Les Tournesols

D’Angèle Garnier, texte de Fabrice Melquiot (L’ARCHE - éditeur & agence théâtrale)
par la Compagnie Les Orageuses
Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, CNSAD

La pièce Les Tournesols de Fabrice Melquiot est publiée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale. www.arche-editeur.com.

Date : Mardi 22 novembre 2022
Horaires : 18h - 19h15
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h15
Discipline : Théâtre

Les Tournesols

Jetmir Izidri

Texte : Les Tournesols, écrit par Fabrice Melquiot
Mise en scène : Angèle Garnier
Avec : Myriam Fichter, Ema Haznadar, Anysia Mabe, Marie-Lou Nessi
Création musicale : Pauline Bie

Née en 2017 à Paris, la Compagnie Les Orageuses mène un travail de recherche et de création théâtrale exigeant, accessible, et engagé. Les Tournesols, de Fabrice Melquiot, est la troisième création de la compagnie.

Une petite ville de province. Violet, soixante ans, vit avec ses trois filles, Blue, Brown et Black, chacune nées d’un père différent. Ces derniers sont absents ; tous les hommes évoqués dans la pièce sont invisibles et semblent irréels. Les quatre femmes semblent renfermer dans leur chair et leur maison les blessures de leurs ancêtres, les femmes de La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca.

Les Tournesols traite de l’enfermement : celui des femmes dans leur propre condition - le patriarcat qui les soumet, les violente - et celui des trois filles par leur mère. Le dehors est à la fois objet de fantasme et de danger. Violet, Blue, Black et Brown choisissent chacune une réponse différente à l’anéantissement des femmes par les hommes ; elles trouvent leur rédemption à des endroits distincts. Pour Black, c’est braver l’interdit et entretenir une relation avec un homme marié - son psychologue -, pour Blue, c’est la création à travers la peinture, pour Brown, c’est se détruire elle-même et les autres - notamment les insectes -, et pour Violet c’est s’échapper dans l’alcool et les pilules roses. Survient alors un événement qui les paralyse. Les quatre femmes décident alors de se cloîtrer chez elles, de se retirer du monde, et devenir des abstinentes. Elles prennent la décision de ne plus fréquenter le dehors : les hommes.

Photo : Jetmir Izidri

Photos de la représentation

Entretien

Dans le cadre de la sélection de la pièce Les Tournesols1 au Festival Nanterre sur scène, nous avons rencontré la metteuse en scène, Angèle Garnier. C’est au sein même du CNSAD (Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique) qu’elle nous a parlé de ce spectacle moderne et incisif, portant sur des thèmes liés aux relations familiales et au patriarcat.

« Ce qui m’intéresse, ce sont ces relations teintées d’amour et de violence, et la façon dont le patriarcat influe sur les personnages. » — Angèle Garnier

Vous avez fondé la compagnie Les Orageuses en 2017, pourriez-vous nous en dire plus sur le contexte de création ?

Angèle Garnier : L’appellation les Orageuses sonnait comme une évidence. Ce nom est tiré du roman de Marcia Burnier, Les Orageuses, dont l’histoire porte sur un gang composé de femmes en colère, de personnes trans et non-binaires, qui, après avoir été agressé·e·s sexuellement, cherchent à se faire justice.

Pourquoi avoir choisi de mettre en scène Les Tournesols de Fabrice Melquiot ? Quels sont les éléments narratifs qui vous ont donné envie de la monter ?

J’ai lu cette pièce il y a longtemps. Ensuite j’ai mis en scène Charlotte et je suis passée à autre chose. C’est un poème de Rupi Kaur, qui s’appelle Les Tournesols, qui m’a fait replonger dedans. Par ailleurs, j'ai grandi dans une famille de femmes. À travers cette pièce, j’avais l’impression que c’était mon histoire qu’on racontait. Cette exigence que les femmes peuvent avoir entre elles m’a énormément parlé. Ce qui m’intéressait, c’étaient ces relations teintées d’amour et de violence, et la façon dont le patriarcat influe sur les personnages.

Selon vous, pourquoi le titre Les Tournesols ? Sa symbolique peut sembler étonnante, étant donné qu’il s’agit d’une fleur associée au soleil, et que la pièce renvoie à un drame.

D’abord, je pense que Fabrice Melquiot a choisi ce titre pour faire référence à ses traductions de la trilogie rurale de Garcia Lorca (La maison de Bernarda Alba ; Noces de sang ; Yerma). Ensuite, avec les comédiennes, nous avons imaginé que sans le soleil, les femmes se retournent vers la terre. Et, en même temps, comme elles souhaitent aller mieux, elles cherchent à vivre, et elles tendent vers le soleil.

Comment se tissent les relations de ces femmes au sein de la cellule familiale ?

On rentre vraiment dans l’intimité de ces femmes. Le huis clos fait ressortir la violence de leur relation, et en même temps leur amour, leur tendresse. Elles se supportent et font le choix de rester entre elles, tout en sachant que la maison est malade. La mère est la première victime de l’histoire. Victime du patriarcat, elle finit par transmettre ses traumatismes à ses filles.

Le suicide de Brown au milieu de la pièce est-il, selon vous, une victoire du patriarcat sur la condition féminine ?

Non, je le vois plutôt dans l’optique de leur discours sur la radicalité : « soyons catégoriquement catégoriques ». Brown est en fait la seule à être radicale. Bien que cela arrive après le viol et donc que cela ait un lien, pour moi c’est surtout ce qui a permis à Brown de sortir de son purgatoire et de revenir à la terre. Elle se libère par le suicide.

Tout au long de la pièce, un voile fait partie de votre jeu et interagit avec les personnages. De quelle manière l’avez-vous intégré à votre dramaturgie ?

Ce voile s’est installé assez rapidement au moment des répétitions. Quand on a commencé à travailler la scène du bain, je ne me voyais pas mettre une baignoire sur scène. Puis, j’ai vu ce voile au marché Saint-Pierre et je l’ai trouvé magnifique. J’aime l’idée d’utiliser un objet parce que je le trouve beau. Je me suis ensuite rendu compte que ce voile prenait énormément de sens. C'est l’objet que la mère utilise tout le temps pour ramener ses filles à elle. Enfin, j’ai eu l’idée de faire mourir une des filles dans ce voile. Elle reviendrait en mourant dans le ventre de sa mère. Et puis, quand on voit la personne sous le voile grâce à la lumière, cela donne un effet de statue, brillante et luisante, quasi momifiée. J’avais envie d’un élément, seulement un, qui soit visuellement fort et symbolique, qui serve à plusieurs choses, et qui ramène tout le temps à la mère.

Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez mis l’accent sur un théâtre de Parole, ainsi qu’une scénographie épurée ?

J’avais déjà travaillé avec quelques chaises seulement, et j’avais envie de recommencer. En fait, pour moi il y a les comédiennes et l’histoire que l’on raconte, et en face il y a l’imagination des gens. C’est une sorte d’anti-Netflix, qui permet de faire marcher l’imagination du public et de ne pas tout montrer. Enfin, pour les actrices cela fait sens dans l’histoire puisque ces femmes sont pauvres et se croient riches. Elles n’ont rien si ce n’est leur imagination. Cela crée un parallèle entre les personnages et le public. Si ces femmes peuvent s’imaginer un monde à partir de rien, le public le peut aussi.

Fabrice Melquiot fait un parallèle entre les femmes des Tournesols et celles de Garcia Lorca notamment dans La Maison de Bernarda Alba. En quoi cette inspiration nous donne-t-elle un éclairage nouveau sur la pièce et ses personnages ?

Nous avons lu La Maison de Bernarda Alba de Lorca, mais je trouve surtout que l’inspiration est indissociable des deux autres œuvres que sont Les noces de sang et Yerma. Les trois, lues dans la traduction de Melquiot, sont vraiment à l’origine de la pièce. Dans les deux cas, les hommes sont absents et on se retrouve plongé dans une ambiance de famille matriarcale. La grande différence se trouve dans le personnage de la mère : Bernarda Alba de Lorca semble au lecteur véritablement méchante tandis que Violet de Melquiot est, d’une certaine manière, touchante et drôle. Il y a en plus un aspect que j’adore dans Les Tournesols, c’est que l’auteur enlève la concurrence féminine entre les sœurs pour un homme.

Selon vous, de quelle manière Melquiot parvient-il à transposer cette histoire de façon moderne et contemporaine ?

D’abord, par le langage. J’adore la langue de Melquiot parce qu'elle est très simple mais tellement violente. Les dialogues sont comme des petits couteaux qui transpercent. Aussi, nous avons remarqué que Melquiot entrait en résonance avec les revendications autour du mouvement #MeToo. Il y a également l’usage des anxiolytiques pour soigner la dépression d’une femme qui est un thème assez actuel. La présence d’un psy se rapporte complètement à notre époque. La santé mentale est au centre de nos préoccupations contemporaines. Aussi, la sexualité libre de Brown, évoquée sans tabou, est encore un facteur de modernité.

Garcia Lorca et Melquiot sont deux hommes qui racontent des scènes d'intimité de femmes. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?

À certains moments dans notre travail cela nous dérangeait beaucoup et je n'arrivais d'ailleurs pas à croire que c’était écrit par un homme. J’aimerais le rencontrer pour vraiment comprendre sa prise de position par rapport à ces femmes. Je voudrais vraiment être sûre que ce ne soit pas une caricature. Et puis surtout, je pense qu’on lit davantage les textes des hommes et qu’ils sont souvent davantage mis en avant. C’est sûrement pour cela que son texte est plus connu.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi cette pièce dénonce les violences masculines et patriarcales ? Et pourquoi ce combat vous tient-il à cœur ?

La pièce dénonce d’abord l’absence des hommes. Par exemple, avec les différents maris de Violet, on se rend compte de leur incapacité à être père. Leur abandon constitue le berceau de toute violence. Les personnages du médecin et du psychologue ont également une utilité relative : entre morale douteuse et mansplaining (ndlr : concept féministe décrivant une situation où un homme explique à une femme quelque chose qu'elle sait déjà, souvent sur un ton paternaliste). Par ailleurs, il y a le viol, qui est évidemment dénoncé. Par le simple fait d’être femme, ce combat contre les violences du patriarcat existe. Étant issue d’une famille de femmes, c'était pour moi presque inévitable. En tant que metteuse en scène, j’ai l’impression que je n’ai pas vraiment le choix : je dois mener ce combat-là. C’est une façon cathartique d’échapper à la colère et de l’expulser.

Il n’y a dans l'histoire que les personnages féminins qui sont joués par des actrices, les hommes sont seulement évoqués. Selon vous, quelle force apporte l’absence physique des hommes alors même qu’ils sont au cœur de l’histoire ?

Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure : le constat de l’absence des hommes. Les hommes ne sont pas là quand il le faut. La pièce est en fait la conséquence de leurs actions sur la vie des femmes qu’ils ont malmenées. Le dehors correspond aux hommes, au danger et à l'enfer. Elles sont obligées de se créer un espace, leur maison, où la mère construit des remparts. Le viol de Brown dès qu’elle sort de cette protection en est d’ailleurs la preuve. Cependant ces murs les étouffent, ce qui nuance l’idée de refuge.

La pièce traite de thèmes assez délicats, comme la sexualité, le suicide, le deuil. Comment les avez-vous abordés avec les comédiennes ?

Nous en avons surtout parlé dans les premières étapes du travail, et nous y sommes souvent revenues pendant le processus de création. Je dirais donc que c’est en faisant que nous avons partagé nos histoires en lien avec ces sujets. Le partage des récits nourrit notre travail et fabrique un imaginaire commun qui nous rapproche. Les comédiennes ont aussi, par-là, créé leur propre sororité.

Comment nous résumeriez-vous la pièce en quelques mots ?

Drôlerie. Violence. Sororité.

Propos recueillis par Dauphine de Solages et Ilona Ohana, étudiantes en Master 1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

1 La pièce Les Tournesols de Fabrice Melquiot est publiée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale www.arche-editeur.com.

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