Thérapie de conversion

De Lucas Sekali
par la Compagnie Munster Munchers
Conservatoire Darius Milhaud, Paris 14e

Date : Mercredi 23 novembre 2022
Horaires : 18h - 19h
Lieu : Espace Pierre Reverdy
Durée : 1h
Discipline : Théâtre

Thérapie de conversion

Compagnie Munster Munchers

Mise en scène : Lucas Sekali
Avec : Pauline Artus-Schaller, Théo Dachary, Thomas Dubloc, Sabine Royer et Swann de Torres
Scénographie : Lucas Sekali
Régisseuse : Ebbane Augé-Visa.

Clothilde est emmenée par ses parents à une thérapie de conversion, dans une association religieuse dans laquelle un prêtre la prend en charge pour la détourner de ses penchants homosexuels et lui faire retrouver l'hétérosexualité. Clothilde n'y est pas sensible, mais se fragilise lorsque le prêtre lui dit que son homosexualité l'éloigne de Jésus. Confrontée aux manipulations, aux violences du prêtre et aux tourments de ses parents, Clothilde tente à travers la thérapie de conversion de renouer son lien avec sa sexualité et sa relation avec Jésus.

Il y a dans le parcours de Clothilde une manière pour nous de relever les questions qui croisent la foi et la sexualité. Quelle place doit tenir la sexualité dans la foi ? Pouvons-nous sacrifier notre sexualité et nos désirs ? Que représente l’attachement à l’amour de Jésus dans la foi chrétienne ? S’il est un foyer, un confident, une présence immuable à soi, n’est-il pas une sorte d’alter-ego avec lequel on se sent en confiance ? Comment la sexualité peut-elle être une manière de contrôler les individus ? Quelles représentations inflige-t-on à tous les religieux en quête de quelque chose qui leur ressemble, qui leur parle ?

Ce projet est né dans la lutte menée par la communauté LGBTQIA+ pour faire interdire les thérapies de conversion en 2021. Il était nécessaire et urgent pour nous de mener cette lutte à notre manière, d’incarner nos rages et de sensibiliser. Nous avons remarqué que nous avions déjà vécues certaines situations que retraçaient les victimes de cette pratique, à savoir la manipulation psychologique par l'entourage pour redevenir hétérosexuel. Nous en avons déduit qu'il y avait donc une thérapie de conversion formelle et une thérapie de conversion informelle, vécue par tous les LGBTQIA+ de près ou de loin dans une société hétéronormée.

Thérapie de conversion propose une lecture théâtrale d’un objet politique brûlant, dans lequel cinq interprètes-créateur·ices dépeignent une des pratiques les plus sauvages du monde ecclésiastique sur les personnes LGBTQIA+.

Photos

Entretien

Dans le cadre de la sélection de Thérapie de conversion au Festival Nanterre sur scène, nous nous sommes entretenues avec le metteur en scène, Lucas Sekali. La pièce tente de retranscrire au plus proche la réalité d’une thérapie de conversion : un ensemble de pratiques pseudo-scientifiques reprises par les mouvements religieux visant à changer l’orientation sexuelle d’une personne homosexuelle ou bisexuelle. Cet échange a été l'occasion de revenir sur les grands jalons de création de la pièce et d’aborder plus largement les questions d’engagement politique et de représentativité de la communauté LGBTQIA+.

« Je veux qu’on aille voir Thérapie de conversion en se disant “J’ai été à une thérapie de conversion. J’y suis allé·e et j’en suis ressorti·e.” » — Lucas Sekali

Votre pièce s’intitule Thérapie de conversion. Pouvez-vous nous en raconter brièvement l’histoire ?

Lucas Sekali : Thérapie de Conversion présente le parcours fictif de Clothilde, une jeune fille homosexuelle et croyante, issue d’une famille catholique. Elle est emmenée par ses parents dans une thérapie de conversion. Elle est accueillie par un prêtre qui la prend en charge, dans un lieu où elle va être logée. Il va essayer de lui faire retrouver l’hétérosexualité. Elle n’est pas vraiment sensible à ces pratiques mais commence à se remettre en question lorsque ce dernier insiste sur l'incompatibilité entre son orientation sexuelle et sa foi. Au-delà des manipulations et des tortures, s’ajoutent les tourments des parents qui font qu’elle accepte de suivre la thérapie.

Votre pièce est une création originale. Comment a-t-elle été élaborée ? Quels ont été les jalons de l’écriture ?

Cette création est une initiative personnelle puisqu’elle est née dans le cadre de ma fin d’études en art dramatique au conservatoire. J’ai voulu m’engager à ma manière, dans la lutte pour l’interdiction des thérapies de conversion en France en 2021. J’ai souhaité rendre mon émotion politique, car il y a selon moi des émotions qui nécessitent d’être menées au bout en s’engageant théâtralement ou politiquement. L’écriture a commencé par un travail de documentation important, notamment par le biais du visionnage du documentaire Homothérapies sur Arte et l'écoute de podcasts. Par la suite, un canevas a été établi et a donné lieu à une écriture de plateau, nourrie par les corps et la parole. L’écriture biographique est également intervenue au travers d’expériences vécues de thérapies de conversion formelles et informelles.

L'influence de la compagnie du Munstrum Théâtre, portée par Louis Arene et Lionel Lingelser est très visible dans votre travail. Celui-ci est-il nourri par d’autres inspirations ?

Effectivement, il y a une affiliation autoproclamée au Munstrum. En anglais, le nom de notre compagnie « Munster Munchers » signifie « croqueurs de monstres ». Cela reflète notre travail de comédien·ne·s car nous croquons nos propres monstres, nous les ingurgitons et les laissons vivre au plateau sous toutes leurs dimensions. Nous avons tenté d’incorporer tout ce que la diversité des codes théâtraux et des registres peut apporter à une création. Il y a trois grandes inspirations : Brecht, le kabuki et le krump (ndlr : danse de révolte née dans les années 2000 dans le ghetto de Los Angeles). Le rôle des parents est inspiré de la théâtralité brechtienne et mettent en scène la thérapie de conversion en étant acteur·ice·s tout de suite et tout le temps. Quant à l'inspiration du kabuki, elle se justifie par une passion personnelle. C’est un genre de théâtre traditionnel japonais épique. Il nous permet de renverser l’ordre théâtral et de basculer dans un registre fantasmagorique. Ceci est particulièrement visible à travers les personnages du prêtre et de Jésus. L’entrée de ce dernier symbolise cette esthétique : c’est un acte théâtral en soi. Concernant les moments dansés, nous sommes inspiré·e·s avec Pauline Artus-Schaller, l’interprète du personnage de Clothilde, par des univers communs. Ce n’est ni de la danse ni seulement du krump qui est présenté au plateau, plutôt une mémoire corporelle d’un certain nombre d'instruments chorégraphiques.

Comment les personnages ont-ils été créés ?

Les personnages n’ont pas de vraie identité car on ne travaille ni sur leurs antécédents ni sur leur futur. Dans la pièce, la mère s’appelle « La mère » et il en est de même pour tous les personnages hormis Clothilde. C’est ce qui leur permet d’être à la fois des personnages et des figures, en les globalisant pour les laisser faire écho avec nos pères et nos mères. Ils représentent une tradition catholique où l’homosexualité est dangereuse car méconnue. Nous avons travaillé dans la caractérisation via le documentaire Homothérapies, notamment pour le personnage du prêtre. Il a un énorme capital de sympathie, c'est une manière très moderne et humaine d’aborder la foi dans le but d’essayer de toujours mieux entrer dans les psychés.

Vous auriez pu aborder un autre sujet tout aussi essentiel pour la communauté LGBTQIA+. Vous faites le choix fort de montrer une thérapie de conversion. En quoi est-ce important pour vous de faire d’un sujet de société un objet théâtral ?

Nous partons d’un point de vue, celui d’un personnage homosexuel parce que nous ne pouvons pas tout jouer. Néanmoins, il est capital de rappeler que les thérapies de conversion ont été pratiquées sur l'ensemble de la communauté LGBTQIA+. Donc, nous nous adressons à tout le monde. Notre but n’est pas de faire le procès de la religion catholique, mais au contraire de proposer une manière de considérer les deux comme n’étant pas incompatibles. C’est ce qu’aborde Olivier Neveu dans Contre le théâtre politique : le théâtre n’est pas une tribune. Thérapie de conversion reste un spectacle. Dans ce projet, l’une des dimensions est de traduire l’intime en un propos artistique.

La violence au plateau est très présente (masturbation forcée, séances de confession imposées, etc.). En quoi cela s’inscrit dans la dimension politique dans votre proposition ?

Je crains que cela appauvrisse le sujet si l’on ne parle que du geste de la violence, qui est évidemment présent. Il faut le montrer parce que sa représentation est importante mais cela n'a aucun intérêt de le montrer gratuitement. Nous essayons de représenter tout ce qui se passe dans une thérapie de conversion et cela passe aussi par la violence physique et la torture. Cet exemple de sévices ne dure que quelques secondes alors que la violence parcourt l’ensemble de la pièce, en particulier par la manipulation. Par ailleurs, je veux qu’on ait accès au rire lorsque certaines pratiques sont à la limite de l’absurde. Cette manière d’apporter du décalage est primordiale pour nous.

Tout le propos de la pièce est d’explorer la question du rapport, a priori jugé incompatible entre homosexualité et foi. De quelle manière les esthétiques catholiques et queer coexistent-elles ? Comment votre mise en scène en rend-elle compte ?

Clothilde symbolise cette synthèse des esthétiques : c’est une jeune femme homosexuelle croyante. La dramaturgie survient quand on lui dit que c’est impossible. Nous le montrons via la scénographie qui est épurée. Il n'y a pas besoin de décor ou d'un grand nombre d’accessoires. Il est également essentiel pour nous que les interprètes ne soient pas effacé·e·s derrière les personnages. Le Jésus non-binaire porté par Swann de Torres désamorce un empêchement dans sa représentation. Il y a donc une impossibilité pour les personnes queer croyantes de se projeter dans des images christiques.

A la fin de la pièce, vous allez jusqu’à faire apparaître Jésus d’une manière peu conventionnelle. Pourquoi ce choix, qui peut apparaître comme un geste politique fort ? Que dit-il de votre rapport à la religion et sa représentation ?

Concernant la tenue de Jésus, nous avons fait le choix d’un costume en cuir, à l’esthétique BDSM. Cela se justifie par le fait que celle-ci est l’une des plus iconiques dans le milieu queer. Le but est de donner au public des représentations faciles pour établir une complicité avec lui. Ce personnage de Jésus queer vient comme une symbiose entre le monde queer et le monde religieux, deux sociétés qui se refusent depuis toujours. Nous ne sommes pas là pour diffamer Jésus. Plus largement, le mouvement LGBTQIA+ a toujours été un espace de dé-tabouisation de la sexualité. Nous nous le permettons puisque nous sommes déjà en marge de la société car considérés comme étant « dégueulasses ».

Dans les faits, il n’y a que deux rôles dans une thérapie de conversion : soit on la subit, soit on la fait subir. Pouvez-vous parler de la manière dont vous concevez la place du spectateur lors de la représentation ?

Je veux qu’on aille voir la pièce en se disant « J’ai été à une thérapie de conversion. J’y suis allé·e et j’en suis ressorti·e ». Cette pratique est déjà un acte théâtral en soi. Jésus et les parents, dans la scène finale, vont dans le public pour scander des prières. Je souhaite lui faire comprendre qu’il fait partie intégrante de l’exorcisme. Clothilde est une intermédiaire entre lui et la fiction. C’est en cela que le public est incorporé politiquement et artistiquement sur le projet.

Propos recueillis par Clarysse Agathe et Ozmen Léa, étudiantes en Master 1 MCEI (Médiation Culturelle et Interculturelle)

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