Mangez du pain vous vivrez bien !

De la Compagnie du Bouillon
par la Compagnie du Bouillon
Conservatoire du 19e arrondissement

Date : Jeudi 25 novembre 2021
Horaires : 18h - 19h
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre

Mangez du pain vous vivrez bien !

Compagnie du Bouillon

Mise en scène : Côme Paillard
Avec : Stéphanie Palies, Juliette Ella-Chanu, Mathias Onni, Gabriel Ecoffey, Léo Monnin, et Côme Paillard

Ils sont perdus. Ces humains sont à la ramasse complet. Ils ne comprennent déjà pas grand-chose alors tout devient encore plus compliqué quand les nouvelles technologies s’en mêlent.

Mangez du pain vous vivrez bien !, ce sont des tableaux confrontant des humains à la technologie.

Ces courtes tranches de vie interrogent notre rapport à la technologie : outil de torture ou d’émancipation, créatrice de liens et bien souvent d’angoisses.

Tout au long de la pièce les personnages nous interpellent :
Peut-on vraiment se servir d'un robot humanoïde comme défouloir ?
L'amitié peut-elle être tarifée ?
La technologie verte ou low-tech est-elle nécessairement vertueuse ?
Les rapports humains peuvent-ils être rendus artificiellement plus harmonieux ?
Est-ce que le progrès technologique peut nous rendre nostalgique ?

Et surtout, est-ce que le grille-pain est un objet technologique si ringard ?

Dans le fond qu’a-t-il à envier aux tablettes, smartphones et autres imprimantes 3D ?

Mangez du pain vous vivrez bien ! questionne la technologie dans son rapport aux humains. Parfois des créateurs de génie mais majoritairement des utilisateurs satisfaits par des gadgets auxquels ils ne comprennent rien. De fait, les nouvelles technologies sont au centre des problèmes relationnels des différents personnages tout étant parfois aussi leur solution. On ne voit pas de limite aux nouvelles technologies, on jurerait volontiers qu’elles sont ou seront capables de tout. Ce pouvoir apparemment infini nous fait rêver et trembler. Nous faisons le choix d’en rire pour calmer un peu nos angoisses. Les différentes saynettes de cette écriture de plateau font écho au confort inquiet que nous offrent ces technologies.

Fiche de salle

La pièce

Une machine à café, un aspirateur, un grille-pain, une douce odeur de biscotte brûlée. Ces objets ordinaires disposés sur le plateau vont se retrouver confrontés à des technologies de pointe. Mais quel est alors le point commun entre un micro-onde et un robot-humanoïde-punching-ball ? À travers un enchaînement de tableaux et d'inventions technologiques, les objets de notre quotidien vont prendre de nouvelles teintes. Comment réagirions-nous si demain notre poubelle nous gratifiait d'une amende bien salée pour ne pas avoir pensé au tri ?

L’omniprésence des technologies a bouleversé l’organisation de nos vies. Dans ce futur pas si lointain, Mangez du pain vous vivrez bien explore les dérives liées à ces objets aussi incompréhensibles qu’indispensables. Entre humour noir et esprit de dérision, la pièce interroge la limite entre le progrès et le déclin de l'humanité. En fin de compte, nous ne savons plus s’il faut craindre l’intelligence artificielle ou un dysfonctionnement généralisé des machines à café.

Au fil de cette succession de situations comiques, l’existence de ces objets fantasmés donne lieu à des questionnements sur l’équilibre social, politique et écologique de notre société connectée. Cette création originale nous invite dans un monde où la technologie nous accompagne, pour le meilleur - ou pour le pire.

La compagnie

Créée en 2020 autour du projet de mise en scène de La nuit juste avant les forêts de Koltès, la Compagnie du Bouillon se compose de six comédien·nes. Leurs créations cherchent à réinterroger des éléments du quotidien, par le biais du spectacle vivant. À travers une écriture de plateau et une scénographie épurée, le collectif mobilise l’imaginaire des spectacteur·ices, avec la volonté d’être accessible au plus grand nombre.

Fiche réalisée par Sarah Baranes et Anaïs Barthelat, étudiantes en Master 1 MCEI.

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Entretien

Nous avons rencontré Côme Paillard et Mathias Onni, membres de la compagnie du Bouillon pour parler de leur première création, Mangez du pain vous vivrez bien ! Inventions technologiques, humour, et vision sur le théâtre: retour sur cette rencontre.

Toute votre pièce s'articule autour des nouvelles technologies. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Côme Paillard : Mangez du pain vous vivrez bien ! est le premier projet de la compagnie. Notre travail précédent portait sur la mise en scène de La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mais le confinement est venu le mettre en pause. Lors d'une résidence, nous avons décidé de travailler à partir d’improvisations. Nous nous sommes imposé·es une contrainte de jeu, travailler autour d’un thème particulier : les technologies. Ce thème est apparu assez vite car lors du confinement nous y étions toujours confronté·es. Nous nous sommes concentré·es sur les nouvelles technologies car elles nous offraient de larges possibilités de jeu comme nous les connaissions peu. L'objectif était de partir à chaque fois d’un concept technologique, de l’étirer, de voir ce qui fonctionnait ou non scéniquement, et d’analyser si ce que la scène racontait était intéressant.

Comment expliquez-vous alors votre titre : Mangez du pain vous vivrez bien ! ?

C. P. : Le titre de la pièce est venu suite à deux éléments. D’une part, le lieu de résidence où nous travaillions était un ancien silo à grain. Il y avait un panneau « Mangez du pain vous vivrez bien ! », et nous trouvions cela amusant. D’autre part, au fil de nos recherches d’improvisation, nous avons constaté qu’il nous fallait un objet pour contrebalancer les concepts technologiques que nous étions en train d’inventer. Nous avons donc pensé au grille-pain, et il a maintenant une place centrale au sein de la pièce.

Pourquoi avoir choisi d’incarner vos histoires à travers un enchaînement de plusieurs scénettes ?

C. P. : La forme des scénettes nous permettait d’élargir le spectre de nos concepts technologiques au lieu d’en développer un unique.

Mathias Onni : Cette forme nous donnait aussi plus de liberté car elle nous évitait d’ancrer de prime abord notre travail dans une ligne dramaturgique. Au départ, personne n’avait de personnage attitré, ils étaient même tous interchangeables.

C. P. : Le travail dramaturgique est venu après. Nous avons créé des liens et des personnages a posteriori, car nous ne voulions pas proposer des sketches qui restent en surface. Il nous importait de retrouver alors une cohérence dramaturgique.

En quoi cette structure implique-t-elle des ressorts humoristiques dans la dynamique et dans la rythmique de ces enchaînements ?

C. P. : Les ressorts humoristiques arrivent très rapidement lors de nos improvisations car nous poussons toujours toutes les situations à l’extrême. Malgré tout, il arrive parfois que ce travail provoque au contraire un aspect dramatique.

M. O. : Notre pièce oscille entre le burlesque et l’absurde. D’un côté, le sujet des nouvelles technologies, l’imaginaire, et l’inventivité qu’il implique nous amène rapidement à l’humour absurde. Mais de l’autre, notre jeu est assez physique. Là où le texte peut paraître assez quotidien, le jeu, quant à lui, a un côté burlesque, à la limite du cabaret ou du vaudeville. C’est donc cette physicalité qui nous mène vers cet humour.

Comment avez-vous imaginé les concepts technologiques que vous proposez dans vos tableaux ?

C. P. : L’objectif était vraiment de proposer des nouvelles technologies imaginaires. Tous nos concepts ne sont pas absolument inconcevables. Nous ne voulons pas porter des jugements sur une société qui serait en pleine décadence. Il était au contraire préférable de choisir des concepts ayant une apparence de progrès. Un des enjeux principaux de notre pièce est de revenir sur la question du progrès, et de ce qui est éthique ou non. C’est une question qui revient tout le temps, notamment avec le débat autour du transhumanisme.

Comment les personnages progressent-ils au cours des différentes scénettes ? Quel est alors le fil directeur de la pièce ?

M. O. : Tous les personnages vivent dans le même immeuble. Ils·elles sont tous·tes confronté·es à un moment à des objets technologiques qui les dépassent, et nous regardons comment cela les impacte dans leur quotidien. Les personnages évoluent donc au fil des scènes.

C. P. : Toutes les scénettes sont par ailleurs systématiquement entrecoupées par un personnage qui entre sur le plateau et vient détourner de leur utilité première des objets de notre quotidien. Ce personnage permet de maintenir une ligne directrice tout en produisant des respirations entre les scènes.

Quel lien les personnages entretiennent-ils avec les objets du quotidien, en apparence plus rassurants ? Et avec les inventions futuristes ?

C. P. : Je tiens à préciser que nous ne voulons pas tomber dans une caricature avec d’un côté les objets technologiques qui seraient tous mauvais et diabolisés, et de l’autre, les objets du quotidien qui seraient tous bons. Chaque objet a sa part d’ambivalence. Il est vrai que l’humain a déjà inventé des choses terribles, et il le refera sans doute. Finalement, les objets du quotidien présents sur scène créent un point d’ancrage et de contraste avec nos concepts technologiques.

M. O. : Ces objets nous ramènent au présent et nous rappellent que ce qui a été technologique et révolutionnaire à un moment donné est passé désormais dans le quotidien. Mais les objets technologiques vont nécessairement amener des questions angoissantes sur nos sociétés au regard des problématiques auxquelles ils répondent. Les inventions technologiques que nous apportons sont comme un intermédiaire qui mène à ces questions.

Vous avez écrit votre pièce en pleine pandémie. Est-ce que vous diriez que votre écriture au plateau vous a donné une liberté que vous aviez perdue avec le confinement ?

M. O. : En effet, la notion de liberté est très importante car nous avons créé ce projet de toutes pièces. L’écriture au plateau nous a permis d’exprimer nos idées, sans travailler à partir d’un texte préalablement écrit. Nous avons réalisé un travail collectif. Tous les membres avaient un double statut d’acteur·ice et créateur·ice, ce qui nous a donné une très grande liberté d’expression et de création.

Quelles sont les répercussions de ce double statut sur la direction d’acteurs·ices au sein de votre collectif ?

M. O. : Comme nous sommes un collectif sans hiérarchie, la question se pose inévitablement. Nous avons alors décidé d’un système d’alternance, chaque membre du collectif occupe, le temps d’une scène, la position de regard extérieur.

C.P : Nous devons ensuite faire confiance à la vision de la personne qui joue le rôle du metteur·se en scène lorsque nous sommes dans la position de comédien·ne. J’ajouterai qu’un autre défi dans le jeu des comédiens·nes est de faire exister les nouvelles technologies au sein des situations. L’objet existe car les artistes au plateau en parlent, le font exister dans leurs mots, et surtout dans leurs corps.

Vous avez décidé de créer une machine à l’apparence humaine qui permet aux personnages d'extérioriser leurs pulsions violentes. Finalement peut-on dire que vos inventions exacerbent les travers de l’être humain ?

M. O. : En effet, ces objets technologiques sont un moyen pour nous de raconter quelque chose de l’humanité. Nous ne souhaitons pas seulement parler de la technologie, mais interroger les êtres humains et les sociétés. Les objets que nous créons sont comme un miroir déformant pour mettre en avant certains aspects de notre société. Par exemple, dans une scène nous inventons une application de location d’amis. Qu’est-ce que cela raconte de la solitude dans notre société ? Qu’est-ce qui fait qu’on en arrive à créer une application pour louer des amis ? Mais en même temps, si cette application vient répondre à un besoin, est-ce si mal d’y avoir recours ?

Actuellement, la place des nouvelles technologies peut prendre des allures angoissantes. Vos inventions comme le robot défouloir ou la poubelle donnant des amendes en sont le témoin. Comment expliquez-vous alors votre parti pris de questionner la société, par le prisme de l’humour ?

M. O. : L’humour est pour nous un moyen pertinent d’aborder un sujet sérieux, voire dramatique. Le rire est vecteur de beaucoup d'émotions et peut devenir un outil de critique. Il permet également d’entrer plus facilement dans des questions profondes.

Enfin, nous trouvons qu’il se passe quelque chose de fort avec le public lorsqu’il y a de l’humour. Un lien se crée entre nous, comédiens·nes sur scène, et les spectateurs·rices. En partageant ces moments, cela permet plus largement d’inclure le public dans ces questionnements, ainsi que dans la scène.

À la suite de votre travail de création, quel lien entretenez-vous avec la technologie ? Qu’en est-il de votre rapport à cette dernière, et plus particulièrement aux angoisses qui y sont liées ?

C. P. : L’aspect angoissant des nouvelles technologies m’est apparu lorsque nous nous sommes rendu compte que certaines des inventions que nous étions en train de proposer sur le plateau existaient déjà. Par exemple, nous reprenons le concept japonais d’une application de location d’amis. Cette application témoigne d'un réel problème de solitude au Japon. Mais finalement, nous nous sommes dit que s’il y a une invention c’est qu’il y a, d’une manière ou d’une autre, un besoin.

M. O. : L’angoisse est pour moi liée au caractère inconnu des nouvelles technologies. Toutefois, ce spectacle m’a également permis de prendre du recul. Je me rappelle constamment que ces inventions sont créées par des êtres humains. Cela me permet de rationaliser car la nouvelle technologie semble toujours nous dépasser ; pourtant des objets qui étaient à une époque des innovations technologiques font maintenant totalement partie de nos vies.

Propos recueillis par Sarah Baranes et Anaïs Barthelat, étudiantes en Master 1 MCEI.

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