Le Dépôt amoureux
par la Compagnie Tout le monde n’est pas normal
Studio de Formation Théâtrale — dirigé par Florian Sitbon
Lauréat du Grand Prix et du Prix Étudiant Nanterre sur Scène 2020
Date : Lundi 22 novembre 2021
Horaires : 19h - 20h30
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h30
Discipline : Comédie
Compagnie Tout le monde n’est pas normal
Avec : Thomas Ailhaud, Gabriel Arbessier, Lorette Ducornoy, Anaïs Robbe, et Léa Schwartz
Son et musique : Thomas Ailhaud
Création lumière : Remi Prin
À la suite d'un choc galant, Noé est transporté d'urgence à l'hôpital et subit une opération du cœur. à son réveil, le diagnostic tombe : il est atteint de la maladie "Separatus Brutus" et doit être transféré dans un centre de rééducation du cœur. Il y rencontre Simone qui cherche une réponse à une question dont elle ne connaît pas l'énoncé, Lise qui ne peut plus quitter sa bouée de sauvetage, Victor passionné de chasse mais qui ne sait pas utiliser son épée et Solomon Itegrand Camarude qui lui ressert toujours à boire. Commence pour lui un voyage dans les méandres de son subconscient pour tenter de répondre à la question : lorsqu'on passe de 2 à 1, que reste-t-il de Nous ?
Dans notre quête du progrès technique, tout se rationalise, même l'amour. Des algorithmes augmentent nos chances de rencontrer l'âme sœur. Des études scientifiques montrent que nous choisissons nos partenaires grâce à leur odeur pour former la meilleure compatibilité immunitaire. à l'issue de ces études, des remèdes s'inventent. Et si un spray nasal à l'ocytocine pouvait relancer la libido ? Le filtre d'amour est à portée de main. Pourtant un mariage sur deux finit en divorce. Nombre d'entre nous ont vécu une rupture amoureuse qui a balayé nos idéaux, nous laissant seul.e avec cette question douloureuse : amputé.e d'une partie de soi, comment se reconstruire ? Redevenons-nous entier ou sommes-nous condamnés à vivre en étant la moitié de nous-même ?
Fiche de salle
La pièce
Comment se remettre d’une rupture amoureuse lorsque notre cœur se fracture réellement en mille morceaux ? « Ça va aller, ça va aller, ça va aller », voilà les mots des médecins lorsqu’ils annoncent à Noé qu’il est victime d’un Separatus brutus, l’extraordinaire choc émotionnel qui suit les ruptures. Désormais naufragé du cœur, Noé se retrouve au dépôt amoureux, là où les cœurs brisés attendent de se reconstruire.
Dans cette épreuve, Noé est accompagné par deux originales. Il y a Lise, une habituée du service qui ne quitte plus sa bouée de sauvetage, et Simone, une rancunière qui se réfugie dans les livres. Noé, quant à lui, a un parachute en cas de rechute. Il reçoit également régulièrement la visite d’un prince charmant et de l’étrange Solomon Itegrand Camarude. L’un est un grand passionné de chasse qui ne quitte jamais son épée-tournevis, et l’autre, une conseillère à l’identité obscure.
Cette pièce comique nous fait réfléchir au moment qui suit les ruptures, en empruntant un point de vue masculin, peu exploité sur cette thématique. Lorsque brusquement la vie à deux disparaît, comment accepter de se retrouver face à soi-même ? Sur scène, avec son sac à dos et sa valise de souvenirs, c’est à travers la danse, le théâtre et les arts numériques que Noé nous emmène dans son périple vers la guérison. Entre exercice de gymnastique et régime drastique, Noé retrouvera-t-il goût à la vie ?
La compagnie
La compagnie Tout le monde n’est pas normal créée en 2020 est une jeune compagnie qui a déjà fait ses preuves auprès du public. Lauréate de trois festivals et gagnante du Festival Nanterre sur Scène en 2020, la compagnie joue pour la première fois en public à Nanterre sa première création.
Fiche réalisée par Thomas Le Cor et Marion Féger, étudiant·e·s en Master 1 MCEI.
Entretien
Nous avons retrouvé dans un café Camille Plazar, autrice et metteuse en scène de la pièce, Le Dépôt amoureux. Nous avons échangé sur nos réflexions et interrogations autour de l’histoire de Noé, jeune adulte au cœur brisé.
Comment vous est venue l’idée de raconter la rupture comme une maladie à soigner à l’hôpital ?
Camille Plazar : Cela vient d’une histoire personnelle. Suite à une rupture, j’ai commencé à écrire des petites bribes de poèmes. Quand j’ai intégré le Studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine, je me suis alors demandé, pourquoi ne pas en faire une histoire ? Quand j’ai vécu cette rupture, j’ai cherché des réponses à mes questions dans les livres parlant de l’amour et des relations couples. Mais systématiquement, il y avait de gros pavés sur l'amour et seulement quelques pages sur la rupture. C’est étonnant, car cela nous arrive à tous ! Même chose au cinéma. J’ai alors eu envie de raconter ce que c’était la rupture. J’ai choisi d’inscrire l’histoire dans un hôpital, car j’ai l’impression que l’on rationalise de plus en plus l’amour. En réduisant nos sentiments à une histoire d’hormones, l’amour perd de sa magie. Mais, poussé à l’extrême, cela m’a permis d’ajouter un côté comique à la pièce. Je voulais parler de la rupture de manière légère et drôle, mais sans perdre de vue qu’une rupture mal gérée peut nous causer beaucoup de souffrance.
Le titre de la pièce n’est pas sans rappeler « Le Dépit amoureux » de Molière. Quelle influence revêt-il sur votre production ?
C. P. : J’ai voulu faire un petit clin d’œil anecdotique car c’est vraiment un auteur incroyable, mais aussi parce que j’aime bien le « dépôt » amoureux. C’est amusant, comment en changeant une seule lettre, nous changeons tout un univers. Le dépôt, c’est l’endroit où on dépose, ou bien on abandonne des choses. Dans la pièce, les personnages sont déposés, et un peu oubliés dans ce lieu. Aussi, le mot « dépôt » me fait penser à la couche qui peut rester au fond du verre et je me demandais, lorsque nous avons une rupture amoureuse : qu’est-ce qui forme ce dépôt ? Qu’est-ce que nous choisissons de garder d’une relation amoureuse et qu’est-ce que choisissons de laisser derrière nous ?
Tout au long de la pièce, nous suivons l’aventure de Noé, nouveau patient au cœur brisé au dépôt amoureux. Pouvez- vous nous dire quelques mots sur sa genèse et la mythologie qui l’entoure ?
C. P. : Je l’ai appelé Noé car je trouvais amusant l’idée d’un être perdu, comme un peu naufragé. Au début de l’écriture, le personnage de Noé était une fille. Mais durant les premières répétitions avec les comédiens, chacun échangeait les rôles : les hommes prenaient les rôles de femmes et vice-versa, et cela résonnait complètement différemment quand c’était un homme. C’est ainsi que le personnage principal est devenu masculin. Lorsqu’on écrit des histoires d’amour, c’est souvent autour des filles. J’ai pensé qu’avec un personnage masculin, plus d’hommes pourraient s’identifier, ce qui donne du relief à la fois au texte et au personnage.
Sur scène, au côté de Noé, les personnages semblent être issus des contes de fées, notamment avec le personnage du Prince Charmant. Pourquoi avoir repris ces codes ?
C. P. : Quand nous questionnons les codes du conte de fée, nous réalisons que les personnages sont un peu creux et coincés dans leur routine. De ces réflexions sont nés les personnages du Prince charmant et de Lise par exemple. On se retrouve avec un Prince Charmant un peu bêta qui ne sait plus quoi faire et Lise, une princesse un peu fleur bleue.
C’est pour mettre le personnage du Prince charmant face à ses lacunes et à ses principes arriérés qu’au début, j’avais écrit la pièce avec Noé en personnage féminin. Je trouvais cela intéressant, car on met souvent les filles dans cette position d’attente, à compter sur l'apparition de leur prince charmant pour que la vie soit belle. Quand Noé est devenu un homme, je n’avais pas envie de changer le personnage du Prince Charmant pour autant. Je voulais justement que Noé, en tant qu’homme, le confronte à ses principes dépassés et lui demande de parler de la rupture. Être entre hommes n’empêche pas de parler de sentiments.
C’était important pour vous de ramener sur scène ce qui a pu forger votre perception de l’amour pour parler de la rupture ?
C. P. : Oui, car la plupart d’entre nous avons appris les codes de l’amour dans les contes de fées. Alors quand l’amour s’arrête, nous remettons en cause beaucoup de choses et le plus dur c’est de faire face à ces attentes irréalisables et très limitantes que nous ont fixées ces contes. À savoir, « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Le personnage de Noé vit une rupture et, par conséquent, tout s’écroule et laisse place à une remise en question de tous ces codes et stéréotypes. C’est douloureux, mais nécessaire pour pouvoir reconstruire différemment.
Votre écriture est très imagée et métaphorique, pouvez-vous nous en dire plus sur ce style poétique ?
C. P. : J’aime beaucoup la poésie, j’aime le pouvoir des images et des métaphores qui nous font tout de suite entrer dans un imaginaire. J’ai commencé le travail en me disant : « Tiens, qu’est-ce qui se passerait si nous avions le cœur vraiment brisé en mille morceaux ? » C’est tout naturellement que j’ai choisi que les personnages se répondent métaphoriquement, car c’est leur langage.
Sac à parachute, grimoire, tournevis, bouée. Chaque personnage se voit attribuer un objet fétiche atypique. Quel sens avez-vous souhaité donner à cela ?
C. P. : Tout a commencé avec Noé et son parachute. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de l’ordre de l’enfance dans cet objet, tel un doudou qui nous accompagne les premiers jours d’école. Chaque personnage a eu droit à un objet, un petit doudou pour supporter le séjour au dépôt amoureux. C’est amusant ces objets, tantôt réconfortants, tantôt encombrants.
Si le syndrome du « separatus brutus » est une invention, il rappelle celui du « tako tsubo », bien réel et qui se manifeste sous la forme d’une détresse cardiaque, suite à un choc émotionnel. Est-ce une inspiration pour le thème de la pièce ?
C. P. : J’ignorais l’existence de ce syndrome à l’époque ! C’est après, quand j’ai commencé à parler de ma pièce, que j’en ai eu connaissance. En fait, ce qui est génial quand on n’écrit pas dans le réel, c’est que l’on peut inventer tout un univers, tout un vocabulaire, des trucs complètement loufoques. C’est pour cela que j’ai commencé à inventer ces termes comme le choc galant, le separatus brutus. En écrivant l’histoire, j’ai voulu créer un nom à cette maladie, mais je ne voulais pas que ce soit quelque chose qui s’inscrive complètement dans la réalité.
Plusieurs fois dans la pièce il y a des interludes de danse. Comme celui sur « Ne me quitte pas ». Quelles sont vos influences derrière ces moments chorégraphiés ?
C. P. : À l’école de théâtre, j’ai suivi des cours avec une professeur qui s’appelait Diana Ringel qui est une très bonne enseignante du corps. Elle trouve son inspiration chez Pina Bausch et dans l'expressionnisme allemand. La création des chorégraphies s'est faite avec les comédiens. Ils m’ont d’abord donné des musiques qui avaient marqué leurs ruptures puis ils ont beaucoup dansé la rupture. La chanson de Jacques Brel « Ne me quitte pas », je l’ai moi-même écoutée en boucle et j’avais très envie de la mettre dans le spectacle. Avec les chansons, il y a quelque chose qui se passe, cela nous rappelle des souvenirs et, d’un coup, nous nous projetons un peu plus. Surtout, il y avait des choses que je n’arrivais pas à écrire et je me suis dit, pour les exprimer, il faut les danser.
Les éléments du décor sont minimalistes. Comment avez-vous travaillé pour réussir à créer quand même une atmosphère singulière, rappelant le monde hospitalier ?
C. P. : Dans la dramaturgie, il nous a semblé intéressant qu'il n’y ait presque pas de décor. Le spectateur peut s'imaginer ce qu’il veut et non pas calquer mon imaginaire sur scène. De plus, avec peu de décor, le peu d’objets sur scène prend plus d’importance. Notamment les objets réconfortants de chaque personnage. Avec peu de décors, le public remarque très bien quand les personnages arrivent à s’en détacher pour la première fois. Avoir peu de décor marche très bien avec l’idée du dépôt. Après l’avoir joué dans différents endroits — en extérieur, dans une cave, en salle... — je vois que la pièce s’adapte très bien et que l’univers du dépôt amoureux change à chaque fois. Ce qui est super, c’est que cela nous permet de nous adapter beaucoup plus.
Au début de la pièce, Noé subit une intervention chirurgicale au cœur. Nous pouvons voir en arrière-plan la projection de formes abstraites, quelle a été votre intention avec ce média ?
C. P. : C’est un liquide ferromagnétique qui bouge à l’aide d’un aimant. Dans cette démarche de rationaliser les sentiments amoureux, j’avais envie d’une imagerie médicale mais pas forcément réelle, parce que cela reste un monde fantasque. Avec ce liquide, il y a l’idée qu’on se révulse, qu’on s’aimante. Mais qu’est-ce qui se passe lorsque l’aimant s’en va ?
À la fois au plateau et à la mise en scène, en tant qu’autrice et metteuse en scène, comment un poste a-t-il pu influer sur l’autre dans la création du spectacle ?
C. P. : J’ai d’abord écrit la pièce, puis durant les répétitions, je n'arrêtais pas les aller-retours entre le texte et la réécriture. Lorsqu’on écrit et met en scène, on a vite fait de se remettre beaucoup en question. J’ai donc décidé d’arrêter de douter de mon texte, en le prenant tel quel, comme si je l’avais trouvé dans une bibliothèque. Une fois qu’on a participé à plusieurs festivals, je me suis permise à nouveau, de faire des retouches.
Quels autres sujets avez-vous voulu aborder en parlant de la rupture ?
C. P. : Beaucoup ! La rupture, le couple, l’hôpital, le genre... J’ai voulu traiter les questions du genre, et les clichés qui en découlent notamment avec le Prince charmant. J’ai voulu parler du couple et des relations amoureuses, pour remettre en question le romantisme et les contes de fées qui nous mettent des mythes en tête. Dans cette pièce, j’ai voulu aborder la pression de la société qui nous insinue que l’épanouissement personnel passe forcément par le couple. J’invite ainsi les spectateurs à lâcher prise sur la question du célibat. Enfin, avec l’idée de tout rationaliser sur les sentiments amoureux, j’en suis venue à parler de l'hôpital. L’hôpital comme un lieu froid où les médecins peuvent avoir réponse à tout, mais ne sont pas forcément à même de transmettre leurs savoirs. Ce qui rend les échanges parfois difficiles entre les patients et le personnel médical débordé. C’est d'ailleurs pour cette raison que, dans Le Dépôt amoureux, il n’y a quasiment pas de personnel médical qui intervient. Les patients sont tous un peu laissés à l'abandon avec leur maladie. Ce qui nous amène à la question de la santé mentale. Je l’ai écrite avant la COVID, mais la pièce a pris plus de poids après la pandémie et ses confinements. Périodes durant lesquelles certains d’entre nous ont vu leur santé mentale se dégrader suite aux sentiments de solitude et d’abandon que pouvaient provoquer l'isolement.
Des projets à venir avec la compagnie Tout le monde n’est pas normal ?
C. P. : Oui ! Je travaille actuellement avec la compagnie sur un nouveau projet qui s’appellera Baiser(s).
Propos recueillis par Thomas Le Cor et Marion Féger, étudiant·e·s en Master 1 MCEI.