Terrarium

D'Alice Vogt
par la Compagnie Appellation d'Origine Incontrôlée (AOI)
Université Bordeaux Montaigne

Date : Vendredi 26 novembre 2021
Horaires : 19h - 20h15
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h15
Discipline : Théâtre atmosphérique / Danse

Terrarium

Théo Pierrel

Conception / mise en scène : Alice Vogt
De et avec : Clémence Boucon, Léa Marcelle Gressier, et Bastian Sinsé
Scénographie : Justine Puech
Assistanat à la mise en scène et travail corporel : Camille Guillaume
Création Sonore / musique live : Thomas Germanaud
Conseil dramaturgique : Mathieu Garling
Régie lumière : Louis Joly
Costumes : Inès Balanqueux
Oeuvre textile colorée : Julia Blain
Assistanat à la scénographie : Célestine Fisse, et Chloé Dagois


Nous sommes dans un futur proche.

Ils sont trois.

Ils cohabitent avec une matière noire, entité énigmatique qui a envahi l’espace.

Dans le Terrarium, la gravité est affectée. L’espace fusionne avec les corps, les éjecte, les modifie. Aucune unité de mesure ne permet de saisir ces mutations.

L'œil humain a du mal à appréhender les étranges phénomènes qui s’y trament.

Un nouveau rapport à la matière et au temps s’y est développé.


Extrait de la note d'intention :

« Le terrarium est une fenêtre d’observation sur un micro-univers.

Un milieu fertile où l’on se plaît à rêver à des cosmogonies passées ou à venir. Un étrange biotope composé d’un substrat unique : une matière noire, propice à l’abstraction.

Sur scène, trois interprètes se font artisans de l’espace-temps. Pris dans une série de métamorphoses, ils se font tour à tour sorcières du vent, œuf cosmique, ou astronautes. Ces fulgurances plastiques construisent un univers peuplé de créatures déconcertantes, vibrant aux frontières de l’humain.

Le spectateur est invité à plonger dans ce conte viscéral où se dessine l’insolite quotidienneté d’une petite communauté. Aux prises avec des situations existentielles aux couleurs absurdes et tragiques, ces corps franchissent des seuils. Inventent de nouvelles formes de cohabitation.

Entre immersion et perméabilité, Terrarium compose un univers où se perd peu à peu toute distinction entre l’habitant et son milieu, où se tisse un récit habité de forces tactiles, dynamiques et sonores. »

Photos

Fiche de salle

La pièce

Au cœur d’un étrange biotope composé d’une matière noire et racinaire, trois figures émergent.

Milieu hostile devenu fertile, l’espace est lui aussi figure, entité énigmatique qui vit et donne vie.

L’insolite quotidienneté de cette communauté se dessine dans cette sphère de transformation où l’on se plaît à rêver à des cosmogonies passées ou à venir.

Quand le début et la fin se confondent et le clair se mélange à l'obscur, chaque chose perd son contour en épousant celui de l’autre.

Pièce de « théâtre atmosphérique », Terrarium nous plonge dans un voyage sonore et chimérique. Placé derrière la lentille du microscope, le spectateur devient l’observateur privilégié de cet écosystème singulier.

Nourri de réflexions sur les enjeux écologiques de notre époque, ce poème scénique contemplatif bouscule notre imaginaire.

Entre immersion et perméabilité, Terrarium compose un univers où se perd peu à peu toute distinction entre l’habitant et son milieu, où se tisse un récit habité de forces tactiles, dynamiques et sonores.

La compagnie

La compagnie Appellation d’Origine Incontrôlée (AOI) questionne les rapports entre corps et matière, organique et inorganique, humain et non-humain. Hétérogène et mouvante par sa structure et ses méthodes de travail, elle développe une dramaturgie intimement liée à l’espace et propose un théâtre interdisciplinaire.

Terrarium est le fruit d’une série d’explorations entamée en décembre 2019. Deuxième création de la compagnie, la pièce a été présentée pour la première fois en juin au Festival Fulgurances en partenariat avec la Maison des Arts de l’Université Bordeaux Montaigne.

Fiche réalisée par Éléonore Dorimini et Kathy Vassaux, étudiantes en Master 1 MCEI.

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Entretien

Nous avons rencontré la metteure en scène Alice Vogt à la table d’un café, à Paris, pour qu’elle nous parle de son spectacle original Terrarium. Elle nous a partagé son univers singulier qui est à l’origine de la pièce.

Comment est né ce projet ?

Alice Vogt : Tout a commencé lorsque j’écoutais une série de podcasts assez captivante sur France Culture qui s’appelait « Les clairières contestataires ». Elle traitait de communautés hippies et anarchistes qui opéraient un “retour à la nature”. Il s'agissait pour eux de s’extraire spatialement pour inventer de nouveaux modes de vie, différents des normes sociales en place à l’époque. C’étaient jonché de réflexions passionnantes et aussi de plein de belles anecdotes, comme cette communauté qui avait conçu des vêtements qui se fermaient à l'arrière pour toujours avoir besoin de quelqu'un pour s'habiller le matin. Mais ces histoires, d’une certaine façon, je les connaissais déjà. Je me suis donc demandé ce qu’il se passerait si ce n’était pas les habitants de la clairière qui étaient contestataires, mais la clairière elle-même. C’est vraiment ce retournement de pensée qui a été le point de départ de Terrarium.

Comment se sont passées les répétitions dans la construction dramaturgique ?

A. V. : Je travaille toujours à partir d'improvisations et de façon horizontale avec toute l’équipe. Ma première intuition pour ce projet était de développer une recherche axée sur le mouvement. Les performeurs Clémence Boucon, Léa Marcelle Gressier et Bastian Sinsé sont donc plutôt issu-e-s du monde de la danse bien qu’ils aient tous des parcours très hétérogènes et différents. Le processus de création s’est articulé autour de plusieurs résidences nourries par des expérimentations et des échanges avec l’ensemble de l’équipe. J’écrivais des protocoles d'improvisation, parfois inspirés par des lectures partagées. Cela nous a conduit sur plusieurs pistes, notamment celle de Deleuze et Guattari et de leur concept du « devenir ». Au début, pour la scénographie, je me posais la question de comment ramener de la “nature,” du vert, dans une boîte noire. Mais au fur et à mesure des expérimentations nous avons dérivé vers des matières synthétiques et nous sommes allés chercher l’organique ailleurs, dans le mouvement de la matière et le son. J'ai mis longtemps également avant de m’autoriser à prendre une décision dramaturgique sur qui étaient ces trois co-habitants du terrarium, s’ils étaient humains ou non et quelle était leur histoire.

Comment fut créée et pensée cette pièce-maîtresse, la matière noire qui occupe toute la scène ?

A. V. : Dans cette idée d’une “clairière contestataire”, j’ai commencé à chercher comment personnifier une entité. L’idée de lui “donner vie” scéniquement à travers une matière et de considérer celle-ci comme le quatrième performeur de la pièce a émergé.

J’avais déjà travaillé auparavant une forme courte qui questionnait les rapports entre corps et matière avec une danseuse, Colline Cabanis, et un gros amas de feuilles mortes. La question était donc : avec quelle matière travailler pour ce projet ? À l'époque, nous rêvions avec Justine Puech, la scénographe, à une sorte de continent plastique. Mais, après une série d'expérimentations avec différents matériaux intitulée « rencontre avec la matière », on s’est rendu-e-s compte que cette matière plastique nous limitait en termes de possibilités de mouvement et que si on continuait dans cette voie ça donnerait probablement lieu à une installation avec des corps figés dedans. Comme pour ce projet l’idée était vraiment d’axer la recherche sur l’interaction par le mouvement entre corps et matière, on a creusé d’autres pistes. Dans ce même lot de choses qu’on avait rassemblé pour cette série d'expérimentations, il y avait aussi une espèce de cape tressée en plastique avec des cylindres blancs en textile rembourrés qui formaient une épaule surdimensionnée. On a eu un vrai moment de rencontre entre l’épaule de cette cape et les performeurs au cours d’une impro. À la suite de ça, on a commencé à imaginer que ça pourrait être de gros cylindres textiles qui constitueraient « la matière ». Rapidement j’ai fait le choix du monochrome noir et du monomatière. Par son abstraction cette scénographie ouvre des puissances d’imaginaires et le côté textile offre de multiples possibilités d’interactions avec les corps. C’est aussi vraiment très confortable, mais ça c’était pas prévu. Côté coulisses, le processus de fabrication a démarré avec l’équipe mais aussi plein d’autres paires de mains. C’était tout un écosystème de personnes qui a donné naissance au terrarium.

Pourquoi avoir choisi une bande-son écrite exclusivement pour la pièce ?

A. V. : Pour le travail du son, c'est un créateur sonore, Thomas Germanaud, qui, en plus d'avoir créé toute la trame musicale, la joue en live et donne le tempo au plateau. Nous travaillons beaucoup avec notre ressenti. Il en est de même pour les jeux de lumière opérés par Louis Joly : ce qui se passe pendant 1h15 de spectacle relève d’un dialogue sensible entre la régie et le plateau. Pour en revenir à Thomas, il enregistre tous les échantillons qu’il utilise. Le moindre craquement entendu dans la pièce, c’est lui qui l’a capturé un jour en forêt - ou ailleurs - avec son enregistreur. Par la création sonore, nous avons cherché à donner vie au terrarium et à personnifier son entité à travers la figure d’un volcan central. Le rythme du terrarium est intrinsèquement lié à la dramaturgie du spectacle. En ce sens, nous parlons de théâtre atmosphérique. Un travail de spatialisation sonore permet également de renforcer cette sensation d’un organisme vivant et mouvant qui peut ainsi s’exprimer depuis différentes zones.

Pourquoi avoir choisi une communication non orale mais plutôt des murmures, gémissements et gestes parfois dansés ?

A. V. : Je suis revenue à mes premiers amours du cirque et de la danse. Quand j'ai commencé à penser à Terrarium, j’étais à un tournant de mon parcours. Mon langage scénique commençait à tendre davantage vers l'image et le corps. Je me méfiais aussi un peu de la parole parce qu'elle peut vite enfermer le sens. Il faut donner assez de signes pour établir un contexte propice aux divagations de pensée, mais, j’aime l’idée qu’un spectateur se soit raconté une histoire un peu différente de celle que nous avons imaginée. J’ai mis de côté la question de la parole pour l’instant, mais rien ne dit que dans six mois je ne vais pas décider de faire parler les personnages. C’est toujours en évolution. Cependant cette parole ne servirait pas à expliquer le contexte : où, comment et pourquoi les personnages en sont arrivés là. Ce serait plutôt une parole quotidienne, en contraste avec l'abstraction de l'espace dans lequel ils évoluent.

Comment se construit et se ressent la dualité entre la scénographie et la vie ?

A. V. : Cette dualité-là rejoint ce que je disais sur la parole : comment échapper à l’univoque et à une forme de manichéisme. Je peux reprendre ce fait qui m'avait marqué dans un documentaire sur Tchernobyl : la zone où il y a eu cet accident est aujourd'hui une réserve de faune sauvage pleine d'espèces qui en avaient complètement disparues. Cette présence animale dans la zone d’exclusion semble surréaliste quand on a en tête les conséquences désastreuses de cet accident pour toute forme de vie. J'avais envie que dans cette matière noire, ce terrarium post-apocalyptique, il réside aussi quelque chose de l’ordre de l’espoir. Et je crois que cet espoir, c’est dans la communauté qu’on l’a cherché.

Quel rapport au corps avez-vous voulu retranscrire ?

A. V. : Le corps fait partie de l'espace, se fait engloutir par l'espace mais le façonne aussi. Cette question du corps est plurielle dans la pièce et a beaucoup évolué au cours du processus de création. Pour ce travail, je suis assistée par une danseuse, Camille Guillaume. Avant d’être certaine que les personnages avaient été humains un jour, nous avons cherché des corporalités étranges. Mais en discutant après une sortie de résidence, on s’est rendu-es compte que ce microcosme était déjà tellement étrange que le contraste avec des corporalités plus quotidiennes était plus intéressant. Les moments qui nous émouvaient le plus et faisaient naître de l’espoir dans cette petite communauté étaient les moments le plus proches d’une forme d’humanité identifiable. Ce constat a été un tournant dans le travail du corps.

Il y a cette façon originale de laisser « vivre » les acteurs sur scène. Malgré un univers très abstrait, ils deviennent touchants et sensibles, sans pour autant utiliser les mots. Comment expliquez-vous cela ?

A. V. : C’est la question de l'identification. Ce qui touche, je crois, c’est de pouvoir s’identifier à eux malgré l’abstraction de l’univers dans lequel ils évoluent. Une spectatrice qui était venue à une sortie de résidence m'avait fait ce retour sur les bribes mémorielles. Le moment où elle avait vu une des trois interprètes en écouter était le moment qui l’avait le plus touchée. Elle s'était vraiment identifiée à eux grâce au son naturaliste de la bribe. Je n’avais pas envie de faire un spectacle d'images abstraites et froides, j’avais plutôt envie que le spectateur se fasse surprendre par ces images et qu'elles aient le temps d’exister, de questionner, tout en étant imbriquées dans une fiction tangible.

Quel est la place du spectateur face au spectacle ?

A. V. : Je pense que je peux parler de la position dans laquelle j'aimerais mettre le spectateur plutôt que de sa place dans l’absolu, puisque c'est propre à l’expérience de chacun. J'aimerais qu'il soit face à ce terrarium comme un scientifique en train d'étudier une espèce inconnue. Une espèce avec des comportements, des habitudes, des relations qu’il tente de décrypter. C’est de cette réflexion que vient le titre de la pièce. Le terrarium c’est l’idée de l’enfermement, le côté voyeuriste de l’observateur. En même temps, ça m’a toujours un peu émerveillée aussi de voir ces sortes de « mini mondes » à l'intérieur d'un bocal. C’est cette ambiguïté que je recherche.

Je souhaite que chacun sorte avec un récit un peu différent plutôt que chacun sorte en racontant exactement la même histoire. C’est toute la question de la balance des signes : qu'est-ce que je montre, qu'est-ce que je ne montre pas. Il faut que le public dispose d’assez de signes pour pouvoir naviguer dans notre imaginaire, mais pas trop pour qu’ils puissent se perdre dans le leur également…

Vous ne souhaitez donc pas guider le spectateur vers une interprétation spécifique du spectacle ?

A. V. : Cela rejoint le didactisme dont je me méfie, notamment avec ces questionnements autour du nucléaire. Si j'ai longtemps hésité sur qui étaient ces gens, c'était parce que je ne voulais pas déployer sur scène une opinion politique. Je ne cherche pas à délivrer un message mais plutôt à ouvrir des questions et un espace mental où les gens puissent naviguer. Il n’y a pas de message, ni de sens univoque. Il n’y a pas non plus une façon de répondre à ces questionnements qu’ouvre la pièce. Il y a, je pense, une angoisse que je partage avec beaucoup de gens de ma génération qui a donné lieu à ce spectacle et, en même temps, il y a un espoir par le groupe et la communauté. C'est peut-être la seule chose que j'affirme là-dedans.

Envisagez-vous d’autres scènes ou projets ?

A. V. : J’avais créé en 2018 un laboratoire de vidéo danse, Daily Tales, pour interroger des espaces quotidiens par le biais du corps. Aujourd'hui j'ai le goût de refaire d’autres projets in situ. Des projets éclairs où nous investissons pendant un temps donné un espace atypique. J’ai encore tellement la tête dans Terrarium que j'envisage plutôt ces projets sur un mode de production fulgurant. La pièce Terrarium elle-même est un rhizome qui invite à d’autres ramifications. Nous songeons depuis longtemps à créer une version performative ainsi qu’une installation dérivée de la pièce, peut-être dans un musée ; mais également à des formes plus éloignées du spectacle, comme des siestes sonores. La matière noire du terrarium, par son abstraction, ouvre de nombreuses possibilités et je pense qu’il y aura plusieurs versions de Terrarium comme il y aura sûrement d’autres projets qui germeront de cette matière.

Propos recueillis par Eléonore Dorimini et Kathy Vassaux, étudiantes en Master 1 MCEI.

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