Perplexe

De Marius von Mayenburg
par le Conservatoire Royal de Bruxelles
Conservatoire Royal de Bruxelles, Belgique

Date : Jeudi 23 novembre 2023
Horaires : 18h - 19h05
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h05
Discipline : Théâtre

Perplexe

Conservatoire Royal de Bruxelles

Texte : Marius von Mayenburg
Avec : Sébastien Baratto, Romane Gaudriaux, Mégane Ross et Linus Planchet

Robert, Eva, Judith et Sebastian, un huis clos à quatre personnages. Robert et Eva reviennent de vacances mais rien ne se passe comme prévu. Robert n’a pas payé la facture d’électricité, leur plante n’est plus ce qu’elle semblait être, une drôle d’odeur règne, un étrange paquet les attend, tout ça sous le regard presque inquiétant de leurs voisins. Les scènes de la vie bourgeoise se succèdent alors, nous plongeant peu à peu dans un univers saugrenu détenant ses propres codes. Livrés à eux-mêmes dans un monde qui se désagrège, les personnages n’ont plus qu’une solution pour exister : aller au bout de la pièce.

La pièce Perplexe de Marius von Mayenburg (traduction d’Hélène Mauler et René Zahnd) est éditée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale (www.arche-editeur.com).

Entretien

Dans le cadre de la sélection de Perplexe au Festival Nanterre sur Scène, je me suis entretenue avec Sébastien BARATTO, Romane GAUDRIAUX, Linus PLANCHET et Mégane ROSS, les quatre comédiens ayant interprété la pièce de Marius VON MAYENBURG. Cet échange a été l’occasion d’aborder les thèmes de ce huis clos absurde, qui déroule avec humour et profondeur une quête d’identités. Plus précisément, nous nous sommes penchés sur la genèse de cette création collective, l’absence de metteur en scène, et l’influence belge dans l’esprit collectif.

« Il n’y a pas de metteur en scène et pas de spectacle, mais tout va bien. » — Linus Planchet

Perplexe est la première pièce que vous allez interpréter en tant que compagnie. Comment s’est constituée votre troupe, et qu’est-ce qui vous a poussé à interpréter ce texte de Marius VON MAYENBURG ?

​​Linus : L’idée est partie de Romane et moi. Dans le cadre de notre dernière année au Conservatoire Royal d’Art Dramatique de Bruxelles, nous avons décidé de monter un projet pour nous amuser. Perplexe de Marius VON MAYENBURG était la pièce parfaite pour cela, et aussi pour raconter une partie de notre quotidien. Dans cette pièce, les personnages sont abandonnés par leur metteur en scène, et cela fait écho à ce que nous vivions au conservatoire. Le mot d’ordre de cette école, c’est l’autonomie, mais nous nous sentions parfois trop livrés à nous-mêmes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous l’avons montée sans regard extérieur.

Eva, Robert, Judith et Sébastien sont quatre personnages des plus complexes. En effet, à force de vouloir garder le contrôle de leur identité, ils finissent par s’en créer de nouvelles. Vous enchaînez donc les rôles, tous uniques dans leur genre. Lors des répétitions, comment avez-vous réussi à accorder vos efforts et vos rythmes d’apprentissage, sans être en décalage entre vous quatre ?

Sébastien : Cela s’est fait très naturellement. Marius VON MAYENBURG a écrit cette pièce pour ses acteurs, et elle a pour but le jeu. Nous passons donc plus facilement au travers des personnages. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu de décalage. Le jeu est si exacerbé qu’il laisse une grande liberté au plateau.

Linus : Lors de nos lectures, nous avons fait tourner les rôles entre nous. Des évidences sont alors apparues : des duos qu’on aime bien ou des rôles qui se dégagent mieux pour un comédien. Une fois sur le plateau, il y a eu très peu de travail individuel, et donc moins de décalages se sont créés.

Romane : Il y a beaucoup d’entrées et beaucoup de changements de costumes. C’est très physique. Nous avons fait des coupes, donc, si originellement le comédien avait dix pages pour se changer, nous n’avons plus que quatre phrases.

Sébastien : Cette contrainte des changements de costumes nous impose de ne pas perdre le rythme. Il n’y a jamais un moment où nous pouvons réfléchir et sortir de la pièce.

Perplexe est une satire des relations sociales et du couple. D’une manière comique et absurde, la pièce va mettre en scène des moments de vie commune, tournant parfois au ridicule ses personnages. Dans quelles mesures cet aspect comique permet-il d’aborder le thème des dominations sociales ?

Romane : Quand des pièces nous exposent frontalement à ce qui ne va pas, le spectateur se protège, se met à distance, comme pour rejeter l’information. Le comique permet d’accepter plus facilement les propos, et de s’amuser de cela. Quand Molière écrit ses satires, il le fait d’une manière drôle. Les spectateurs en rient d’abord, puis avec du recul finissent par y réfléchir.

Cette pièce a aussi une dimension dramatique. En effet, elle dépeint le quotidien de quatre personnages cherchant à reprendre désespérément le contrôle de leur identité. Pourtant, vous avez réussi à intégrer une note d’espoir dans cette pièce pleine de rebondissements. Comment y êtes-vous parvenus ?

Linus : À la fin de la pièce, il y a ce questionnement de la déconstruction. L’introduire par le rire permet justement de ne pas rendre la pièce dramatique. C’est ce que nous voulions faire, et ne pas alourdir la pièce.

Sébastien : L’espoir vient du fait de ce que disent les acteurs à la fin : même sans metteur en scène, ils ont réussi à faire quelque chose de la pièce qu’ils ont construite. Il y a toujours une possibilité de produire quelque chose. Tout va toujours bien et nous continuons à avancer.

Romane : « Tout continue toujours. La musique joue, les projecteurs éclairent, quelque part quelqu’un parle, ça ne s’arrête jamais. » (ndlr : phrase tirée du texte).

Par ailleurs, il y a une mise en abyme dans Perplexe : dans la dernière partie de la pièce, le « quatrième mur » tombe, et les quatre personnages se rendent compte qu’ils ne sont que des acteurs, qui plus est abandonnés par leur metteur en scène. Cette absence de metteur en scène a-t-elle joué un rôle dans votre propre mise en scène ?

​​Sébastien : Dès le début il y avait une volonté de création collective, pour construire quelque chose à quatre sans hiérarchie. Cette volonté nous a permis d’explorer et de réfléchir ensemble. Il y a très peu de frustration vis-à-vis de ce que nous avons créé.

Romane : Nous savions qu’en ne prenant pas de metteur en scène, nos quatre univers allaient se rencontrer. Cette démarche nous plaisait, mais pouvait être à double tranchant. Des artistes peuvent se planter parce qu’ils sont dans leur vision, parfois inaccessibles aux autres. Nous sommes dans notre monde et la pièce est déjà complètement timbrée. C’est pour cette raison que nous avons fait appel à des regards extérieurs, dont Mégane, qui fait d’ailleurs aujourd’hui partie de notre troupe.

Mégane : Le travail du metteur en scène n’englobe pas uniquement la mise en scène, c’est aussi la direction d’acteurs. Monter cette pièce absurde sans avoir à chaque fois un regard extérieur demande beaucoup de discipline. C'est un travail intéressant, mais qui n’est pas évident.

Linus : Reste à voir ce qui se dégage pour le futur. Est-ce que travailler sans metteur en scène représente notre manière de fonctionner ensemble, ou est-ce notre manière de monter cette pièce ?

Actuellement, au Conservatoire Royal d’Art Dramatique de Bruxelles, vous êtes la seule troupe étrangère participant au Festival Nanterre sur Scène. De plus, la pièce que vous interprétez est allemande, c'est donc une double culture que vous apportez en France. Votre formation en Belgique vous apporte-t-elle des clés que vous aimeriez présenter au théâtre français ?

Sébastien : En Belgique il y a un côté moins « prise de tête », avec moins de réflexions sur la psychologie du personnage. C’est un côté presque instinctif. Avant d’entrer au Conservatoire de Bruxelles, Linus et moi avons suivi une formation en France, nous avons donc pu apporter les qualités de chaque enseignement sur le plateau.

Linus : Nous nous demandons s'il n’y a pas une portée belge dans la pièce. La Belgique est restée longtemps sans gouvernement, et il y a dans cette culture une idée de se laisser porter. On le retrouve à la fin de la pièce : il n’y a pas de metteur en scène et pas de spectacle, mais tout va bien.

Mégane : Qu’est-ce qui fait que les Français nous adorent tant et nous trouvent si drôles ? Peut-être parce qu’on s’en fout ! Je n’avais pas conscience d’une telle différence entre la Belgique et la France. Ce regard des Français, c’est notre atout quand on fait du comique.

Vous abordez le désir d’interpréter une pièce porteuse d’espoir et d’un monde meilleur. Ce désir s'applique-t-il au futur de votre compagnie ? Avez-vous des types de pièce vers lesquels vous aimeriez vous tourner, porteurs de cet espoir ?

Linus : Nous allons marcher ensemble, chercher ce que nous pouvons faire avec Perplexe et commencer à nous plonger dans de nouvelles lectures.

Sébastien : Au-delà de l’espoir de cette pièce, c’est l’espoir de continuer à travailler ensemble et de monter au plateau. Nous voulons nous amuser et proposer notre travail aux spectateurs.

Propos recueillis par Inès DHEUR, étudiante en Master MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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