Girls and Boys

De Léa Guimier, texte de Denis Kelly (L’ARCHE - éditeur & agence théâtrale)
par le Collectif Brûle
École Départementale de Théâtre 91 / Université d’Évry

Lauréat du Grand Prix Nanterre sur Scène 2022

Date : Lundi 20 novembre 2023
Horaires : 19h - 20h15
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h15
Discipline : Théâtre

Girls and Boys

Marie Picgirard

Texte : Denis Kelly
Avec : Nedjma Berchiche, Thelma Chollet et Manon Gerbouin
Conseils artistiques : Frédérique Aufort et Stanislas Roquette
Conseil mouvement : Mahamat Fofana
Régisseur général : Xavier Gruel

Trois comédiennes invitent le public à une réunion anonyme.
Chacun·e pourrait se lever pour raconter son histoire.
Pourtant, ce sont elles qui vont prendre la parole en premier pour partager la destinée d'une femme.
Une femme, la naissance de l’amour, l’ascension professionnelle, les enfants puis le drame.

Une femme, trois comédiennes, comme trois versants d’une même histoire.
Une femme, trois énergies, comme trois pans d’une même personnalité.
Une femme, trois corps, comme pour mieux explorer l’universalité de la violence qui entoure l’espèce humaine depuis la nuit des temps.

La pièce Girls & Boys de Dennis Kelly (traduction de Philippe le Moine) est éditée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale (www.arche-editeur.com).

Entretien

Nous avons rencontré Léa GUIMIER, membre du Collectif Brûle et metteuse en scène de Girls & Boys, pièce écrite par Dennis KELLY en 2017. C'est un mois avant la reprise du spectacle à Nanterre sur Scène que nous avons pu discuter avec elle de la genèse du projet, de ses choix de mise en scène et de la réflexion sur les rapports homme/femme, présente tout au long de la pièce.

« Cette pièce invite à une sororité puisqu’elles font face ensemble à cette violence qui devient universelle. Ce n’est pas juste l’histoire d’une femme mais de trois femmes, de beaucoup de femmes. » — Léa GUIMIER

Vous avez fait le choix de mettre en scène le texte Girls & Boys de Dennis KELLY, un texte dur et politique. Pourquoi ce choix ?

Léa : C’est un texte que j’ai découvert un peu par hasard, un cadeau qu’on m’a offert. Tout d’abord, ce qui m’a donné envie de le jouer, c’est le personnage de la femme, très irrévérencieuse, et se moquant de tout. Quand je l’ai relu plus tard, j’ai remarqué une dimension politique qui questionne la nature violente de l’être humain. Pourquoi sommes-nous la seule espèce sur Terre qui devient violente sans avoir besoin de se défendre ou pour se nourrir ? Dennis Kelly pose le postulat suivant : toute cette violence vient de la manière dont on éduque les hommes. Sa réflexion m'a donné envie de porter la pièce au plateau. Il ne présente pas seulement la violence envers les femmes dans la pièce, car cette violence a des conséquences pour tout le monde. En effet, l’homme est aussi victime de sa propre violence ici. La question est finalement plutôt : pourquoi sommes-nous ainsi si cela nous empoisonne tous et toutes ?

Cette pièce raconte l'histoire d’une femme, d’un drame intrafamilial baigné de violence. Sans nous dévoiler l'intégralité de l'intrigue, pourriez-vous nous en dire plus sur la dimension tragique de ce drame dans Girls & Boys ?

Léa : La pièce est un drame car c’est une belle histoire. Au début, tout s'apprête à se passer dans le meilleur des mondes. Le personnage raconte son ascension sociale, on voit qu’elle se débrouille pour réussir professionnellement et qu’elle finit par s’en sortir. Elle trouve aussi l’amour, qui s’avère être la plus belle histoire de sa vie. Enfin, ils ont ensemble deux beaux enfants. Le drame c’est donc le fait que cette histoire lui arrive à elle, dans ce monde magnifique. Pour nous qui habitons en France et en Europe, nous pensons que ce drame ne peut arriver qu’ailleurs. Nous nous sentons protégés et pourtant le drame lui arrive à elle, en plein visage.

Vous avez choisi de faire répartir le rôle de la femme entre trois comédiennes. On pense nécessairement à la notion de sororité en voyant ces trois femmes interpréter le texte. Elles font face ensemble à la violence et à la douleur. Est-ce que ce choix a été central dans la construction de votre mise en scène ?

Léa : Il y a eu deux temps. D’abord, j’ai eu envie de monter le texte. Puis après, j’ai eu l’idée de le séparer en trois voix pour une question d’énergie. Je trouvais que le texte répondait bien à cette répartition, alors que c’est un monologue. Ce sont trois femmes qui ont des corps différents, qui ont des manières d’être différentes, mais elles partagent le même récit. Cette histoire invite à une sororité puisqu’elles font face ensemble à cette violence qui devient universelle. Ce n’est pas juste l’histoire d’une femme mais de trois femmes, de beaucoup de femmes. Dans cette pièce, il y a plein de choses qui peuvent nous parler à nous, toutes et tous.

Vous vous inspirez des théories d’Artaud et du théâtre de la cruauté. Pour le définir simplement, c’est « un théâtre où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur », où l’acteur « brûle » sur scène pour emporter dans une transe le spectateur. Comment se traduit cette violence dans votre mise en scène ?

Léa : Quand je parle des théories d’Artaud, je fais référence à l’effet que la pièce doit produire sur le spectateur, qui doit être traversé par l’action. Pour cela, le spectateur doit être physiquement au plus proche du plateau, de sorte qu’il n’y ait plus de frontière entre le public, la scène et le comédien. C'est pour cette raison que j’ai choisi de recourir au tri-frontal dans la mise en scène. Le théâtre de la cruauté est aussi lié à la performance du comédien. Il faut qu’il soit presque en transe afin que ses émotions traversent le public. Dennis Kelly lui-même vient du in-yer-face, digne héritier du théâtre de la cruauté. L’objectif n’est pas pour autant de heurter le public mais plutôt qu’il se sente concerné par l’action.

Le texte que vous mettez en scène est cru et violent mais aussi parfois humoristique, par exemple lorsque la femme raconte son histoire d’amour parfaite. Comment avez-vous retranscrit cette dualité au plateau ?

Léa : D’une part, le texte est drôle parce que le personnage est irrévérencieux, et haut en couleur. Pour traduire cet humour, j’ai demandé aux comédiennes d’être au plus proche d’elles-mêmes, au plus naturel. D’autre part, quand j’ai lu le texte, la violence m’a marquée et je me suis dit qu’il ne fallait rien ajouter, et être le plus simple possible. Je voulais que le plateau soit nu avec seulement les comédiennes qui racontent. Pour faire entendre ces deux dimensions qui sont naturellement présentes dans le texte, il ne faut utiliser que les mots de Kelly. Ils sont déjà tellement violents que cela ne sert à rien de rajouter du drame dans le drame.

Vous soulignez souvent la dimension politique de votre pièce. Pensez-vous que le théâtre est un moyen concret d'œuvrer pour des changements dans notre société ?

Léa : Je ne sais pas si le théâtre changera le monde, ni si je vais toucher des personnes qui ne sont pas déjà au courant de ces sujets. Finalement, qui va au théâtre ? La meilleure réaction à ce spectacle pour moi, ce sont les hommes qui refusent l’image de l’homme, présentée dans la pièce. Plus que changer le monde, le théâtre, c’est au moins poser des graines et dire ce qui me pose questions. C’est avoir un moment de partage, un moment pour toucher les gens. En ce moment, à travers les informations, la violence est plus que jamais présente. Jouer cette pièce prend totalement son sens. J’en ai le sentiment parce que la violence dans laquelle nous vivons est totalement absurde. Cette pièce partage ce moment de questionnement. L’art fait réfléchir. Enfin j'espère...

Comment liez-vous le texte de Dennis Kelly à notre société contemporaine ?

Léa : Au début de la pièce, il y a quelque chose d’assez frappant quand la femme parle de sa réussite professionnelle, notamment avec la phrase : « la confiance vous voyez, ça avant de le rencontrer j’avais jamais vraiment connu ». Elle présente son mari comme quelqu’un ayant une sorte de confiance naturelle, sur qui elle s’appuie pour prendre son envol. Il y a donc une scission entre elle et lui. Il a cette assurance qui n’est pas questionnée tandis qu’elle a besoin d’être soutenue. Pour moi, c’est un aspect important de notre société contemporaine. Quelque chose diffère dans l’éducation des hommes et des femmes. La masculinité toxique est aussi soulignée ici avec le sentiment de jalousie qui naît chez l’homme. Il voit que sa femme réussit, tandis que son business à lui fait faillite. Il est incapable de supporter ce déséquilibre.

Justement, en quoi la pièce éclaire-t-elle ce déséquilibre entre les hommes et les femmes ?

Léa : Dennis Kelly souligne dans sa pièce qu’on apprend aux hommes à contrôler et à diriger. Quand tout à coup ils perdent le contrôle, certains ne le supportent pas. La femme énumère à la fin les raisons de ce type de drame. Il y a ceux qui se vengent de leur femme, ou ceux qui se rendent compte qu’ils vont tout perdre et qui font en sorte de tout garder par ce geste-là. On apprend aux hommes que c’est eux qui ont le pouvoir et qu’ils ne doivent pas douter. J’avais ce débat récemment avec un ami : si un homme voit un beau fauteuil vide, il ira s'asseoir sans se poser de question, alors que les femmes autour se demanderont si elles doivent le laisser à quelqu’un d’autre. J’ai le sentiment que l’on apprend donc au contraire aux femmes à douter, et à se questionner.

Propos recueillis par Eva GUILLON et Emma RENAUDIE, étudiantes en Master MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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