Le Bizarre

De Fabrice Melquiot
par le Collectif Lakhésis
Arts en Scène, Lyon

Date : Vendredi 24 novembre 2023
Horaires : 18h - 19h
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre

Le Bizarre

Yohan Fayard

Mise en scène : Lola Romand
Texte : Fabrice Melquiot
Avec : Bénédicte Levin

Michel est un personnage seul qui teste la mort, de temps en temps, entre deux rayons de supermarché. Michel essaie de faire normal. Mais plus il essaie de faire normal, plus il fait bizarre.

Michel habite dans un appartement d’encre noire et bleue qui n’existe probablement que dans sa tête. Toutefois, il y invite une femme à manger un poulet et des flageolets. Existe-t-elle vraiment ? Et que sait-on de ce Michel, à part le fait qu’il ne s’appelle même pas Michel ?

Ce récit évoque la mort avec humour, et parle de l’amour et de la solitude avec un doux désespoir. De premier abord absurde, mélangeant des éléments concrets à des images beaucoup plus abstraites, il aborde la question de l’exclusion d’une manière très intime.

Fabrice Melquiot est représenté par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale (www.arche-editeur.com).

Entretien

Voici l’histoire de Michel, un personnage qui vit seul dans son appartement qui n’existe probablement que dans sa tête. À travers les rêveries de cet être décalé, Lola ROMAND nous confronte au sentiment pleinement humain de ne pas se sentir à sa place. Au plateau, la comédienne Bénédicte LEVIN incarne les fragilités d’un personnage qui échappe aux normes de genre et de virilité. Nous les avons interrogées sur la création de leur spectacle qui sera joué le vendredi 24 novembre à l’espace Reverdy et sur leur interprétation du Bizarre de Fabrice MELQUIOT.

« Le Bizarre peut être n’importe qui. Il est à la fois « monsieur tout le monde » et à la fois un être unique. » — Bénédicte Levin

L’histoire de Le Bizarre, Michel, est aussi émouvante qu'intrigante. C’est un personnage qui vit seul au milieu de ses rêveries. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène cette œuvre de Fabrice MELQUIOT ? Comment avez-vous découvert l’auteur et son œuvre ?

Lola : C’est un projet que nous avons entamé parce que nous voulions travailler ensemble, Bénédicte et moi. J’ai connu l'œuvre de Melquiot par le biais des Scènes du Jura quand j’étais au lycée, mais Le Bizarre est une œuvre récente. Nous sommes tombées sur cette pièce par hasard à la bibliothèque. Nous cherchions quelque chose qui nous correspondait à toutes les deux et, en lisant Le Bizarre, j’ai tout de suite pensé que ce rôle irait bien à Bénédicte pour le jeu d’acteur. Le texte traitait de beaucoup de sujets que nous avions en commun et pour un premier projet toutes les deux nous trouvions qu’il était assez pertinent.

On voit que l’écriture de Le Bizarre se distingue des autres écrits de Fabrice MELQUIOT, par la façon de parler du personnage notamment. Comment rendre son langage accessible ?

Lola : La pièce Le Bizarre de Fabrice MELQUIOT comporte un vocabulaire assez spécifique. Il y a des mots qui sont inventés parfois, ou bien des mots que nous n’avons pas l’habitude d’entendre dans un contexte particulier. Il y avait une langue « bizarre » que nous n'arrivions pas à saisir au début car nous travaillions avec la voix de Bénédicte. Peu à peu, nous nous sommes rendu compte que, pour faire entendre ces mots particuliers, il fallait une articulation particulière, alors nous avons créé un langage propre.

Bénédicte : La langue particulière de cette pièce devient accessible à travers la façon dont le personnage principal vit les choses. Il a un mouvement de pensée spontané. Il voit les choses d’une certaine façon et il le dit sans filtre. Le langage devient alors compréhensible après avoir saisi cette manière de penser.

Comment décririez-vous ce personnage atypique ? Comment justement le monologue de Michel devient-il vivant pour le public ?

Bénédicte : Le Bizarre peut être n’importe qui. Il est à la fois « monsieur tout le monde » et à la fois un être unique. Il est très sensible, très spontané et sans filtre. C'est un romantique, un amoureux. Il vit les choses avec passion. Il est traversé par ce qu’il voit, ce qu’il a en tête et qu’il partage avec le public. Même s’il a parfois des excès de TOC ou de colère qui nous font sursauter, il est profondément gentil. Il se pose beaucoup de questions parce qu’il veut bien faire, pour être un bon amant par exemple... Vu que tout ce qu’il dit est sincère et vrai, c’est en ce sens que le public s’investit dans l’histoire émotionnellement parlant et avec le personnage.

Quand on assiste à votre mise en scène, on ne sait pas finalement si Michel est un homme ou une femme. Pourquoi avoir fait le choix de représenter ce personnage à travers une comédienne ?

Lola : Nous ne savons pas si Michel est un homme ou une femme parce qu’a priori c’est un personnage masculin qui est joué par une comédienne. Ce choix a d’abord été fait parce que dans le spectacle il y a une différence entre ce que Michel fait pour paraître, pour essayer d’être normal et ce qu’il est vraiment, ce qu’il nous donne sous forme d’aveux. Les moments où il agit, il y a la question de la virilité qui entre en jeu. Il essaie de « faire un homme qui invite chez lui une femme » et il se demande comment est-ce que l’on fait pour le faire. Cette question de la virilité, nous avons trouvé intéressant de la traiter par le biais d’une comédienne justement. Qu’est-ce qu’être un homme finalement ? Il y a aussi une forme d’identification au personnage qui est plus large parce que le sujet peut toucher tout le monde.

Bénédicte : À titre personnel, dans le jeu, je n’ai pas tant cherché à savoir si Michel était un homme ou une femme. Nous avons cherché au niveau du costume ce qui pouvait être pertinent ou non et puis la voix a apporté une nouvelle dimension. Il y a des choses qui se sont faites naturellement dans notre travail. Dans le spectacle, avant d’être une femme qui représente un homme, Michel est une entité qui est là et qui traverse des événements qui ne sont pas toujours faciles.

Le décor est assez minimaliste : des draps blancs sur lesquels sont dessinés l’intérieur d’un appartement, une chaise, un chariot, un poulet et une boîte de flageolets. Ce décor pourrait-il venir de l’imagination de Michel ?

Lola : Oui, en effet. Dans le texte il y a les didascalies qui mentionnent le fait que « Michel erre dans son appartement qui n’existe que dans sa tête ». Il est clair qu’il y a beaucoup de choses qui viennent de son imagination, cependant nous nous sommes dit que ces draps blancs existaient. Nous avons fait le choix de mettre en scène ces draps avec des dessins dessus pour donner l'impression que Michel avait créé sa maison. C’est à moitié dans sa tête et à moitié réel. En ce qui concerne l’espace, nous ne savons pas vraiment où il habite et où il se trouve, ce qui permet au public de s'imaginer son univers.

Comment vous est venue l’idée du chariot de supermarché, un accessoire central du personnage ? Que représente-t -il pour Michel ?

Lola : Au début du texte, Michel mentionne plusieurs fois le supermarché. Nous avons l'impression que sa seule sortie finalement c’est le supermarché. C'est pourquoi il a ce chariot. Il représente également sa maison en quelque sorte. C'est de là qu’il sort tous ces éléments et avec ce chariot il peut transporter sa maison où bon lui semble.

Le personnage de Michel, seul sur scène, se livre à cœur ouvert au public. Qu’en est-il de l’implication du public dans ce spectacle ?

Bénédicte : En tant que comédienne, je trouve agréable le fait de pouvoir interagir avec le public et puis pour Michel, c’est une évidence. Il voit des gens donc il leur parle, il ne va pas faire comme s’ils n'étaient pas là. Peut-être que ces gens sont dans sa tête finalement. Parfois il y a des regards de la part du public qui soutiennent et accompagnent Michel dans ce qu’il traverse. Parfois je pense que voir autant de « paires d'yeux » qui le regardent, alors qu’il vit des choses qui ne sont pas faciles, lui fait peur. Il peut se sentir honteux, ou en décalage, cependant il y a un échange. Le lien avec le public se tisse tout au long de la pièce pour finir par faire corps ensemble.

Michel vit seul au milieu des personnages qu’il mentionne mais dont la véritable existence est incertaine. On pourrait croire que c’est un personnage habité par une certaine folie ?

Lola : Il est vrai que nous avons un décor tout blanc avec un néon, ce qui peut faire penser à un hôpital psychiatrique. L’idée était que l’on puisse s’imaginer ce que l’on veut. La question étant : où est Michel ? Nous ne savons pas. Nous ne sommes pas parties de l’idée que Michel avait un problème mental, mais plutôt un problème personnel lié au fait de ne pas se sentir accepté. Nous nous sommes beaucoup identifiées à lui, et c’est pour cette raison notamment que nous n’avons pas traité ce sujet. Michel est simplement lui-même. Il se crée des scénarios dans sa tête avec des personnes qui n’existent pas, mais nous aussi nous le faisons. Lui a l'honnêteté de les partager avec tout le monde et c’est ce qui fait la différence avec nous. Nous pouvons nous identifier à Michel assez rapidement. Soit nous sommes tous fous, soit nous sommes tous normaux.

Bénédicte : Nous avons tous notre part de Michel finalement.

Est-ce que c'est un message de tolérance face à la différence que vous souhaitez faire passer à travers votre spectacle ?

Bénédicte : Ce travail de recherche du personnage de Michel m’a beaucoup marqué. C’était une belle découverte. J’ai pu essayer de nouvelles choses sur scène avec un personnage qui s'assume et qui en même temps se questionne beaucoup.

Lola : C’est assez vaste comme question, mais oui. Ce texte initialement était quelque chose de très personnel et en le partageant il y a cet effet-là. Nous avons eu envie de monter cette pièce pour appeler à la tolérance mais surtout pour montrer que ce texte nous avait touchées car nous nous sommes senties quelque peu concernées. C'est une façon de dire « regardez-vous aussi, vous allez peut-être vous sentir concernés ».

Propos recueillis par Amalia HIERREZUELO, étudiante en Master MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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