire immersif

Black-Out In Variations

Chloé Pinot

Avec : Alice Acomat, Carmen Borde-Sevilla, Claire Choquet, Théo de Pasquale, Estelle Florin, Margot Janet, et Ruben Lemonnier
Création sonore et live-set : Romain Barthélémy
Live-set : Émile Espinas
Chants, voix et assistance chorégraphies : Sarah Laffon

Il ne reste plus qu’une heure, une heure à vivre, comment tuer le temps avant qu’il ne nous rattrape ? Sept êtres vivants se livrent à une danse contre la montre, comme une ultime pulsation faîte de chaos et de résonances, de doutes et d’expressions, jusqu’au bout, une question de vie(s) ou de survies. Un thème de chair de danse et de voix, où les vivants parlent aux morts et où l’éternité leur répond. Un moyen de donner son ultime sens à l’acte de création : transcender la mort, en reliant le corps et l’âme ; revenir aux origines du verbe court ou long, au souffle étiré, à la vie.

Entretien

Le spectacle BLACK-OUT in variations, invite les spectateur·ice·s à se placer au même niveau que les acteur·ice·s, à vivre une toute dernière heure ensemble. À travers ce décompte unique qui menace de tou·tes nous emporter, la danse permet le voyage, pour réapprendre à être au monde, et à ressentir par le corps. Nous avons rencontré avant le festival, certain·es membres du Collectif 804 pour échanger sur le sujet. Sabrine SIDKI, la metteuse en scène est présente, ainsi que Sarah LAFFON, Alice ACOMAT, Claire CHOQUET, Théo DE PASQUALE, Margot JANET et Ruben LEMONNIER.

« Je pense qu'aujourd'hui la jeunesse doit se réapproprier le choix qu’elle a de correspondre à un système ou non » — Sabrine SIDKI

Que signifie exactement le titre BLACK-OUT in variations, et le nom « 804 » affilié au collectif ? Pourquoi ces titres ?

Sabrine : Avec Black-Out, il s’agit à la fois d’une fin symbolique, donc le noir, la mort, mais aussi d’un reset. Le véritable Black-Out se trouve au cœur de la pièce, d’où renaît un autre possible. Nous partons du monde de la fête, et nous retournons aux origines de l’Homme. Le nom du collectif « 804 » vient d’une encre UV qui n’apparaît qu’à la lumière noire. Le rapport que nous avons à cette lumière symboliquement, c’est le fait d’aller y révéler des choses, voir par un autre prisme le monde qui nous entoure.

L’art pariétal figure parmi vos inspirations. Peut-on dire que le passé devient un refuge à travers cette conception primitive et organique de l’espace et du corps ?

Sabrine : Aujourd’hui nous n'avons plus aucun rapport avec la nature, et les relations humaines perdent de leur sens. Parfois, simplement le fait de parler à quelqu’un·e, de prendre le temps de boire un café, ou d’observer l'environnement, cela peut faire beaucoup de bien. Nous sommes quelque part devenus hors-sol, virtualisés : nous perdons la conscience de notre rapport à l’humain et au monde dans sa dimension matérielle. Cet espace de la grotte est central, et il nous permet de libérer notre condition animale, primaire et essentielle. La pièce est éminemment faite pour se poser des questions sur notre condition humaine.

Justement, comment vous est venue l’idée des espaces scéniques de la boîte de nuit et de la grotte comme espaces centraux pour la pièce ?

Sabrine : Ce sont des choses que j’avais déjà en tête. La danse comme rituel fait partie de l’être humain, depuis des millénaires. Nous les avons transformées en raves party, en soirées techno. Ce sont des choses qui ne nous ont jamais quitté·es, et c’est aussi parce que c’est quelque chose qui réunit.

À la manière de La Horde dans Room with a view, ou encore du corps cathartique dans Crowd de Gisèle VIENNE, est-ce que vous cherchez à retranscrire le sentiment d’une jeunesse révoltée, qui tente tant bien que mal de s’exprimer par la danse ?

Sabrine : Parfois, je trouve la danse, même politisée, moins forte qu’un·e comédien·ne qui va penser sensiblement son histoire. Un·e comédien·ne joue depuis et avec lui-même. . Nous sommes allé·es chercher dans les tripes de chacun·e, pour travailler sur notre propre rapport au monde, et en même temps, il fallait retrouver une distance nécessaire.

Alice : Par l’improvisation, nous nous sommes connecté·es le plus possible à nos ressentis, et c’est ainsi que surgissait soit du texte, soit des moments corporels très forts.

Margot : Ce n’est pas non plus une pièce chorégraphique. Nous ne sommes pas des danseur·euse·s professionnel·les. Nous construisons un langage dansé.

Comment appréhendez-vous la réception du public dans l’espace Reverdy où la séparation scène et salle n’est pas imposée ?

Sabrine : Nous avons toujours été dans des lieux avec le public au même niveau. Quand nous avons répété, nous étions dans une grange avec une estrade, mais la séparation avec le public ne me convenait pas. L'espace est aussi important que la construction de la pièce. L’idée de cette pièce, c’est que le public et les comédien·nes soient sur un même trait d'horizontalité, sur un même plan physique et mental. Il ne s’agit pas de dire « Venez participer », mais plutôt « Venez être vous-mêmes » parce nous sommes tou·tes là en tant qu’êtres humains.

Vous évoquez le fait que le spectacle est une véritable partition collective entre texte, chant, musique, corps, et lumière. Pouvez-vous nous en dire plus sur la place de la lumière dans le spectacle ?

Sabrine : La lumière, pour moi, c’est la vie en soi, et c'est un rapport au temps et à l'espace. Il y a des gens qui sont sensibles à la lumière, d’autres à la musique, d’autres aux mots, et c’est pour cela qu’il faut de tout. Le noir dans la grotte, c’est un vrai Black-Out. La lumière c’est aussi l’absence de lumière, il y a le jour et la nuit. Il ne faut pas oublier les deux versants d’une face.

Margot : Pour autant, nous avons déjà joué sans lumière artificielle, uniquement avec des lumières naturelles. Une façon de jouer avec les nuages, avec des percées de lumière à des moments…

Ruben : Ces lumières jouent tout autant, c’est étonnant. Il y a une scénographie qui se fait d'elle-même et qui marche très bien.

Sabrine : L’idée est de se demander comment nous pouvons nous rapprocher le plus possible du vivant et du naturel. Il faut incorporer un maximum d’éléments qui rendent compte de la nature.

Vous exprimez la volonté de vous dépouiller des codes pour « plonger au cœur du désir d’être au monde ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche ?

Sabrine : Il faut s'interroger sur les codes que l’on nous impose. Est-ce qu’ils sont légitimes ? La question de l’heure à vivre nous met dans une situation d’urgence. Est-ce que c’est nécessaire de penser à notre travail ? À nos études ? Dans ces moments-là, nous nous demandons : « Qui j’aime ? », « À qui j’ai envie de dire que je l’aime ? », « Qu’est-ce que j’ai envie de faire qui me touche ? » Aujourd'hui, nous avons trop de codes qui nous empêchent d’être au monde. Il faut se questionner : « Est-ce que j'ai envie d’être dans 1984 d’Orwell, ou est-ce que j’ai envie d’en sortir ? ». Les gens aspirent à être heureux·se·s. Pour cela, il faut se poser des questions, et avoir le temps de se les poser.

Sarah : La première question que l’on te pose, c’est « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? », et pas « Est-ce que tu es heureux·se ? ». Tout tourne autour du travail aujourd’hui.

Est-ce que le théâtre ne deviendrait pas le lieu d’un rite en faveur de la réconciliation avec notre société ? À la manière des Romains ou des Grecs qui faisaient perdurer le lien entre ciel et terre par la cérémonie du théâtre, est ce que vous diriez que vous cherchez à réconcilier les spectateur·rice·s avec le temps présent ?

Sabrine : Nous ne pourrions pas mieux dire ! (rires)

Claire : Je pense que derrière cette idée, il y a aussi un rêve commun de théâtre. Je crois que nous faisons tous·te·s du théâtre parce nous avons envie de raconter des histoires qui créent de l’empathie, et qui permettent de créer du lien. Quand nous sommes dans un espace ouvert, parfois le public ne sait pas qui sont les acteur·ice·s au début, puisque tout le monde parle. Cela rejoint cette idée de la cité. Nous leur offrons une parenthèse où iels découvrent, iels observent, iels se connectent, iels sont présent·e·s par le corps. Nous ne recevons pas de la même façon une œuvre quand nous sommes assis·e·s, que quand nous sommes debout à la ressentir par le mouvement. La réception est différente, elle est dans la sensation. Si la position physique bouge, la position mentale aussi. Cette conception rejoint celle des Grecs : ils apprenaient des textes en marchant et étaient beaucoup dans l’espace public.

À quel point souhaitez-vous que le public étudiant de Nanterre sur scène soit impliqué, et quel impact souhaiteriez-vous idéalement que le spectacle ait sur ce public ?

Sabrine : Cette question est intéressante, parce qu’elle rejoint la notion de productivité. Notre projet est fait pour remettre à zéro le principe de bon·ne citoyen·ne, de bon·ne étudiant·e. Je ne veux rien attendre d’eux. Je veux simplement qu’iels soient heureux·se·s d’être là. Je pense qu'aujourd'hui la jeunesse doit se réapproprier le choix qu’elle a de correspondre à un système ou non. Un·e étudiant·e c’est une personne citoyenne future, quelqu’un·e qui va créer le monde de demain. Il faut être maître·sse et détenteur·ice de son esprit critique, de sa vision du monde, et pas déjà conformé·e.

Margot : Venez pour être.

Sabrine : Venez comme vous êtes. (rires)

Propos recueillis par Laëtitia FRANCESCHINI/CHAMPION et Alexandre TALBOTIER, étudiant·es en Master MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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