Au bois
par le Chamarre collectif
École Supérieure d’Art Dramatique (ESAD)
Date : Jeudi 24 novembre 2022
Horaires : 20h - 21h25
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h25
Discipline : Théâtre / Théâtre musical
Maud Grelier et Inès Bedoya
Texte : Claudine Galea, Editions Espaces 34
Mise en scène : Mathilde Modde
Collaboration artistique : Anna Budde
Avec : Maria Aziz Alaoui, Louisa Chas, Antoine Chicaud, Louise Rieger, Thomas Roy
Dans Au Bois, Mère et Petite en ont assez de traverser la ville pour rendre visite à la grand-mère. Le conte a lieu aujourd'hui, dans une grande ville polluée, au bord du périphérique, là où il ne fait pas bon de traîner la nuit. La Mère, boulimique et névrosée, compte sur la Petite pour s'acquitter du rendez-vous. Le Bois en bas n'a rien de la forêt touffue qu'on lui connaissait. Ravagé par le béton et les ordures, il n'est plus qu'un parc urbain mal famé. Le Loup n'a pas l'allure d'une bête, d'ailleurs on ne saurait pas bien le reconnaître. Il est presque ringard et regrette le temps où il plaisait aux jeunes filles. Le Chasseur, papi en forme et bien conservé, guette le danger. La Petite, dans tout ça, studieuse et responsable, préfère se cultiver plutôt qu'écouter sa Mère se lamenter. Au moins, les films en noir et blanc ça n'est pas comme les contes : ça ne raconte pas de mensonges.
Au Bois c'est une histoire de mère et de fille, de désir, de sauvagerie, de viol. C'est le cri d'une jeunesse révoltée qui s'acharne à repousser l'inertie d'un monde normalisé. Ici on ne cède pas à la peur, même quand le viol surgit. On ne veut plus être une victime, on veut vivre ses rêves d'amour et de jouissance, reconquérir sa liberté et défier le destin. On n'écoute plus les morales, les loups et les chasseurs, on préfère invoquer nos êtres sauvages et survoltés. On prend les armes du rire, du chant, de la vibration et de la joie pour porter cette parole sans tricher et sans détour, dans sa plus grande vérité.
Photos de la représentation
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Entretien
Dans le cadre de la sélection de la pièce Au Bois1 au festival Nanterre sur Scène, nous avons rencontré Mathilde Modde, metteuse en scène. Lors de cet échange, elle a mis en lumière certains aspects du texte de Claudine Galea, les thématiques emblématiques de la pièce ainsi que les choix dramaturgiques qui ont été retenus.
« Au Bois reste un conte d'aujourd'hui bien réel, où malgré les ombres et l'ambiance feutrée, la réalité nous rattrape. » — Mathilde Modde
Comment avez-vous découvert Au Bois de Claudine Galea, et pourquoi mettre en scène cette pièce ?
Mathilde Modde : Une amie m’avait prêté cette pièce il y a quelques années. A la première lecture le texte m'avait un peu perdu. Cependant, j’ai gardé en tête plein d’images à l’atmosphère assez particulière. En relisant ce texte, j’ai été conquise par la langue poétique et singulière de l’autrice. Lors des cartes blanches de l’ESAD (École Supérieure d’Art Dramatique), j’ai eu très envie de le mettre en scène. En effet, c'était très important pour moi de sélectionner un texte écrit par une femme, et je ne me voyais pas faire autre chose ! Claudine Galea est une écrivaine contemporaine, et son écriture est passionnante à travailler au plateau. Par ailleurs, j’aime beaucoup le rapport au conte, l’idée de se réapproprier un récit connu de tous.tes. Plusieurs questionnements sont apparus : comment raconter un conte iconique autrement ? Comment se le réapproprier sous un autre angle de vue ? Il y a plein de manières de le faire et cela peut nous aider à nous ouvrir à de nouveaux imaginaires.
Pouvez-vous nous décrire avec vos propres mots l’histoire de Au Bois ?
Au Bois est l’histoire d’une mère, qui n’a pas su suivre ses rêves, et de sa fille, qui a décidé d'étudier pour s'en sortir. Elles vivent dans une ville, au bord d’un bois malfamé, où règne une ambiance lugubre. Elles doivent rendre visite à leur grand-mère et mère, ce qui nous rappelle l’histoire du Petit Chaperon Rouge. Ni l'une ni l’autre n’ont envie d’y aller, considérant cela comme une corvée. Elles finiront tout de même par s’y rendre. Dans cette forêt, elles vont rencontrer le Loup, qui ne ressemble en rien à celui du conte de Perrault, le Chasseur, moins rassurant qu'on ne le pense, et le Bois, porte-parole d’une nature anéantie par la modernité et par l’Homme. À tour de rôle, ils vont progressivement révéler leur vrai visage, sous les ordres de la RumeurPublic qui a soif d’histoires croustillantes.
Pourquoi ce choix de former un chœur en gardant l’ensemble des comédien.nes sur scène durant toute la pièce ?
À l’origine, dans la pièce la distribution n'est pas fixée. La parole peut être attribuée à tous les personnages. Cela fait à la fois la richesse et la tension de la pièce. C'est également ce qui a amené cette idée de chœur. L'écriture est très rythmée et avance sans cesse comme un flot continu de paroles, ce qui nécessitait de garder les comédien.nes au plateau pour tenir le rythme effréné de la pièce.
Au Bois s’inspire largement du Petit Chaperon Rouge. Dans le conte originel, le personnage de la Mère occupe une place secondaire, ce qui peut être interprété comme le reflet de la place de la femme dans la société du XVIIème siècle. Dans le texte, La Mère est un personnage central, notamment dans la première partie de la pièce. Peut-on y voir une volonté de moderniser ce conte et d’y réajuster la place de la femme ?
Claudine Galea raconte une histoire de femmes, une histoire de générations de femmes, et du lien qui les unit. C'est une écriture qui me parle, j'ai trois grandes sœurs, il y a toujours eu beaucoup de femmes autour de moi. Pour elles, pour moi, comme pour toutes les autres femmes, je trouve important qu'une histoire jusque-là racontée par des hommes puisse enfin être racontée sous un autre regard. Dans Au Bois, la Mère n'est pas réduite au rôle type d'une mère parfaite et bonne cuisinière comme dans les contes traditionnels. Ici, cette femme peut être aimante mais aussi mauvaise mère, elle peut avoir du désir, rêver. Elle est bien plus riche et complexe que sa simple fonction de mère.
Le texte de Claudine Galea nous montre qu’en chacun de nous sommeille une part d'ombre. Est-ce pour cette raison que la pièce se déroule dans une obscurité constante ?
Je ne pense pas que ce soit tant pour montrer notre part d'ombre mais surtout pour plonger les spectateur.ices dans l'univers du conte. L'obscurité amène un aspect fantastique, presque irréel. Pourtant Au Bois reste un conte d'aujourd'hui bien réel, où malgré les ombres et l'ambiance feutrée la réalité nous rattrape. L’idée de jouer avec le visible et l'invisible est très présente et seule la lumière peut induire cela sur scène. Les ambiances lumineuses, obscures et tamisées accompagnent cette volonté de dissimuler, de deviner, de percevoir, laissant parfois le doute planer sur ce qui se passe sur scène.
La musique occupe une place importante dans cette pièce et vous utilisez de nombreuses percussions. Comment et pourquoi avez-vous choisi d’inclure ces instruments dans votre mise en scène ?
Les percussions sont présentes depuis le début de mon cheminement où j’imaginais déjà beaucoup de rythmes frappés, de voix et de chants choraux. Ce sont des techniques intéressantes pour dialoguer avec l'écriture très vive et très rythmée de Claudine Galea. La partition musicale par son côté répétitif et rythmé nous plonge rapidement dans l'histoire et permet de facilement la moduler. En une simple accélération, les scènes peuvent prendre une toute autre tournure. Les interprètes maîtrisent les percussions et ont rapidement fait beaucoup de propositions au cajón, à la derbouka ainsi qu’à la caisse claire.
Le texte de Claudine Galea offre sept chansons, avec par exemple, Promenons-nous dans les bois ou encore l’Hymne de la fronde . Pouvez-vous expliquer vos choix de composition pour « le chant des belettes » l'ultime chant de la pièce ?
Je trouve que les chœurs sont toujours très puissants, c’est pourquoi je voulais retrouver le chœur pour ce chant des belettes. Nous avons choisi d'introduire l'arrivée des belettes par des petits sons de la forêt qui évoluent en voix chantée puis criée. Je me suis beaucoup inspirée du film Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Il y a une scène où toutes les femmes sont autour d'un feu et chantent en tapant des mains, c’est un moment très intense. Le chant des belettes a donc été construit à partir d'improvisations, avec pour seule indication le désir d’un rythme commun.
Un espace central est délimité au centre du plateau, quelle symbolique accordez-vous à cette démarcation dans laquelle les personnages évoluent ?
Dès la lecture de la pièce, on sent cette idée de rythme, de mouvement, de circuit. Nous avons donc créé un dispositif qui permette de trouver une mécanique de déplacement. On peut y voir l'image d’une manivelle qui se tourne, d’une ritournelle, d’une boîte à musique. En outre, cet espace, très contraignant pour les acteur.ices, permet de créer des lignes de tensions et de nourrir les enjeux de la pièce.
La pièce que vous avez choisie de mettre en scène aborde des sujets forts et politiques tels que le désir féminin, ou le viol. Quels sont, selon vous, les enjeux sociétaux du spectacle ?
En tant que jeune femme artiste, cela me fait du bien de découvrir qu'il est possible de raconter les choses autrement que comme ce qu’on m’a toujours appris. Au Bois propose une autre version de l'histoire où il est plus facile de se projeter. C'est important de donner cela à voir aux jeunes femmes de tout âge. Elles n'ont pas l’habitude de se voir représentées dans les thématiques autour du désir, de la solitude, de ce rapport à la nourriture. C’est la vie et c’est bien de la voir représentée ! Pour ce qui est du viol, je pense que mettre en scène Au Bois n'apporte malheureusement pas de solutions mais permet de prendre la parole, de dire qu'on a le droit de parler et de crier sans avoir peur. Au Bois est une pièce pleine d’espoir.
Comment pensez-vous que le public puisse réagir à ce conte moderne ?
Je n'attends pas d'émotion ou de réaction particulière, au contraire, que chacun·e se sente libre de ressentir ce qu'iel veut. Je serais heureuse s' il se passe quelque chose chez les spectateur.ices, un sursaut, pour que ce spectacle puisse avant tout laisser une empreinte. Je trouverais ça fort qu'il y ait une porte qui s'ouvre quelque part et qu' Au Bois puisse y déposer quelque chose, de quelque nature que ce soit.
Propos recueillis par Coralie Lammens et Coralie Poligné, étudiantes en Master 1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)
1 La pièce Au Bois de Claudine Galea est publiée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale / éditions Espaces 34 www.arche-editeur.com.