La Maladie de la Famille M

De Marie Benati, texte de Fausto Paravidino
par la Compagnie Nuit Orange
Sorbonne Nouvelle

Lauréat du Grand Prix Nanterre sur Scène 2021

Date : Lundi 21 novembre 2022
Horaires : 19h - 20h40
Lieu : Théâtre Bernard-Marie Koltès
Durée : 1h40
Discipline : Théâtre / Prise de vue réelle

La Maladie de la Famille M

Compagnie Nuit Orange

Texte : Fausto Paravidino
Mise en scène : Marie Benati
Avec : Gaspard Baumhauer, Léna Allibert, Alex Dey, Taddéo Ravassard, Marie Benati, François Clavier et Guillaume Villiers-Moriamé
Scénographie : Pierre Mengelle
Lumières : Alex Dey et Anaïs Ansart-Grosjean
Musique originale : Nicolas Laurençot, Yvan Lebossé et Louis Jeffroy

Dans la famille, il y a :
Le père, Luigi. Quand il ne tient plus sa vessie, il faut le changer, mais pour le reste il changera pas.
La fille, Marta. Une jeune femme… disons responsable.
La deuxième fille, Maria. Une jeune femme irresponsable.
Le fils, Gianni. Le petit dernier, un je-sais-tout de première.

Autour, il y a :
Fulvio. Le copain de Maria. Un mec en couple, un adulte.
Fabrizio. Le copain de Fulvio. Enfin, son pote quoi.
Et il y a le Médecin. Lui, il raconte. C’est un peu tout ce qu’il peut faire, vu qu’il ne peut pas oublier.

On ne choisit pas sa famille, et on ne choisit pas de vivre dans un patelin en bordure d’une route nationale. Donc il faut faire avec ce qu’on a sous la main. Mais c’est pas facile tous les jours… surtout quand ils sont tous tarés.

C’est l’histoire d’une famille ordinaire. On vit les uns sur les autres, on se déteste, on se manque. C'est l’histoire d’un combat ordinaire ; celui de la vie contre la mort, contre l'ennui, ou contre l'oubli.

C'est l'histoire de gens qui n’arrivent pas à vivre ensemble, mais qui n’arrivent pas à se séparer.

Aujourd’hui, alors que la vie en collectif se trouve bouleversée et réinventée, nous nous sentons déchiré.es entre un immense besoin des autres, de contact, d’amour, et un mouvement presque instinctif de repli sur soi, de solitude, de fuite. Le vivre-ensemble se fait maladroitement, le contact est hésitant, la parole confuse.

La Maladie de la Famille M, c’est pareil. Se souvenir de ce qu’on veut oublier, rester alors qu’on veut partir, ne jamais arriver à dire les choses. Et en plus il pleut.

Fiche de salle

La pièce

Dans la famille M, je voudrais le père, Luigi, incontinent et buté
je voudrais la fille, Marta, résignée et responsable
je voudrais l’autre fille, Maria, rêveuse et irresponsable
je voudrais le fils, Gianni, arrogant et insupportable

Luigi, le père, est en proie à des pertes de mémoire et à une sénilité bougonne depuis le décès de sa femme. S’il semble être le patient zéro, ses enfants, Maria, Marta et Gianni, présentent également d’étonnants symptômes : lassitude, ennui, irritabilité… Et ceux qui gravitent autour d’eux ne sont pas épargnés ! Les carences d’amour anesthésient les rêves de chacun. L’inhabileté à communiquer rend leur quotidien morose. Mais comment guérir lorsqu’on habite un patelin enterré sur le bord d’une route nationale ?

Le fidèle médecin de famille veille, raconte et pose un diagnostic empli de tendresse et d’humour sur les membres de cette famille ordinairement dysfonctionnelle. À travers les souvenirs du Docteur Cristofolini, Fausto Paravidino explore la difficulté du vivre ensemble et livre un portrait à la fois sensible et extraordinairement trivial de la complexité des relations intra-familiales.

Dans un intérieur minimaliste, aux frontières sobres délimitées par des lignes blanches, la parole des uns se révèle dans les silences et les maladresses des autres. Entre quiproquos amoureux et tracas du quotidien, le dramaturge italien dévoile pour sa première pièce une chronique sociale grinçante.

On ne choisit pas sa famille. La famille M. n’a certainement pas choisi la sienne…

Le collectif

Le collectif Nuit Orange est fondée en avril 2019. Il a pour ambition de jeter des ponts entre les différents arts pour produire et diffuser des événements pluridisciplinaires. Le collectif mobilise des artistes de tous les secteurs et déborde des espaces conventionnels de représentation. La Maladie de la famille M est son premier spectacle.

Fiche réalisée par Noëmie Armand-Pedrosa et Armelle Mahé, étudiantes en Master 1 MCEI.

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Entretien

Nous avons rencontré Marie Benati, membre du collectif Nuit Orange et metteuse en scène de La Maladie de la Famille M., écrite par Fausto Paravidino en 2009. Un soir d’octobre, dans son appartement parisien, elle s’est exprimée au sujet de la genèse du projet, de sa conception à sa mise en scène, en passant par ses enjeux.

Pouvez-vous nous présenter la famille M. ?

Marie Benati : Dans la famille M. il y a Luigi, le père, qui est malade. On ne sait pas exactement de quoi, ce n’est jamais mentionné mais on sait qu’il est malade. Il y a ses enfants : Marta,l’aînée, qui a pris la place de la mère après son décès. Elle porte la maison à bout de bras sans trop qu’on sache ce qu’elle en attend. Maria, la deuxième fille, elle, cherche à tout prix à fuir la maison familiale. Elle cherche sa vie à l’extérieur, notamment dans ses histoires d’amour. Le petit dernier, Gianni, un « je-sais-tout » de première, lui, essaye de se reconstruire de manière plus joyeuse. En périphérie de cette maison, il y a le copain de Maria, Fulvio, un garçon « normal », pour qui être en couple, c’est accepter de s’ennuyer ensemble et de ne pas avoir envie de voir l'autre parfois... Enfin, il y a son meilleur ami, Fabrizio, un « menteur invétéré ». Il ne sait pas trop ce qu’est l’amour et aimerait bien essayer.

On découvre cette famille à travers le prisme du médecin. Qui est ce narrateur qui sait déjà tout de la famille ?

M. B. : Le médecin est le narrateur de cette histoire qui s’est déroulée quelques années auparavant. Malgré les années passées, malgré son changement de continent, de poste, il reste bloqué sur l’histoire de cette famille. Elle n’a rien d’extraordinaire. Pourtant, il y a un réel enjeu pour lui. Il tourne, en quelque sorte, en boucle dans un système. Chacun·e des membres de cette famille est un peu comme sur des rails dont iels ont du mal à sortir. Le médecin est le seul qui a un regard extérieur, seulement, ses souvenirs sont plus ou moins avérés. Il a une présence un peu fantômatique. On ne sait plus s’il est le fantôme de cette maison, ou si les membres de cette famille hantent sa mémoire à lui.

Pourquoi avoir choisi cette pièce du dramaturge contemporain Fausto Paravidino et comment s’est constituée votre équipe de comédien·nne·s ?

M. B. : J’ai découvert cette pièce durant ma première formation au Cours Simon. Le texte m’a de suite beaucoup plu. Il m’a inspiré des images, un rythme et une atmosphère qui m’est restée en tête. À l'issue de ma seconde formation au Conservatoire du 13e arrondissement, j’ai choisi de présenter un extrait de La Maladie de la Famille M. J’ai réuni une équipe très enthousiaste à l’idée de monter le spectacle dans son intégralité. Le casting a été le premier moteur à ce projet. C’étaient des personnes que je connaissais, mes camarades de classe et mon ancien professeur.

J’ai tout de suite eu des idées, entendu des voix, mis des visages sur les personnages. Généralement je fonctionne de cette façon : un texte peut me plaire et me parler, il ne m’attirera vraiment que si je projette des visages familiers dedans. Il y avait un réel enjeu par rapport au fait de constituer une famille et cela m'intéressait de chercher des airs, des familiarités, des accointances. J’ai senti que ces liens-là étaient possibles et rapides à tisser.

Vous avez choisi d’être à la fois comédienne et metteuse en scène sur cette pièce. Comment avez-vous concilié ces deux rôles ?

M. B. : Initialement, je suis comédienne. Je ne suis pas formée à la mise en scène. Dans le tout premier projet que j’ai mis en scène, j’y avais un rôle mineur, c’était donc complètement viable. J’ai ensuite expérimenté la co-mise en scène, sur Le Misanthrope. Pour La Maladie de la Famille M., j’ai longuement hésité. J’avais à la fois envie de m’extraire et tellement envie de partager le plateau avec ces personnes. C'était un grand sacrifice pour moi de ne pas le faire. Les pièces qui me parlent, que j’ai envie de mettre en scène, sont celles dans lesquelles je me projette également en tant qu’actrice. Cette pièce parle d’un microcosme, c'était donc évident : il fallait absolument que je sois au plateau avec elles·eux, que l’on soit tous·tes les un·e·s sur les autres. Pour que l’on sache de quoi on parle.

Il se trouve que dans l’équipe, François était notre ancien professeur, Gaspard fait de la mise en scène, Alex a géré la création lumière. Tous·tes ont participé d’une certaine façon, je me suis sentie entourée à tous les stades du projet.

Pour la scénographie, vous vous êtes librement inspiré·e·s du village du film Dogville de Lars Von Trier, où les habitations ne sont représentées que par le tracé blanc de leur plan, au sol. Comment l’avez-vous adapté à La Maladie de la Famille M. et comment cette inspiration s’est-elle matérialisée ?

M. B. : En reprenant ces marquages au sol, c’est une symbolique de maison que nous avons souhaité dessiner au plateau. Sur scène, le regard transperce tout : il n’y a ni intimité, ni murs qui isolent. Cette absence de murs empêche de trouver la solitude. Mais, paradoxalement, il n’y a pas non plus de convivialité, de vie commune puisque chacun·e fuit cet espace. De plus, la scénographie illustre les souvenirs du médecin de famille. Il a mémorisé et cristallisé certains éléments, quand d’autres ont disparu. Comme dans Dogville, avec ces maisons qui ne sont résumées que par les éléments centraux des foyers.

Les structures en tasseau suspendues au-dessus de la maison familiale ont été ajoutées pour faire écho au schéma qu’on dessine au sol. Elles symbolisent ce qui pèse sur cette famille, qui n’arrive pas à échapper à sa condition. Pierre Mengelle, notre scénographe, a réalisé un vrai travail d'ingénierie afin de concilier mes désirs, les enjeux et les contraintes techniques de la pièce.

La scénographie pousse-t-elle le public au voyeurisme ? Ou peut-être à devenir scientifique observant une fourmilière ?

M. B. : Oui, en scientifique qui observe une boîte à papillons ! Nous avons essayé de créer un cadre transparent, évoquant une sorte de boîte emplie de stéréotypes humains. Comme une expérience qui se déroule, mais qui échappe au contrôle de son observateur.

En effet, l'aspect voyeur·euse me paraissait aussi important, car le public est du côté du médecin. Il voit des choses qu’il ne verrait pas s’il n'était pas dans cette situation. Des choses que tous les personnages ne voient pas. Il peut se reconnaître dans cette famille, quelque part, il la connaît déjà.

Dans cette pièce, on a la sensation que le langage verbal est défectueux. Comment rendez-vous compte de la puissance du non-dit au travers de la parole ?

M. B. : Cet échec de la communication est la raison de nombreux bouleversements qui se déroulent dans la pièce. Il y a celles·ceux qui cherchent à tout prix la communication, ou qui la refusent ou qui échouent. C’est ce qui est si beau dans ce texte : c’est un humour de situation, de non-dits, de lapsus. Ce sont des gens qui trébuchent, que ce soit sur les mots ou sur le sol. Avec la crise sanitaire, nous avons été particulièrement confronté·e·s à ce problème. La difficulté de vivre ensemble ou de vivre isolé·e·s est encore plus prégnante.

François Clavier, le comédien qui joue Luigi, en parlait de manière assez juste et Paravidino en parle lui-même. Selon lui, la révolution de Pinter, c’est que l’on a plus affaire à des héros·ïnes qui disent ce qu’iels pensent et font ce qu’iels disent. Iels n’arrivent plus à exprimer leurs passions et ne sont plus uniquement confronté·e·s au problème de pouvoir les vivre ou lutter contre elles.

Ces derniers temps, la parole tend à se libérer au sujet de la santé mentale et des troubles mentaux. L’Etat s’est notamment engagé en 2022 à rembourser 40% des consultations psychologiques. Y voyez-vous une résonance avec la pièce ?

M. B. : Dans cette famille, comme dans toutes, tous·tes ont leurs névroses. Le tout est de réussir à les évaluer à leur juste importance, car être névrosé·e est le cas de tout un chacun·e et ce n’est pas grave. Du moment que cela n’empêche pas d’avancer. Dans la famille M., les problèmes sont les non-dit. Les non-dits autour du décès de la mère, qui a complètement bouleversé l’équilibre familial et qui n’a pas été traitée. Paravidino, par ce texte, incite à la prise de parole, celle qui permet de se libérer soi-même. Aussi, il incite au respect du silence. Nous ne sommes pas tous·tes au même rythme. Certaines personnes ont besoin de formuler les choses pour faire leur deuil, ce n’est pas le cas de tout le monde. Il faut apprendre à respecter cela.

C’est très bien qu’on ait la possibilité aujourd’hui, si on le souhaite, de se faire entendre. Même si on ne sait pas exactement ce que l’on cherche. Les êtres humains sont complexes en soi. Nous avons tendance à l’oublier, à juger que le monde est simple. La famille M. témoigne de cela aussi : ces gens paraissent très ordinaires, mais lorsque l’on passe un peu de temps avec chacun·e d’entre elles·eux, des choses abyssales apparaissent.

C’est une maladie humaine finalement ?

M. B. : C’est ça, la maladie de l’humanité. (Rires)

Propos recueillis par Armelle Mahé et Noëmie Armand-Pedrosa, étudiantes en Master 1 MCEI.

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