Chœur des amants

De Tiago Rodrigues
par la Compagnie l'Heure Fauve
PAT Studio, Paris

Date : Mardi 21 novembre 2023
Horaires : 18h - 18h55
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 55 minutes
Discipline : Théâtre

Chœur des amants

Eva Zuliani

Texte : Tiago Rodrigues
Avec : Thomas Laurent et Jeanne Celot
Assistante metteuse en scène : Mona Benosa
Chorégraphe : Léa Bourgély

Une femme se réveille un matin et ne parvient plus à respirer. Son espoir pour survivre, c’est Lui. Le spectateur se retrouve alors projeté dans une course contre la montre avec les deux protagonistes. Dans ce moment de bascule, Elle et Lui luttent contre la menace de voir leur vie de couple se briser à jamais. Le temps s’étire, s’arrête, s'accélère. Face à l’inattendu du drame, entre souvenirs et angoisse, ils ne peuvent s’armer que de ce qu’ils ont de plus fort et de plus beau : un amour inconditionnel. Ils luttent et courent ensemble après cette vie qui appartient à Elle mais représente tout pour Lui.

Entretien

Nous avons eu le plaisir de rencontrer les membres de la compagnie « l’Heure Fauve », Eva ZULIANI, la metteuse en scène et les deux comédiens, Thomas et Jeanne qui forment le couple de la pièce Chœur des amants écrite par Tiago RODRIGUES. Au cours de notre entretien, ils ont partagé avec nous leur passion et leur envie de transporter le public au cœur même de l’émotion.

« J’ai eu envie de partager une petite bulle d’espoir, et de montrer qu’il est possible d’aller mieux à la fois individuellement et collectivement. » — Eva ZULIANI, metteuse en scène

Votre désir d’un théâtre orienté vers la beauté et la poésie est perceptible dans le choix de cette pièce et votre mise en scène. Mais la pièce Chœur des amants, même si elle donne à voir une histoire d’amour, débute sur une situation assez grave, tragique même. Où réside la beauté de cette pièce selon vous ?

Eva : Nous avons choisi cette pièce pour deux raisons. La première est très pratique, en tant que jeune compagnie, travailler à trois est moins coûteux et plus simple à programmer par des théâtres. La deuxième raison, plus artistique, est le coup de foudre que l’on a eu pour cette pièce. Cela nous a donné naturellement envie de la partager avec un plus large public. Dans cette histoire, le message véhiculé est de réaliser que ce qui arrive à ce couple peut toucher n’importe quel foyer. C’est la raison pour laquelle les comédiens n’ont pas de prénom, mais des pronoms « ELLE » et « LUI ». Dès que les personnages réalisent à quel point la vie est fragile, ils prennent conscience que rien n’est acquis et que nous pouvons tout perdre à tout moment. Ils réapprennent à vivre dans le temps présent en appréciant chaque jour et en faisant un tri entre ce qui compte réellement et ce qui ne compte pas. Je voulais aussi mettre en avant le fait qu’une fusion exemplaire est possible malgré toutes les différences qui caractérisent les acteurs d’un couple, comme en témoignent « ELLE » et « LUI », qui partagent leur vie et leurs pensées. Nous avons tendance à croire le contraire à l’ère du speed dating, nous nous acharnons à vouloir trouver notre copie identique, ce qui rend les relations dérisoires et jetables. Avoir une personne à ses côtés pour les vieux jours est aussi un paramètre important, qui est très peu représenté au théâtre.

Est-ce que le fait de pouvoir vous identifier aux personnages a été le déclencheur qui vous a poussée à choisir cette pièce ?

Eva : Oui et non. En réalité, c’est davantage pour le message que je souhaite transmettre. Quand je mets en scène, j’ai le sentiment que ce que je vais montrer doit être en accord avec mes convictions. Ce n’est pas uniquement une question d’esthétique, mais plutôt le désir que le contenu de la pièce reflète. Donner à voir ce en quoi je crois. Pour une fois, du moins dans le théâtre contemporain, il s’agit d’un couple qui ne se bat pas constamment. Ce n’est pas une histoire de disputes. J’ai l’impression qu’il y a tellement de choses qui vont mal… C’est pour cette raison que j’ai eu envie de partager une petite bulle d’espoir, et de montrer qu’il est possible d’aller mieux à la fois individuellement et collectivement.

Thomas : Ces personnages pourraient être n’importe qui dans cette salle, ce qui facilite notre appropriation des rôles. C’est comme si j’étais moi-même le personnage, et Jeanne, en tant que comédienne, joue de la même manière, en investissant ses propres émotions et enjeux. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire de chercher la psychologie ou la personnalité du personnage. Nous avons plutôt exploré les sentiments provoqués par cette pièce à travers cette urgence, cet amour, et toutes ces émotions en nous.

Chœur des amants est une pièce écrite à la façon d’un poème, pour deux interprètes. La parole des amants devient bien souvent une seule et même voix. En quoi cette écriture singulière peut être un atout ou une difficulté ?

Eva : L'écriture de Tiago RODRIGUES m’a particulièrement touchée grâce au principe de la choralité. Il y a des moments où ils partagent les mêmes pensées lorsqu’ils expriment leurs paroles ensemble De plus, la pièce est technique, il faut être très précis. Les intentions sont comme une partition en ce qui concerne la pulsation. Au début, il faut que cela soit très rythmé et calé au temps près, à la virgule près. Ensuite, il y a un peu plus de liberté, mais il est important de maintenir cette rigueur. Je guide les comédiens vers l’intention et le rythme, mais cela provient également de leur part. Un jeu artificiel enlèverait beaucoup au propos de la pièce car le sujet concerne l’intimité d’un couple.

Jeanne : Dans l'interprétation du texte, il y a cette précision dans l'intonation qui doit être constante tout au long de la pièce. Thomas et moi sommes obligés d’avoir des phrases extrêmement précises, en particulier lorsqu’on s'exprime en même temps. Cela implique un travail de précision.

À travers le spectacle, nous suivons tous les rebondissements de ce couple confronté au drame survenu au début de l'histoire. Comment la mise en scène a-t-elle contribué à traverser la temporalité de la pièce ?

Eva : C’est à travers la danse que je trouve que nous pouvons transmettre des émotions et des états que la voix ne peut exprimer. Dans cette mise en scène, il y a des moments qui sont entièrement chorégraphiés, en particulier au début, et cela revient de temps en temps tout au long de la pièce. Pour moi, c'est une manière de représenter le passage du temps, car, en réalité, la pièce est divisée en trois parties successives. Je voulais que le public ressente cette sensation, celle d’être emporté dans le toboggan de la vie et de voir les années passer. Les personnages le disent, mais je voulais aussi que cela se voie physiquement. C’est pour cette raison qu’il y a une chorégraphie au début de la pièce. C’est pour donner vie à leur lien avant les mots.

Jeanne : Eva est assez précise par rapport à la corporalité. Quand elle a l’intuition d’un mouvement que tu peux mettre en scène de manière plus précise, alors un véritable moment joué et chorégraphié se crée. Son objectif est de raconter l’énergie du moment et pas seulement par la voix. Cela m’aide à mettre le corps dans le jeu et à m’inscrire dans le moment présent de la scène.

Eva : Quand j’ai vu la pièce de Tiago RODRIGUES, j’ai adoré le texte, mais je me demandais : « pourquoi autant de simplicité dans la mise en scène ? » Donc, je voulais ajouter des images à ce texte, pour incorporer mon univers et ce que j’ai ressenti en le lisant. C’est pour cela que j’ai ajouté toutes ces touches artistiques. J’avais envie que ce soit beau visuellement, pour transmettre des images et des ambiances intenses qui me sont venues à l'esprit dès que j’ai vu la pièce.

Propos recueillis par Yara MOKHTARI et Safia OMRANI, étudiantes en Master MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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