Programmes de salle
Les étudiants du Master MCEI, dirigés par Madame Liliane Picciola, ont réalisé des critiques des spectacles en compétition, après avoir rencontré et interviewé les comédiens et metteurs en scène de chaque spectacle.
Vie de Grenier
Les onze comédiens de la troupe des ÉduLchorés transforment le grenier en un lieu magique – on y joue, voyage et surtout, danse : c’est le parti pris d’Emma Pasquer, metteur en scène et chorégraphe, bien décidée à incorporer le mouvement de la danse aux émotions du théâtre. Il y a aussi la musique originale de Lionel Bourau-Glisia, qui apporte une profondeur aux histoires racontées. Un moment divertissant et accessible à tous (pour peu qu’on ait gardé une âme d’enfant).
Tout commence lorsque la jeune génération d’une famille se retrouve dans le grenier de leur défunte grand-mère – ensemble, ils cherchent à se débarrasser d’objets désormais inutiles. Mais les souvenirs ne se laissent pas faire si facilement : le « gardien des lieux », ainsi que d’autres personnages irréels, surgissent d’un coffre pour conter et mettre en scène des bribes de vie de la grand-mère. Dans un emboîtement de poupées russes, un souvenir en cache toujours un autre… Attention cependant à l’oubli, qui n’est jamais bien loin…
C’est donc une approche insolite du deuil par la mémoire : la soif de découverte des personnages attise la curiosité et l’on plonge la tête la première dans une malle enchantée, pleine de rebondissements, pleine de vie.
En bref : une façon bien originale de ne pas défaire de vieux cartons !
Eileen Shakespeare
Talons, lessive et moustache
Virginia Woolf en a rêvé, Fabrice Melquiot lui a donné vie : Eileen Shakespeare est ainsi la soeur du célèbre William, dans une pièce mise en scène par Pierre Chochoy-Jarrett. On la destine au mariage, « aux chiards à torcher », à la lessive, à l'anonymat, mais Eileen ne veut pas garder le silence. Ce qu'elle veut, c'est être actrice, ce dont elle a besoin, c'est être libre. Seulement pour jouer au théâtre, « il faut avoir une bonne grosse queue ». À défaut, Eileen nous dévoile sa poitrine et nous regarde dans le blanc des yeux. Provocation, désespoir ? Un peu des deux, sûrement. Qu'elle emprunte un langage d'homme ou se travestisse, Eileen brise les chaînes de l'oppression et s'affranchit des codes, quitte à porter le costume de la folie. Car, dans une société où la femme doit se soumettre, totalement, et où le refus de cette condition entraîne une marginalisation, quelle autre issue que l'aliénation Eileen peut-elle connaître ? Sensible au féminisme, le metteur en scène explore la question de l'oppression des femmes au XVIee siècle et actualise, à ce titre, un sujet encore brûlant. Mieux, c'est à toutes formes de révolte contre un système discriminatoire qu'appelle notre féministe en bretelles. Alors, spectateurs, tous à vos talons, tous à vos moustaches, les deux en même temps si vous voulez.
En Noir et Blanc
Le théâtre à la rencontre du cinéma (version Charlot)
L’aventure dans laquelle s’est lancée la troupe Canoa est de faire intervenir le cinéma au théâtre, de l’utiliser comme arrière-plan, outil, et base d’une histoire hilarante et burlesque. Un hommage au grand Charlie Chaplin.
Paul et Paulette sont les héros de cette pièce muette. Ils se rencontrent dans des circonstances délicieusement imprévues. Deux personnages naïfs partent à la découverte de la grande ville et de ses multiples facettes ; deux destins se croisent dans une société qui reflète celle des débuts du septième art.
Non ! Il n’y a pas de dialogues, mais comme Charlot, par une gestuelle magistralement comique, claire et accessible, Juliana Coelho (Paul) et Daniella Dantas (Paulette) vous transportent dans l’univers du rire.
La seule causerie que propose En Noir et Blanc est celle des arts entre eux. Ils se complètent : une musique rigoureusement choisie (Django Reinhardt, Rodrigo y Gabriela…), accompagne harmonieusement chaque mouvement des comédiens/ acteurs, sur la scène ou sur la vidéo projetée. En effet, une vidéo vient orner cet ensemble ; tout au long de la représentation elle est à la fois décor et miroir de la scène, elle raconte et situe, présente et propose d’intéressants dédoublements des personnages. Rencontre prévue le 5 décembre !
Rona Ackfield
Entre mensonges et possibles : mystères identitaires
Au départ, un fait divers, fictif : en 1992, une petite fille, Rona Ackfield, disparaît, enlevée dans un supermarché. Dix-huit ans plus tard, quatre jeunes femmes prétendent être Rona Ackfield et livrent aux juges-spectateurs leur version de ces années d'absence. Mensonges, fantasmes, possibles : le fait divers s’épaissit à travers ces quatre voix.
Quatre voix et autant de plumes. Une écriture plurielle d’où émerge une réflexion sur l’identité : brouillée, démultipliée, protéiforme. Quatre voix sur scène qui s’accompagnent de sons, d’images et de vidéos. Aux paroles des quatre usurpatrices se mêlent celles de l’extérieur, ce terrible brouhaha des médias, qui s’emparent de leur histoire, les érigent au rang d’icône et les exposent à une société qui juge, condamne, et en redemande. La scénographie de L. Pannetrat matérialise la confusion qui entoure les jeunes femmes prises dans le labyrinthe infernal du mensonge. Dans cet espace reculé, ruine ou terrain vague, « lieu de tous les possibles [qui] évoque plus les limbes que la terre ferme » comme le décrit N. Fargier, se mêlent désolation et espoir de reconstruction.
En effet, pourquoi mentent-elles si ce n’est pour combler un vide ? Donner une suite à la disparition et pallier ce long et lourd silence, lorsque les médias se taisent. Quatre voix sur scène, qui n’en disent qu’une seule, celle de l’absence. Quatre voix qui donnent vie et corps à celle qui n’en a plus. Quatre voix pour ouvrir la voie aux possibles.
Le Roi Lear, Acte I et II
Entre tragique et comique, Shakespeare expérimental
Un roi et ses trois filles. Un père et ses deux fils, l'un légitime, l'autre bâtard. Est-ce le début d'un conte ? Royaume et cupidité, complot et rivalité. Est-ce la naissance d'une tragédie ? Deux intrigues se nouent : d'une part, le jeu de l'amour et du pouvoir pour le Roi Lear, qui met à l'épreuve ses trois filles et les rend rivales ; d'autre part, le duel de deux frères en lice pour le pouvoir et la reconnaissance d'un père. Cette pièce est d’abord l’occasion de la cristallisation d’une question, celle du pouvoir. Est-il donné ? Est-il à prendre ?
Sur le terrain du tragique, c'est le vieux et malheureux roi Lear qui, comme Œdipe aveugle, conquiert sa lucidité. Et pourtant, c'est à travers un jeu de Commedia dell' Arte, une pratique de la gestuelle habituellement dévolue au comique, que les personnages sont approchés. De surcroît, ils le sont à travers deux traductions du texte et ils le sont aussi par plusieurs comédiens successivement. Les idées résonnent à travers le prisme de la multitude et de l'être singulier. Mais de leur devenir final, on ne connaîtra rien, seuls deux actes s'en trouvant représentés : une liberté de plus pour les comédiens !
A ce jeu, le public sans cesse interrogé est aussi acteur du spectacle se faisant sujets du Roi, peuple critique grâce à la technique des masques. Peuple du Roi Lear ? Peuple de 2012 ? Il faut décider d'être ou ne pas être.
A vous d'acter !
rekviem3
Un Requiem en trois dimensions
Le Requiem de Verdi, messe funèbre, n’a pas été écrit pour être mis en scène. Dans rekviem3, il prend la dimension d’un opéra, et devient théâtre de l’espérance et de la vie.
Inspirée du roman de Joseph Bor, Le Requiem de Terezin, cette création originale met en scène l’histoire vraie, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’un chef d’orchestre qui entreprit de monter et de faire jouer le requiem de Verdi dans un camp de concentration tchèque, malgré les terribles obstacles. Voix, instruments et espaces s’unissent. Les pensées, les souvenirs, et les moments de la vie du chœur s’expriment par la musique qui est la clef dramatique de rekviem3.
Une caméra placée à l'entrée projette sur un écran les visages du public qui entre dans la salle, l’incluant dans l’espace, c’est-à-dire dans le camp. Le spectateur devient lui-même captif. Pourtant, dans cette prison, l’homme retrouve par la musique l’identité qui lui a été enlevée. Le Requiem se fait alors parole de résistance et d’espoir. La salle devient le dernier refuge de l’Homme.
Au-delà de la tragédie de la Shoah, l’histoire de Tezerin, transcendée, symbolise toutes les formes d’emprisonnement. rekviem3 insuffle une vie nouvelle à la musique, lui donne un corps, et dévoile l’essence de l’œuvre, révélant la splendeur tragique du Requiem de Verdi et éveillant une écoute visuelle qui permet de saisir l’ineffable de la musique. Un opéra pour vaincre la mort et la douleur, pour que l’humanité demeure.
Identité, Pirandellisme et Tarahumaras
Jeux de masque, « je » démasqué
Et si le masque, au lieu de nous cacher, devenait un révélateur, et dévoilait la face occultée de celui qui le porte ? Pour Lili Bloome, l’héroïne de la pièce, tout commence par un masque découvert au Guatemala, un masque mystérieux, comme une Joconde diabolique empreinte d’une force virile : on ignore si son large sourire est signe de naïveté ou de cruauté. Alors que, docte conférencière, Lili Bloome se lance dans une intervention sur la notion d’identité, son attention est détournée par le masque qui devait illustrer ses propos. Elle est peu à peu happée par celui-ci, transportée sur le rivage de son inconscient... Elle y rencontre un yogi ironique. C’est elle. Un masque démoniaque. C’est elle encore. Dans l’espace magique de l’imagination qui envahit la scène, tout en sonorités et en lumières suggestives, le dialogue de soi à soi est instauré. En travaillant sur l’improvisation et la pluridisciplinarité (la danse, le yoga, le jeu masqué), Louise Roux cherche à mettre en lumière les différents niveaux de conscience, à interroger les pulsions, à élucider l’énigme de l’identité. Une expérience de la dénudation dont le théâtre est l’écrin propice. Spectateurs, venez en conscience : rien ne va plus, les « je » se font.
Cassandre
Les vérités de Cassandre
Est-elle aphone ou sont-ils sourds ? Est-elle folle ou sont-ils ignorants ? À travers Cassandre, c’est le pouvoir d’une existence, son rapport aux autres, qui est incarné. Condamnée par Apollon, Cassandre est ignorée et l’avenir qu’elle distingue ne trouve plus de résonance. Se battre ou se résigner, accepter ou parler, comment faire face à la malédiction ? Dans une pièce polyphonique où cinq femmes s’affrontent et se répondent, les Compagnons Butineurs imaginent les différents visages de Cassandre : voilà que ses vérités s’entrechoquent ou se confondent. Comme des allégories du théâtre, les comédiennes vont tout tenter pour que les paroles de Cassandre reprennent sens, que sa voix retrouve son public. Par ce dialogue avec l’auditoire, ce spectacle de rue, renouvelé sur scène, veut soustraire Cassandre à son inaudible fatalité. D’interpellations en improvisations, la troupe ose le pari de dépasser la portée tragique du mythe, de lui insuffler une dimension nouvelle. Quatre comédiennes et une musicienne pour faire entendre la belle paria : ouvrez grand vos oreilles !