K-MILLE

D'Anaëlle Queuille, textes de Camille Claudel, Jean Husson et Anaëlle Queuille
par la Compagnie Les Évadés
Université Paris Nanterre

Date : Vendredi 25 novembre 2022
Horaires : 19h - 20h25
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h25
Discipline : Théâtre / Danse / Musique

K-MILLE

Olivia Baumlé

Mise en scène : Anaëlle Queuille
Avec : Kate Perrault, Romain Tarnaud, Caroline Jacquemond, Damien Sobieraff, Anaëlle Queuille, Anthony Ponzio, Anna Swieton, Ariane Issartel
Chorégraphie : Caroline Jacquemond
Scénographie : Thibault Seyt et Ines Collet
Création Musicale : Anna Swieton et Ariane Issartel
Lumières : Cécile Pierret

C'est l'histoire de Camille Claudel, sculptrice de génie, pourtant mise de côté, oubliée, isolée et internée pendant 30 ans.

De ses débuts dans le monde de la sculpture en passant par ses rencontres essentielles, son histoire d'amour destructrice avec Rodin, ses œuvres, ses réussites, ses échecs et son internement en hôpital psychiatrique. C'est une histoire d'amour et de passion. Une histoire d'art et de création.

À travers une forme pluridisciplinaire mêlant l’écriture contemporaine, la danse et la création musicale, K-MILLE raconte le combat singulier d'une artiste pour sa liberté absolue et sur les jeux de pouvoirs qui y sont liés.

Combat qui nous interroge sur des sujets d'une grande actualité, notamment la place faite aux femmes et aux artistes à travers le temps.

« Un magnifique tableau vivant au cœur d'une passion dévorante : K-MILLE est une révélation ! » — La Théâtreuse

« Cette pièce rend un vibrant hommage aux femmes et à ce goût d'absolu si merveilleux et si difficile que portent en eux les artistes. » — Apartés

Photos de la représentation

Photos

  • K-MILLE — Photo : Fanny Cortade

  • K-MILLE — Photo : Olivia Baumlé

Entretien

Dans le cadre de la sélection de K-Mille au Festival Nanterre sur scène, nous avons rencontré Anaëlle Queuille, metteuse en scène du spectacle. Cet entretien aborde le processus de création de la compagnie, le caractère pluridisciplinaire de cette pièce-ballet, ainsi que les questionnements féministes transmis par l'œuvre.

« Qu’est-ce qu’il se passerait si, en regardant une sculpture, elle prenait vie ? » — Anaëlle Queuille

Le spectacle K-Mille aborde une grande partie de la vie de Camille Claudel. Comment avez-vous découvert cette artiste ? Comment sa vie vous a-t-elle inspirée ?

Anaëlle Queuille : J’ai découvert cette artiste assez jeune, un peu par hasard lors d’un travail chorégraphique. Son histoire m’a bouleversée : l'idée qu'un jour, quelqu’un puisse décider pour nous de notre destin. Puis, je me suis penchée sur ses œuvres, symboliquement et intimement liées à sa vie. Il y a eu une sensibilité, une porosité qui m’a énormément intriguée et qui m’est restée longtemps en mémoire jusqu’à mon entrée au Cours Florent où nous devions réaliser une carte blanche. J’y ai fait une forme courte de ce qu'est K-Mille aujourd’hui, avec un travail uniquement de corps.

Le titre, K-Mille, est original et intrigant. Pourquoi cette orthographe ?

Quand on a voulu écrire le texte, nous nous sommes dit qu’il fallait une porte d'entrée à l’univers de Claudel. Notre mine d’or a été un livre qui s'appelle Correspondances, qui recense de nombreuses lettres de Camille Claudel à ses proches au cours de sa vie. En feuilletant ce livre, je suis tombée sur une lettre qu’elle a écrite à sa cousine en signant « K-Mille », précisément avec cette orthographe-là. C’était d’une étrange modernité ! Je voulais un titre qui transmette un peu plus l'identité du spectacle, qui rompe avec ce qui a déjà été fait. On me pose souvent la question du titre en pensant à un effet de style moderne de ma part. Mais non, c’est véritablement quelque chose qui vient d’elle.

Vous avez justement parsemé la pièce de ces correspondances de Camille Claudel et ses proches. Comment avez-vous mené ce travail d'archive et de recherche ?

Je voulais que la forme théâtrale intègre ces correspondances très précieuses. J’ai donc fait appel à un ami, Jean Husson, comédien et dramaturge. Avec beaucoup d’échanges et de discussions, il m'a aidé à écrire le squelette qui allait nous servir de fil rouge pour raconter cette histoire, en parallèle de l’interprétation corporelle et musicale. En lisant les correspondances de Camille Claudel, nous avons été confrontés à sa langue et à sa manière de dire les choses. Nous étions au plus proche d’elle. Ensuite, nous avons lu ses biographies et celles de ses proches. Je suis aussi allée dans les musées pour voir ses œuvres. L’idée n’était pas de faire une biographie, mais plutôt de tirer certains fils qui nous paraissaient les plus importants dans ce que nous voulions raconter et défendre.

On rencontre tous les personnages qui gravitent autour de Camille Claudel dans sa vie : Rodin, Paul son frère, Jessie Lipscomb, Armand Dayot, la Comtesse de Maigret… Comment ces personnages sont-ils révélateurs de Camille Claudel ?

Les personnages me paraissent importants pour montrer Camille sous différents angles et avec différents liens. Il y a une vraie évolution dans son personnage. Au début, avec son amie Jessie, c'est une jeune fille vive, avec beaucoup d'humour, qui a un regard avisé. Cette relation avec Jessie nous la montre sous un jour complètement différent de sa relation avec son frère, avec Rodin, mentor et amant… À travers cela, on exprime une palette d'émotions différentes, avec des personnages qui viennent marquer des moments importants dans la vie de Camille.

L’écriture collective semble caractéristique du travail de votre compagnie. Comment avez-vous travaillé ensemble dans cette création, avec des artistes pluridisciplinaires ?

Nous avons eu une chance inouïe d’être acceptés en résidence de création dans le cadre du festival Art&Cendre en 2019. En y entrant, il n’y avait que le texte qui était finalisé. Le spectacle s’est vraiment créé là-bas. Je voulais que tout se crée dans le même temps. En amont, j'ai discuté avec la chorégraphe pour déterminer un univers esthétique : nous voulions quelque chose de brut, de terrien. Ce fut également le cas avec les musiciennes qui étaient des forces de proposition quant à la partie musicale et chantée. Finalement, chacun·e a amené des propositions pour démarrer le travail. Il a fallu organiser tout ça à la manière d’un chef d’orchestre. C'est avec beaucoup d'émotions que nous nous sommes rendu compte, à la fin du travail, que nous avions notre forme finale du spectacle.

La pièce se nourrit de différentes disciplines artistiques : danse, théâtre, musique live, arts plastiques… Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre tous ces arts ?

J’avais vraiment à cœur de faire un projet pluridisciplinaire, et j’estime que ce qui est non verbal raconte tout autant, et parfois plus que ce qu’il y a dans le texte. Je ne voulais pas que la musique soit accessoire ou que ce soit juste un fond sonore, je voulais qu’elle ait une véritable part dans le spectacle. Que ce soit pour le corps, le texte ou la musique, l’équilibre est apparu plutôt naturellement, il s’est imposé à nous, de lui-même dans la création. Chaque discipline venait enrichir l’autre. J'ai l'impression que nous sommes arrivés à un endroit où rien ne prend le pas sur l’autre et où tout raconte une histoire dans l’histoire.

Jusqu'à l'argile sur les corps des personnages et les interprètes oscillant entre statues et œuvres vivantes, toute la mise en scène renvoie à l'univers plastique de Camille Claudel. Comment vous en est venue l’idée ?

Très vite, et très tôt, avant même que l’on commence à travailler, j’avais des images en tête de ce que je voulais. Ce qui m’intéressait particulièrement c’était le travail avec la sculpture, qui est un art plastique où on essaye de rendre au mieux la vérité du corps. C’était très beau de réfléchir à la manière de l’interpréter par nos corps à nous. C’est un peu l’idée de se dire : qu’est-ce qu’il se passerait si, en regardant une sculpture, elle prenait vie ? Souvent, le passage au mouvement permet de raconter quelque chose avec la sculpture. C’est cette pensée-là qui m’a donné envie de faire interpréter les sculptures par de vrais corps. De la même façon, pour l’argile, je l’avais imaginé très tôt. J’avais envie qu’il y ait de la matière, un côté organique. C’était intéressant de voir ce que ce contact avec la matière racontait et ce qu'il pouvait provoquer dans l’interprétation des acteurs et des actrices mais aussi visuellement pour les spectateurs. Dès que nous avons commencé le travail sur le plateau avec l’argile, ce fut une révélation.

Sur scène, on découvre aussi des musiciennes et des chanteuses : quel est l’apport de la musique-live et du chant sur scène, par rapport à de la musique enregistrée ?

Au début de la création, c'était uniquement un travail de corps, et le corps se lie souvent à la musique. Il y a l’aspect brut du son de l'instrument et sa présence sur scène. C'était un enrichissement dans le processus de création : comment la musique et le corps vont s'enrichir l'un l'autre ? Les musiciennes sont une respiration, une vibration en utilisant leur souffle et leur voix. Ces sonorités, autres que l'instrument en lui-même, ont apporté un éventail beaucoup plus riche qu'une musique enregistrée.

Parler de Camille Claudel sans aborder le thème de la folie paraît impossible, compte tenu du fait qu'elle a été internée durant les trente dernières années de sa vie. Comment l'avez-vous abordé ?

C'est un des sujets qui m'a le plus questionné. Le sentiment de dépossession est très présent dans l'histoire de Camille Claudel, notamment au niveau de son travail. J'ai trouvé horrible que, à la suite de cette colère humaine et légitime de sa part, la situation dérape jusqu'à un internement de trente ans. Qu'est qui justifie ça ? Camille écrivait des lettres d'une clairvoyance assez incroyable, où elle demandait juste à sortir et à avoir un chez-elle. Mais quand quelqu'un décrète à un moment donné qu'on est fou, on le devient pour le commun des mortels. Cet internement, c'est une véritable volonté d'isolement. C’est se délester de quelqu'un dont on ne veut plus la charge. Cependant, je n'ai pas non plus voulu donner aux personnages masculins l'image de monstres. Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour ouvrir un questionnement. L'idée était de se demander ce qu'était réellement la folie, est-elle vraiment là où on le pense ?

Le combat de la femme-artiste est toujours d’actualité aujourd’hui. En tant que femme artiste, vous-même, vous sentez-vous proche de Camille ?

Sur le plan artistique, j'ai rarement été aussi touchée par une artiste plastique. Je trouve des liens sur la manière de ressentir le monde, notamment sur la notion d'abandon et de dépossession qui m'ont personnellement travaillée. C'est une question à laquelle nous sommes toujours confrontés, on se bat toujours pour que nos projets existent. C'est un travail de tous les jours. D'un côté, je me dis que si moi, jeune femme artiste, je peux mettre des gens quasiment nus sur un plateau, c'est parce qu'il y a des femmes artistes qui se sont vu refuser de le faire… C'est une sorte de filiation qu'on se crée. À de très nombreux niveaux, Camille Claudel m'a questionnée, je me sens sensible à son travail et à ce qu’il raconte.

On peut voir le spectacle d'un angle intime, pédagogique et politique. A qui s’adresse votre pièce ? Comment voyez-vous la réception du public ?

On a toujours envie de raconter quelque chose de particulier sans savoir comment cela sera reçu, c'est toujours le mystère. Beaucoup de celles et ceux qui ont vu le spectacle ne connaissaient pas l'histoire de Camille Claudel. Je crois que j'avais envie de transmettre cette histoire-là. Que l’on connaisse Camille Claudel ou non, que l’on soit du monde théâtral ou pas, c'est un spectacle qui peut intéresser un large public.

Propos recueillis par Suzon Chentre et Alice Fidelle, étudiantes en Master 1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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